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Händel vs Scarlatti

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Cristiano Gaudio, clavecin – Label Encelade

« Ah Dieu ! que la guerre est jolie… », écrivait Guillaume Apollinaire, qui mourut des suites de sa blessure par un obus à la tête, achevé par la grippe espagnole la veille de l’Armistice. Ah, qu’il était joli le temps de la guerre en dentelles, au XVIIIe siècle, où le comte Joseph-Charles-Alexandre d’Anterroches, chef de l’armée française à la bataille de Fontenoy, en 1745, lançait avec une révérence courtoise empanachée aux ennemis en ligne face à face : « Messieurs les Anglais, tirez les premiers ! ».  

Je ne dirai pas la raison tactique de cette politesse en une époque où recharger un fusil à un coup s’était s’exposer à « passer l’arme à gauche », offrir une cible immobile à l’ennemi tant cela était long. Mais je reprends à mon compte, à bon compte, ces expressions de guerre jolie dont plaisantait le pauvre Apollinaire, et de guerre en dentelles, pour qualifier, un beau soir, une belle soirée, dans le luxueux Palazzo Corsini de Rome du fastueux Cardinal Ottoboni. En 1709, donc, pour distinguer la guerre, le combat, du moins le duel qui opposa, en perruques dont on ne se crêpait pas le chignon, deux géants de la musique baroque, nés  tous deux en 1685, comme Bach, le Saxon Georg Friedrich Haendel et le Napolitain Domenico Scarlatti. On comprendra donc que je puisse, abhorrant, détestant naturellement la vraie guerre, on le voit aujourd’hui encore, qui rabaisse l’homme, je puisse exalter ce pacifique combat de deux génies où, si l’on s’accroche, c’est en croches et doubles croches, où les salves ne sont que celles des applaudissements d’un public de connaisseurs ravis.

Wanda Landowska, qui le réhabilita au XXe siècle, parlait du « noble ferraillement » du clavecin dont les cordes pincées sont en métal. Händel et Scarlatti, au cours de cette mythique soirée, pendant ce duel duo, vont donc ferrailler, croiser le fer, non de l’épée mais du clavecin. C’est le sujet de ce disque élégant Händel vs Scarlatti, VS non ‘vitesse de sédimentation’ de nos analyses de sang, mais versus latin, ‘contre’, ‘opposé à’. Si l’on ne sait pas grand-chose de concret sur cette compétition entre ces deux compositeurs de vingt-quatre ans, on sait qu’ils s’étaient connus à Venise, où ils avaient sûrement rencontré Vivaldi comme le rêve l’écrivain cubain Alejo Carpentier dans son festif petit roman Concierto barroco. Ils se témoignaient une amicale admiration, en parfaits connaisseurs de leurs qualités respectives.

Le jeune claveciniste italien Cristiano Gaudio, s’est formé en Italie, puis au CNSMD de Paris auprès des meilleurs maîtres, et à la Schola cantorum de Bâle Blandine Rannou et d’Olivier Baumont, conseillé par Christophe Rousset ou Skip Sempé, lauréat de nombreux prix internationaux,  a eu cette belle idée pour son premier CD. Ce programme, il l’a présenté en concert à Paris ce 13 janvier. On comprend qu’il ait été séduit de se mettre en miroir lui-même à travers deux compositeurs qu’il sert, dans ce duel, non l’un d’une main, l’autre de l’autre, mais, l’un et l’autre à deux puissantes et légères mains, jouant sur deux clavecins du facteur Bruce Kennedy, l’un italien, l’autre allemand, sans les affecter un peu simplement à la nationalité respective des deux compositeurs, mais plus musicalement, selon la nature de la pièce à interpréter. On peut imaginer qu’il a eu à cœur, d’adapter son style propre à celui de chacun des deux, qu’il défend avec une égale technique, une étourdissante virtuosité, leur prêtant toute la fougue de sa jeunesse et de son sang italien, sans en verser une seule dans cet idéal duel.

Commençons la pacifique confrontation avec un mouvement lent de chacun des deux musiciens, d’abord la Toccata 11 de Händel : PLAGE 4

À défaut de connaître l’exact programme de la légendaire soirée, Cristiano Gaudio tire le répertoire Haendel du CD des manuscrits de Bergame (une sélection de Toccatas) et de Naples, qui pourraient correspondre à la période italienne du jeune compositeur. Pour ce qui concerne Scarlatti, qui a composé 555 sonates pour clavecin, il en retient dix. Nous écoutons quelques mesures de la K32, sous-titré, Aria, air : PLAGE 5

Après ces mouvements lents des deux musiciens, donnons le pas aux vifs dans lesquels s’exprime la virtuosité acrobatique du baroque le plus vertigineux qui devait soulever l’enthousiasme des auditeurs comme les roulades obstinées non pas de l’allegro, allègre, mais l’Allegrissimo de la Sonate K43 de Scarlatti : PLAGE 8

La toute brève Toccata 1 de Händel ne le cède en rien en vélocité, prestesse, prestidigitation : PLAGE 19

On regrette, bien sûr, de ne rien connaître de précis de cette soirée, de ce match organisé par des mécènes raffinés entre deux jeunes compositeurs déjà bien cotés. Nous avons simplement ce témoignage de Scarlatti lui-même :

 « à 24 ans, je participai à une compétition avec un jeune homme nommé Haendel qui était considéré comme un prodige, je fus vainqueur au clavecin et lui à l’orgue ». 

Donc, il reconnaît avec élégance un match nul et l’on apprend qu’il y eut deux instruments en jeu. La biographie de Händel par John Mainwaring (Memoirs of the Life of the feu George Frederic Handel, Londres, 1760) est lointaine mais, après tout, ces compétitions étaient à la mode.

         Un mouvement modéré de Scarlatti, cette fugue de sa Sonate K. 58, Fuga : PLAGE 18

Sans trancher le débat, le duel, que nous préférons duo, nous quittons ce CD par un bel arrangement pour clavecin de Cristiano Gaudio, de l’Adagio de la Sonate pour violon en la majeur de Händel : PLAGE 21 

Benito Pelegrín

Rmt News Int • 17 mai 2022


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