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Retour sur le Concert du Nouvel An Marseille au Temple Grignan, organisé par LYRICOPERA

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avec : Eleonora de la Peña, soprano, Christian Mendoze, flûte et Corinne Bétirac, piano

LyricOpéra fêtait ses dix ans, ses quarante concerts, sans subventions, sans autre soutien que les dons et le dévouement sans faille de sa fondatrice Marthe Sebag. Avec son propre piano qui reste à demeure, elle a fait du Temple Grignan un véritable temple intime du lyrique et s’est gagnée le concours d’artistes dont beaucoup, jeunes, trouvent ou ont trouvé en ce lieu, un premier public attentif et exigeant, avant de se lancer à l’assaut de plus vastes scènes et auditoires. Beaucoup de ces chanteurs honorent désormais des lieux prestigieux nationaux et internationaux, mais fidèles et reconnaissants à l’accueil de cet écrin marseillais chaleureux, ils y reviennent pour notre bonheur.

Ainsi, ce premier concert 2019 recevait, avec un vétéran, Christian Mendoze, ancien danseur étoile, flûtiste virtuose,fondateur, il y a plus de trente ans,du premier ensemble baroque de la région Musiqua Antiqua Provence qu’il a promené avec succès dans toute l’Europe, jalonnant son itinéraire de festival en festival, de disques couronnés de prix prestigieux, Grand Prix de l’Académie du Disque, Prix Radio Suisse International, ou distingués par la critique, Recommandation Classica, Meilleur disque de l’année, etc. Le prochain, attendu pour le printemps, consacré à la musique baroque espagnole, gravera la voix hispano-française d’Eleonora de la Peña, sa jeune mais déjà ancienne partenaire de ses concerts et de son festival varois de Signes. Mais, ici, tous deux intervenaient comme solistes, avec la complicité de la pianiste et claveciniste, Corinne Bétirac, continuiste attitrée de l’ensemble Musiqua Antiqua, à la belle carrière et au riche palmarès discographique.

La soprano Eleonora de la Peña, depuis ses dix-huit ans ans se produit sur scène, abordant, d’une voix à la projection naturelle, des rôles légers comme l’Ernestina de L’Occasione fa il ladro de Rossini, l’Eurydice d’Orphée aux Enfers, d’Offenbach ou plus dramatiques, telles l’Amélite du Zoroastrede Rameau, ou la tragique Didon de Dido and Aeneasde Purcell. Travaillée avec finesse dans des ateliers lyriques et des masters classes de grands professeurs, sa voix a gagné en agilité vocale lui permettant de se confronter au chant baroque, au bel canto romantique sans perdre de ses qualités naturelles. À vingt-quatre ans, on la trouve, chantant, entre autres, Rossini (Berta du Barbiere di Siviglia) aux fameux thermes de Caracalla. En 2016, elle participe à la première édition de Fabbrica, ambitieux spectacle monté par l’Opera Studio de l’Opéra de Rome, œuvre qui fait autant appel aux qualités vocales que scéniques de jeunes chanteurs soigneusement sélectionnés, intégralement mis en ligne. Engagée à Montréal au Festival d’Opéra de Saint-Eustache, elle est aussi Yniold de Pelléas et Melisande en Espagne.

Et nous la retrouvions avec bonheur à Marseille, dans sa première partie, d’abord dans l’air rêveur et piquant de la Norina du Don Pasquale(1843) de Donizetti. Comme Adina près de dix ans plus tôt dans l’Elisir d’amor, qui se définissait au milieu de ses paysans en femme cultivée leur lisant la légende de Tristan et Yseult, se gaussant du philtre d’amour, Norina paraît lisant un chapitre d’un roman de chevalerie inspiré de l’Arioste ou du Tasse (« Quel guardo il cavaliere… ») sur le pouvoir du regard de la Dame qui réduit à ses genoux le preux énamouré. Mais ici, le code courtois, chevaleresque, de la rêveuse en apparence première partie est tourné en dérision par la malicieuse jeune fille dans la seconde dans un insolent feu d’artifice vocal sur les artifices de la séduction dont elle sait user, sans besoin de leçon livresque, ivresse virtuose de vocalises papillonnantes, piquées, pour piquer, épingler, tels des papillons, les hommes de sa collection. Et nous sommes captivés à notre tour par cette adorable petite personne dans sa robe verte et son châle cachemire qui passe de la faussement ingénue première partie câline pour cascader ses rires, se riant des difficultés.

