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The culture beyond borders

Retour sur auditions…

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Eliane Zayan


Auditions : tournez !

Samedi 5 décembre, se sont tenues, au théâtre de tatie, les auditions d’une vingtaine d’humoristes devant une bonne douzaine de présidents et directeurs de festival d’humour de France et de Navarre. Etaient présents : Jean Paul Liaumond du Festival de Cabasse, Gérard Michon du Festival de Mâcon, Olivier Sagot du Festival de Saint Raphaël, Giovanni du Festival de Brignoles, Daniel Brustet de la Ville-Dieu-du-Temple en Tarn et Garonne, Laurent Legrain du festival de Cavaillon, Jean Paul Héliard du Printemps du rire de Toulouse, Laurent Sausset du festival de Tournon/Rhône, André Delas du festival de Villeneuve sur Lot, Gérard Bayou pour Eclat De Rires (qui aura lieu au printemps dorénavant) et Eliane Zayan pour son Festi’femmes (dont c’est la 15ème édition cette saison).

Tous les professionnels cités ci-dessus étaient accompagnés de bénévoles travaillant avec eux : et pour cause, vue la faiblesse des subventions attribuées dans le domaine de l’Humour -qui souvent relève du théâtre privé-, ces festivals de renom ne pourraient se préparer sans l’aide et le soutien actifs de ces amateurs et passionnés de théâtre. Ni même de leur public. Pour exemple, le printemps du rire regroupe plus d’une centaine de shows entre one man, one woman et autres spectacles d’humour ! Chaque festival offre la possibilité aux artistes d’être connus et reconnus du public et de la presse, révélant par là même son flot de talents… Alors, parmi la vingtaine d’artistes présents ce jour, qui seront les futurs lauréats ? Cela vous le saurez en temps et en heure… Néanmoins, nous allons vous donner un petit avant-goût des artistes qui se sont produits 15 minutes durant, devant un parterre de professionnels, le public le plus difficile à convaincre : cette journée entrecoupée d’une pause déjeuner fut très étonnante et m’a permis de découvrir, voir redécouvrir de jeunes artistes.

