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The culture beyond borders

Quand la culture se privatise à grands pas…

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Nous assistons à une phénomène guère nouveau, mais qui se radicalise depuis l’arrivée de Sarkozy à la présidence, celui de la privatisation de la culture. Ce phénomène était l’apanage des chaines de télévision privée, le fait de certains radios privées, le royaume du cinéma grand public et de la musique, c’est-à-dire, le monde étriqué du show biz. Il investit aujourd’hui, au grand damm des saltimbanques, le milieu du théâtre public.

Nous ne parlerons pas du théâtre privé présentant essentiellement des comédies, souvent dédié à l’humour et aux ones (wo)men show, délaissé par le gouvernement dans la mesure où rares sont les subventions votées pour ce genre théâtral, plus connu sous le nom de café théâtre. Nous ne citerons pas les initiatives théâtrales de certains lieux dont les propositions jugées par trop classiques ou populaires par les DRAC ne bénéficient que d’un soutien financier clairsemé. Ni de toutes ces salles nombreuses ne répondant pas aux critères flous et obscurs d’attribution des subventions publiques…

Ici, l’objet de notre billet est le théâtre public: alors qu’est ce qu’un théâtre d’intérêt public? C’est un lieu financé au moins à 50% par l’Etat c’est-à-dire le ministère de la culture via les DRAC. Sont concernés les Théâtres Nationaux, les Centres d’Art Dramatique Nationaux (dits CDN) et les scènes nationales. Les théâtres, créés à l’initiative d’un seul homme, voire dirigés par une même personne depuis une quinzaine d’années, ne sont pas des théâtres dit public : et pour cause, leurs crédits sont essentiellement apportés par les municipalités (plus de 50% des subventions totales), les conseils généraux et régionaux; viennent en dernier lieu les DRAC s’ils font l’objet d’une convention avec le ministère. Ces théâtres ont néanmoins un cahier des charges donné par la Mairie à respecter en terme de politique culturelle à visée sociale. Ils se doivent d’accueillir des artistes locaux et d’avoir une ouverture sur les publics défavorisés. Ces cahiers des charges plus ou moins respectés sont conseillés et ne font pas forcément l’objet de conventions.

Pour un théâtre public, il n’en va pas de même : le directeur est nommé, suite à un appel à candidature public, à la remise d’un projet et à une audition, par les membres d’une comission placée sous la houlette du ministre de la culture dont la voix est prépondérante. Il est nommé, selon les types de scènes, pour trois années, mandat renouvelable trois à cinq fois. Les conditions d’admission des candidats sont drastiques: le directeur doit être également metteur en scène et avoir travaillé dans le théâtre dit public. De plus, il a pour mission de montrer le fleuron de l’activité théâtrale nationale tout en offrant la possibilité d’offrir aux artistes locaux de présenter leur travail.

Ceci défriché, examinons le cas du CDN de Montpellier qui s’insurge à juste titre contre la nomination à sa tête d’un homme, Jean Marie Besset, qui sans être metteur en scène est inconnu du théâtre public, ayant fait carrière en tant qu’auteur dramatique dans le théâtre privé. Qui plus est, il s’entoure d’un metteur en scène faisant l’objet d’immenses polémiques: ce dernier, Gilbert Desvaux, travaille dans une entreprise privée d’événementielle qu’il a créé et a participé à un événement fêtant les 40 ans au pouvoir d’un dictateur, Khadafi. Cette nomination, dont les conditions ont été plus que douteuses selon les candidats malheureux contestataires – le ministre aurait imposé son choix-, provoque un tollé général dans le milieu du théâtre public.

En effet, quand le Ministre choisit de nommer à la tête d’un théâtre public un homme venant du théâtre privé, non seulement il bafoue les règles même de nomination d’un directeur de théâtre public -et ce malgré qu’elles soient discutables-, en imposant un fait du prince, mais -par cet acte là – remet en cause et renie la raison d’être du théâtre dit public c’est-à-dire d’un théâtre aux tarifs réglementés et à la programmation se voulant aussi qualitative que diversifiée, destinée à un large public dans un but à la fois artistique et pédagogique selon un principe cher à notre pays: liberté (par rapport au pouvoir politique), égalité (d’accès pour les publics), fraternité (dans les échanges artistiques). Cet emblème de notre démocratie et cette dernière sont par ce simple fait bafoués. Et ce sans prendre en compte la polémique concernant l’artiste associé au directeur nommé.

De là à privatiser le théâtre public en lui supprimant ses subventions, il n’y a qu’un pas à faire… Surtout en cette période de crise où la restriction des budgets est de mise. Sans envisager un avenir si sombre – la suppression totale des subventions n’est pas pour demain – il se révèle évident que le ministère de la culture s’engage sur une pente bien glissante : celle d’une culture d’Etat où l’Art théâtral passera des mains des artistes s’efforçant de proposer des oeuvres de qualité questionnant le monde – même si le choix des spectacles proposés peut être consensuel et discutable – aux mains des entrepreneurs de divertissement grand public, hélas fort souvent débilisant, à l’image des émissions de divertissement proposées sur le PAF.

C’est une dérive réelle et dangereuse pour la création artistique: sans vouloir juger des divertissements, ils ont certes leur place au sein de ce que l’on nomme si pompeusement culture, cette dernière ne doit pas se réduire à ce genre. Elle doit proposer une variété et multiplicité de genres : qu’il s’agisse de théâtre contemporain, qui fût grandement à la mode dans les DRAC et ce jusqu’à récemment, classique, humoristique… Chacun a son rôle et son utilité sociale, sa place au sein de la culture.

Hélas, nous remarquons que via la politique culturelle engagée par le gouvernement français, la culture et le théâtre sont assujettis, à l’image de toutes les politiques qu’elles soient scientifiques, économiques, sociales…, aux modes et qu’ils se font l’échos d’une tendance mondiale à l’abêtissement des masses. Du moins tel est le chemin dans lequel s’enfonce pleinement le théâtre dit public de part la volonté d’un homme et d’un seul… DVDM

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Rmt News Int • 15 décembre 2009


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