Du même Donizetti, Linda di Chamounix(1841) est un étrange opéra mi-sérieux mi-bouffe, une sorte de pastorale montagnarde et parisienne où l’héroïne perd et retrouve la raison. Il en surnage l’air « O luce di quest’anima », récit obligé mélancolique, obligatoire prélude à un air lumineux, primesautier, jubilatoire, gammes montantes, descendantes comme les alpestres pentes du décor de l’histoire, mots brodés de vocalises, dans lequel Eleonora se lance avec franchise, notes nettes, piquées comme les pics alpins, jamais savonnées, dentelles de la ligne assumées, caressées, dessinées et trilles de cadences d’oiseaux. Incursion dans le Puccini bouffe de Gianni Schicchi, elle entre dans la brève mais intense ligne de l’air de Lauretta, « O mio babbino caro… » comme dans un gant ondulant,insinuant du chantage ému au suicide au tendre papa.

Sa seconde partie sera espagnole.Je ne vais pas répéter ici tout ce que j’ai dit et écrit sur la zarzuela, dont le vaste éventail embrasse de ce qu’en France on appelle opérette et opéra-comique (avec passages parlés) au grand opéra. À preuve cet air pimpant d’une coquette cocottante vocalement, « Me llaman la primorosa », tiré de El barbero de Sevilla(1901), ‘le Barbier de Séville’ de Gerónimo Giménez et Manuel Nieto Matán, une polonaise au rythme effréné, semée de sauts périlleux, hérissée de vocalises et de cadences de haute voltige qui n’ont rien à envier à la vocalité virtuose italienne, dont Eleonora se tire encore avec une sorte de bagout souriant et hardi collant parfaitement au personnage. De Las hijas del Zebedeo (1889) du grand Ruperto Chapí, il n’est soprano qui, de Berganza à Los Ángeles, en passant par toutes les cantatrices qui aujourd’hui découvrent la zarzuela, comme Elina Garanca, n’ait voulu chanter les « Carceleras », avec la condition hispanique d’une voix aisée, corsée dans le grave et assez agile pour s’attaquer aux redoutables mélismes espagnols. Rythme et style flamenco, texte andalou badin et populaire d’une amoureuse joyeusement jalouse, exaltant de manière humoristique les charmes canailles de son amoureux. J’avoue mon appréhension préalable mais, vite disparue avec la maîtrise absolue d’Eleonora qui semble chez elle dans ce répertoire, médium solide et grave jamais forcé ni poitriné, sachant donner toutes les couleurs espagnoles à cette musique complexe, virtuose, mélismatique, avec ses cadences en roulades héritées du flamenco, joliment perlées, port altier et œil aimablement aguicheur. Pour clore la partie espagnole, la Canzonetta spagnuolade Rossini, si averti en hispanité lyrique avec sa femme Isabel Colbrán et son interprète le célébrissime ténor et compositeur Manuel García, père de la Malibran et de Pauline Viardot, collaborateur du Barbier de Séville, dont nombre de passages fleurent bon l’Andalousie. Un peintre, mis au défi par sa Muse de peindre un sujet surhumain, ne peut que le décliner pour s’abandonner à rêver de sa belle. Texte simple prétexte à la complexité vocale, commencé très lentement, accéléré à une virtuosité véloce de strophe en strophe avec, chaque fois des diminutions de plus en plus rapides et vertigineuses : un morceau de bravoure gagné haut la main et la voix.