Le premier à s’être essayé à cet exercice difficile fut Patmana, un marseillais bercé par l’univers d’Al Capone et de la mafia… Un feutre pour tout accessoire, il imite avec verve et bonne tenue le gangster italo-marseillais : les gestes ne sont peut être pas assez poussés et la mise en scène manque de rythme – les pauses sont rares- la chute de ce sketch est néanmoins drôle même si elle est un peu facile puisqu’on découvre qu’il s’agit d’un acteur homo qui doit auditionner pour incarner un bandit. Le second sketch, tout aussi classique dans son sujet, présente une vieille dame à la langue de vipère bien pendue, très marseillaise dans le parler. Il est somme toute intéressant dans la mesure où il montre que l’humoriste -dont le texte n’est hélas pas assez incisif dans l’humour- a proposé un travail honnête tant du point de vue des mimiques et des gestes que de la voix. A sa décharge, il n’est pas toujours aisé d’être le premier à passer…
Puis c’est au tour de David Faure de s’y coller : le gringalet grimaçant aux cheveux hirsutes dont les gestes et les déplacements sont par trop brouillons propose un extrait de spectacle où il se réjouit de la demande en divorce de sa femme, demande qu’il souhaitait faire sans savoir quelles formes y mettre. Entre cris de joie et expressions de soulagement, le jeune comique qui imite avec justesse les différents types de demandes (jouant sur l’effet de surprise final) a écrit un texte avec quelques belles trouvailles (citons le « body fuck »). Hélas, il n’est pas assez expressif dans son jeu qui manque de nuances, surtout pour la forme proposée.
Lenny fait son entrée, vêtue à la « cacou » avec sa gueule et démarche de bosse gosse, imitant un looser un peu niais… Narcisse qu’on l’appelle et pour cause : à chaque fois qu’il se passe quelque chose, il est persuadé qu’on parle de lui. Il prend au pied de la lettre chaque phrase qu’on lui dit et c’est avec aisance et facilité – un peu trop de relâchement- que Lenny nous embarque dans son personnage taillé sur mesure. Le texte frôle par moment la vulgarité mais Lenny reste égal à lui-même et propose une belle prestation même si on aimerait le voir jouer autre chose.
Christian entre sur scène : c’est un homme généreux à l’embonpoint sympathique. Il interprète avec naturel et malice une star du porno ayant remporté la « coucougnette » d’or, discourant avec bonhommie sur le « sucer d’un film »… Son second sketch révèle un humour plus british : vêtu d’un ciré jaune et d’une lampe torche, il se transforme en guide proposant la visite gratuite d’une grotte, construite sur mesure, à un public sommé de lui laisser un pourboire, au risque de finir six pieds sous terre. Amusant, léger et distrayant, sans prétention et honnête : telles sont les qualités de ses sketches au cours desquels on peut noter un petit effort de mise en scène.
Stan, le retour… Stan a proposé deux sketches aux idéologies se situant aux antipodes. Son premier sketch fait l’apologie du machisme et doit être entendu au 3ème degré tant il se révèle d’un mépris total pour le sexe féminin. Stan interprète un macho de base qui ne peut vivre sans sa femme. Ce sketch nous donne un sentiment de déjà vu et n’est pas forcément du meilleur goût… C’est alors que Stan nous surprend avec un second sketch contrecarrant le premier. Il devient une femme enceinte aux envies aussi multiples que subites, en parodiant le nez de Cyrano. Une parodie bien écrite puisqu’un gros effort sur les rimes et le rythme même du texte est à souligner. Stan se révèle très crédible dans ce personnage à contre emploi et là, il fait preuve de talent, évitant de tomber dans la facilité d’un jeu trop caricatural. Une chute sympathique et quelques innovations dont un « chauffez-moi la fougasse » savoureux. Une bien agréable surprise.
Kévin est le sixième larron à se présenter : avec sa gueule d’étudiant et sa coupe Tony and Guy, il entre sur scène, enchanté d’avoir eu son bac… Mais un bac ne sert plus à rien… Un humour un brin noir, un tantinet décalé où il se moque de lui-même avec une autodérision de bon alois et de bonne guerre, se définissant comme un « gérontophile du comique ». Lui qui lit le canard enchainé et nous brosse un portrait peu reluisant de la présidence de Sarkozy (à propos de ce dernier : « un hongrois qui baise les français, on dit rien »), il nous explique que les gros rient plus que les maigres… Allez savoir pourquoi… Jeux de mots, un humour pince sans rire et corrosif (Sarko : « vous m’avez cru et vous êtes cuits » ; « Carla, c’est comme les Lancia, ça démarre à gauche et tire à droite »…). De nombreux ingrédients sont présents dans son sketch pour pronostiquer un beau parcours à ce jeune homme tonique qui a fait l’an passé les premières parties de la Tournée de Michèle Torr.
Christopher Watt emboite le pas à Kévin, avec sa bouille de bébé et la patate sur scène. Tonique, il nous explique le malheur des « intermites » (entendez par là les intermittents obligés de cachetonner dans les supermarchés pour gagner leur vie). Un sketch qui traine en longueur et se mue en une énumération de cas d’école au final ennuyeuse même s’il y met tout son dynamisme et sa bonne volonté. Pauvres « intermites qu’on écrase et qui pourtant sont indispensables à la société ». Un beau plaidoyer en faveur des artistes qui mériterait un travail de mise en scène et un jeu plus en nuance.
Un interlude est offert par Max et Tom, deux petits jeunes qui proposent quelques sketches traitant de l’amitié entre deux potes… Le premier, Max, est un benêt de première ; le second un petit roublard. Des sketches très proches de la réalité, attendus et peu novateurs reposant sur des ressorts classiques mais les deux jeunes sont à l’aise sur scène : s’ils étaient suivis par un metteur en scène, ils pourraient offrir de bons moments de théâtre.
La matinée s’achève sur « Babette, femme parfaite »… Un solo savoureux exécuté par une jeune comédienne pratiquant le jeu clownesque et le grotesque. Elle a par ailleurs joué au Marie Jeanne : on assiste ici médusé à sa démonstration d’une femme parfaite. On se dit à la voir qu’elle mériterait de jouer dans un grand théâtre. La maîtrise de la gestique et des techniques du jeu masqué sont indéniables, le rythme est bon. Le récit de cette pauvre Babette, femme au foyer battue par son époux, au sourire forcé et à la joie figée, n’est pas à prendre au premier degré : au contraire, il démontre avec justesse et talent un mécanisme psychologique pernicieux, proche de celui du syndrome de Stockholm où la femme soumise à son bourreau devient un pantin béatement heureux, telle une poupée décervelée par un lavage de cerveau quotidien. Le constat est dur et la réalité dénoncée, insupportable. Un humour noir qui vise juste même si, à y réfléchir à deux fois, la situation décrite n’est pas drôle du tout. Sa petite chanson « Babette, je la fouette, je la lie, je la passe à la casserole » est d’une justesse effroyable. Oui, « Babette femme parfaite » fait froid dans le dos tant il dénonce une réalité d’une violence impitoyable faite aux femmes, et ce encore de nos jours. Le tout sous couvert d’une gaieté inaltérable et d’un humour glaçant.

