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Hélène de Montgeroult, portrait d’une compositrice visionnaire

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Marcia Hadjimarkos, piano/ Beth Taylor, mezzo-soprano et Nicolas Mazzoleni, violon, Éditions Seulétoile.

Spotify : https://open.spotify.com/intl-fr/album/6Yza37dpNs3kQQeaZjXL7O

          Hélène de Montgeroult (1764-1836), à cheval sur deux siècles aura traversé cinq régimes, royauté, Première République, Directoire, Consulat, Premier Empire, Restauration ; elle a vécu (survécu à) deux Révolutions, celle de 1789 et celle de 1830 en ses soixante et douze ans de vie. Cette compositrice, essentiellement pour piano, reconnue en France comme la meilleure pianiste de son temps, est l’auteure d’un monumental Cours complet pour l’Enseignement du Forté Piano, commencé vers 1788, publié en1816 puis 1820, 700 pages en trois volumes qui en font la méthode française la plus importante du XIXe siècle, assortie de 972 exercices et 114 études progressives, « conduisant progressivement des premiers éléments aux plus grandes difficultés » comme précise le titre, qui sont souvent de véritables œuvres abouties. Le terrible père de Clara Wieck, future Clara Schumann, aurait fait travailler sa fille sur une version allemande de la méthode de la Française.

Eh bien, comme d’autres musiciennes célèbres à leur époque, elle avait disparu, sinon de l’Histoire abstraite de la musique, de la mémoire auditive concrète. Devenue invisible, la voilà promue « visionnaire » dans ce disque. Sans trancher le débat de savoir si elle a mérité cet excès d’honneur contemporain, ou cette indignité de naguère, constatons la visibilité retrouvée de cette femme, de son œuvre, depuis une vingtaine d’années.

En effet, en 2006 l’un des pionniers de sa redécouverte, Bruno Robilliard gravait un CD Hélène de Montgeroult, La Marquise et la Marseillaise, Études, fantaisie, sonate & fugue chez Hortus, assorti de la biographie éponyme, parue à Lyon, éditions Symétrie, par Jérôme Dorival, musicologue qui promeut son œuvre en l’éditant. En 2017, Edna Stern gravait un CD de certaines de ses œuvres. Nous avons ensuite deux intégrales des Sonates pour piano de Montgeroult : l’une de Nicolas Horvath parue en novembre 2021 chez Grand Piano, dont j’avais parlé ici même, et l’autre de Simone Pierini chez Brillant Classic. Naturellement, désormais, cette ancienne oubliée n’est pas oubliée aujourd’hui des affiches de concert et, suprême honneur bien posthume, le premier Concours international de piano pour enfants et jeunes jusqu’à vingt ans, a eu lieu les 18-19 novembre 2023 à Romon, en Suisse, soutenu par l’association des Amis d’Hélène de Montgeroult.

Ce dernier CD nous présente treize œuvres de la compositrice dont plusieurs inédites, en première mondiale, notamment les Six Nocturnes pour voix et pianoforte. La pianiste Marcia Hadjimarkos, grande spécialiste des instruments à clavier historiques, nous offre un passionnant livret sur les pianos, disons pianofortes, appelés alors forté-piano, du temps de Mongeroult ; elle souligne que les enregistrements antérieurs au sien, n’ont jamais été interprétés sur un pianoforte français de l’époque. Elle comble cette lacune en gravant un album sur un instrument parisien fabriqué par Antoine Neuhaus en 1817 et récemment restauré par Matthieu Vion. Cet instrument permet de retrouver la vaste palette de sons, de couleurs et de textures, la touche d’époque de la compositrice. Écoutons la belle sonorité expressive de son Étude 38 pour les deux mains. Pour bien accorder le chant avec l’accompagnement :

1) PLAGE 1 

Dans son éducation musicale, Hélène avait reçu les leçons de l’Autrichien Dussek et du Vénitien Clementi, alors à Paris, du violoniste Viotti dont elle sera partenaire. À vingt ans on la marie au marquis de Montgeroult bien plus âgé, mais libéral, éclairé, qui n’entrave pas sa vocation de musicienne. Mais la bienséance interdisait aux femmes de la noblesse de se produire en public dans des salles de concert, donc, la marquise de Montgeroult joue avec succès dans les salons privés, le sien, où elle reçoit le lundi faisant connaître Bach, Mozart et Haydn. L’époux n’entrave pas son travail de compositrice, de pianiste et pédagogue, mais au foyer.

          Écoutons un extrait de son Étude 63 pour la main droite et notes pointées d’une fougue haletante qu’on dirait entre Sturm und Drang, ‘tempête et passion’, ce mouvement littéraire allemand de la seconde moitié du XVIIIe siècle qui anticipe le Romantisme :

2) PLAGE 6 

Tout aristocrates qu’ils soient, les Montgeroult sont acquis à une Révolution modérée. Le mari se voit même confier une mission officielle en 1793, pour Naples. Les Autrichiens en guerre arrêtent le couple ; le marquis mourra emprisonné. Hélène, veuve, rentre à Paris, mais c’est la Terreur. En leur absence, ils ont été dénoncés comme émigrés et leurs biens risquent d’être saisis. C’est l’épisode, légendaire peut-être où Hélène joue si brillamment la Marseillaise, fleurie de variations, qu’on exige d’elle comme acte de foi révolutionnaire, qu’elle échappe à l’échafaud, à l’exil ou au confinement en province. Un décret la lave de toute accusation :

La « Citoyenne Gaultier-Montgeroult, artiste, dont le mari a été lâchement assassiné par les Autrichiens [peut demeurer à Paris] pour employer son talent aux fêtes patriotiques ».

Guère plus favorable que l’Ancien Régime aux femmes, mineures pour la gestion de leur fortune, mais majeures pour leurs éventuelles fautes, la Révolution ne leur donne que l’égalité du divorce et de la guillotine. Mais elle permet tout de même à des femmes de postuler à des postes comme ce Conservatoire nouveau qui, en 1795 la nomme professeur de la classe hommes !

Cette année même, veuve, femme libre, elle a un fils hors mariage, que le père ne reconnaîtra que deux ans après. Mieux : beau retournement des habitudes matrimoniales de l’époque, la marquise, en 1820 a l’audace, à 56 ans, d’épouser un jeune comte de 19 ans son cadet, qui mourra accidentellement bien avant elle. La ci-devant marquise Hélène de Montgeroult abandonnera ce poste au Conservatoire deux ans et demi après, pour se consacrer à l’enseignement chez elle, plus rémunérateur, sans être soumise aux contraintes d’une bienséance salonarde qui n’était plus de mise.

Nous la quittons sur cet extrait d’un de ses Six Nocturnes, très opératique, très dramatique avec la superbe voix de Beth Taylor :

3) PLAGE 12 : FIN

ÉMISSION N°708 de Benito Pelegrín du 08/11/2023

Rmt News Int • 11 décembre 2023


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