A la maîtrise technique du chant et des styles, Eleonora de la Peña joint le charme ardent de son physique, de son tempérament scénique : sans aucune gesticulation, quelques gestes et l’expressivité naturelle du visage lui suffisent, sobrement, à évoquer un sentiment, un personnage : à l’être dans la musique.

Johann Joachim Quantz (1697-1773), musicien élève de Zelenka, parcourut l’Europe comme flûtiste virtuose, rencontrant tous les grands compositeurs baroques italiens. Professeur de flûte de Frédéric le Grand, il restera auprès de lui, facteur de flûte, auteur d’un traité pour l’instrument, et compositeur prolifique de centaines de sonates et concertos. Christian Mendoze avait choisi d’interpréter un Caprice, menuet avec dix variations pour flûte solo traversière qu’il avait lui-même adapté à sa flûte à bec : une véritable recréation.

Le thème est joli, se pose doucement puis, sur la simple architecture, Mendoze impose, dessine et tisse une fine texture qui évolue et se rénove progressivement en rythme et ornements dès la seconde variation, éveillant des nids d’oiseaux, et jamais flûte à bec—bien nommée— aérienne, ailée, ne fut plus justement affûtée à dire, chanter, ces envols d’oisillons gazouillants qui volètent volubiles mais sans jamais perdre le repère de cet instrument comme un perchoir ami d’où ils fusent sans fin dans une fausse fuite gracieuse vers un ciel azuré infini ; l’infini, horizon de la variation, variation de la variation qui se peut enchaîner sans fin. Et les notes-oiseaux se poursuivent, se rattrapent, se fuient, il y a comme des brouilleries, des disputes piano et forte, des dissonances, toujours harmonieuses, dans une transparence légère de ramure printanière fleurie flottant sur le zéphyr impalpable du souffle sans fin, vrilles et trilles frissonnants, floraisons dans l’espace.Miracle et volupté de la virtuosité, l’oreille et l’œil unissent leurs sensations aux images mentales : à regarder et entendre l’instrumentiste dialoguant abouché à son instrument, la fascinante prestidigitation de ses doigts, on croit le voir auréolé d’une impalpable nuée de croches, un brouillard de doubles croches tourbillonnant comme un essaim doré d’amicales d’abeilles babillardes. Oui, on comprend, à l’enchantement de ce jeu, qu’on prête à la flûte, instrument premier sinon primitif, un pouvoir hypnotique, magique, fascinant sur les sens, les gens.

Dans le seconde partie, le piano entrait en jeu avec la flûte, se partageant, toujours de Quantz, la Sonate en trio, réduite encore par Mendoze, à deux. Sonate baroque mais dans le canon classique de sa construction en trois mouvements, un somptueux adagio central entre deux allegros. Corinne Bétirac, avec sa souplesse stylistique d’accompagnatrice avertie, manifestait ici son talent de partenaire pratiquement à plein, dialoguant à égalité avec la flûte virtuose, mais lui disputant, parfois, dans la logique concertante, de son martellement terrien, la prééminence aérienne même d’une flûte sûrement destinée à un monarque.

En bis, Mendoze et de la Peña interpréteront un air charmant de Juan Hidalgo, ¡Ay que sí, ay que no !qui figurera dans leur disque sur le baroque espagnol sous presse. Puis la soprano et la pianiste donneront fin à ce concert passionnant par le boléro passionné Bésame mucho, autre genre mais toujours musique, de la belle, et magnifiquement jouée et chantée. B. Pelegrín

LyricOpera Marseille, Temple Grignan Concert du Nouvel An Temple Grignan 12 janvier 2019

Eleonora de la Peña, soprano

Christian Mendoze, flûte

Corinne Bétirac, piano

Donizetti, Puccini, Quantz, airs de zarzuelas

 Photo de Une : Eleonora de la Peña

Rmt News Int • 31 janvier 2019


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