Une petite pause déjeuner bien méritée et c’est reparti avec Florent Peyre. Ce dernier possède un humour grinçant avec un franc parlé et un tonus étourdissant : beaucoup d’autodérision et de bons mots dans son premier sketch où il nous donne une solution simple et efficace pour excuser l’adultère : la schizophrénie. Alors, les gars, quand il fait 40 degrés à l’ombre et 90 degrés dans le slip, vous pouvez vous laisser « tentater » par une jolie fille… Energique et fort en grimaces en tout genre, Florent exécute un sketch juteux et juste autour du célèbre Mario Bros, piégé par Nintendo depuis 20 ans, kidnappé par Sarko : qu’est ce qu’on ne lui a pas fait faire à ce pauvre Mario ! Son jeu très physique mime les évolutions du personnage sur la play station avec un sens aigu du rythme et de l’observation : onomatopées, soubresauts, déplacements, bips, tous les ingrédients de ce jeu d’arcade sont interprétés avec talent par le jeune Florent. Et c’est bien heureux.
Suit Caroline G qui propose un one woman tirant vers le stand up : elle veut adopter un homme à la SPH et découvre Rex, aux instincts mâles primaires. Elle nous relate alors les aventures d’une pauvre mère de famille qui n’arrive pas à trouver le sommeil entre ses animaux et ses enfants. Elle nous parle de la mort et du paradis mais son sketch manque de tonicité et son jeu est monotone. L’ennui, hélas, guette le spectateur au tournant si un effort de mise en scène n’est pas fait. Fort heureusement, quelques bonnes idées surgissent de son univers lorsqu’elle parle de la « sans valentin ».
Intervient brièvement la Compagnie tout court venue présenter « Week end en Ascenseur ». Un grand gaillard interprète avec justesse un flic à l’humour décalé qui parle des meurtres hivernaux en termes d’ « ice crime ». La musique et un effort de jeu sont à l’œuvre mais hélas, il manquait ses acolytes pour offrir au jury un extrait plus jouissif. Et c’est là où le bas blessait…
Le quatrième à faire son entrée est Cyril : il propose, dans un premier temps, un sketch convenu autour de l’école des fans. Vous savez ce même extrait du bêtisier que l’on ressert au spectateur tous les ans et qui nuit au pauvre enfant victime de cette émission, enfant aujourd’hui devenu adulte dont le souhait est qu’on oublie ce moment de sa vie. Déroulant le thème nostalgique de l’enfance, il en arrive à parler de ces héros qui ont marqué la jeunesse des trentenaires : Goldorak, Albator, Musclor, ces musclés des dessins animés d’antan… C’était tout de même plus facile de s’identifier à eux qu’à Bob l’éponge… Quel garçon ne s’est pas pris pour l’un ou l’autre de ces héros ? Qui n’a pas cru en ces contes modernes ? Son jeu énergique atteint son apogée avec son remake de Scoobidou… Le chien peureux et gourmand, accompagné de Samy et de ses amis dans un manoir hanté… Ah, ce pauv’ scoobi ! Une belle énergie, du talent et une nostalgie sympathique… telles sont les qualités de ce jeune homme qui fait montre ici d’un beau travail.
Un petit interlude avec du stand up interprété par trois jeunes : Sofiane, Mourad et Abdel. Puis c’est au tour de Pauline.mu de se coller au jeu des auditions. Pauline présente trois sketches de son spectacle. Le premier dans lequel elle forme des cambrioleurs-tueurs pieds nickelés est sorti du contexte de son spectacle : cela est bien dommage car il perd en intérêt et en intensité. Son deuxième, qui rappelle les films d’horreur du type Chucky, est fort bien interprété : Pauline est cette méchante petite fille qui bat sa maman, une tueuse en série en devenir, au regard pervers et au sourire innocent quand elle dit, l’air de rien, paisible : « Maman, elle dort depuis deux jours ». Un beau travail tant du point de vue de la gestique que de la voix et du corps. Son troisième sketch où elle interprète une grand-mère à la page, luttant contre la loi Hadopi, est tout aussi très juste. Même si l’univers de Pauline n’est pas forcément au goût de tout le monde – l’humour noir et décalé peut déranger puisqu’il pose la question du peut-on rire de tout ?- la jeune femme propose un travail de comédienne honnête et fait montre d’un talent certain.
C’est au tour de la jeune Erika, qui relate les malheurs d’une pauvre femme ayant raté ses mariages consécutifs et ses suicides répétés. Sauvée de la noyade par un MNS (un maître nageur sauveteur) bedonnant (rien à voir avec ceux que l’on nous montre dans les films), rescapée par les airs bag de sa voiture… Erika nous raconte toutes ses péripéties avec naturel et sympathie. Puis elle s’attaque à cette mode actuelle qui est de mettre les bébés dans les congélateurs : avant, les enfants étaient désirés et de toute façon, il n’y avait pas de « congélo » pour s’en débarrasser! Elle nous livre ici certaines réflexions sur la vie et les choses avec allant et générosité. Cependant, ses sketches manquent de mise en scène.
Ces auditions se sont achevées sur une prestation de Muriel Kenn qui a réussi à se libérer pour présenter au jury un extrait de son one woman qu’elle jouait à l’Archange (voir notre critique sur www.larevuemarseillaisedutheatre.com). Si vous aimez l’humour juif, n’hésitez pas : Muriel est votre femme. Talentueuse, drôle sans être vulgaire, généreuse, humble, elle rappelle dans le personnage de Tita un certain Elie Cacou…

C’est dans la joie et la bonne humeur que se sont achevées les auditions de cette année avec un panel d’artistes aux univers distincts et complémentaires. Certains ont su montrer en une quinzaine de minutes l’étendue de leur talent, d’autres ont révélé un univers très personnel. Nous ne préjugerons pas des sélections par les différents festivals présents ce jour mais gageons que 2010 sera une bonne cuvée. Diane VANDERMOLINA

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Rmt News Int • 12 décembre 2009


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