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Avignon off 2018: Distance par le Circus P.S.

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Mise en scène, production : FANG Yi-Ju

Interprètes : HUANG Chih-Mei (acrobate), WEN Ching-Ni (Taï chi), YANG Shih-Hao (roue Cyr), TSAO Yu (clown, mime)

Acrobatie/Cirque 

Durée : 50min/Tout public dès 3 ans

Un plateau nu, des artistes et quelques accessoires : le tour est joué pour offrir un spectacle joyeux, enlevé et fort bien rythmé. Avec ses acrobaties, ses numéros de clowns et d’arts martiaux (taï-chi-chuan), le public est invité à découvrir un spectacle certes sans paroles, mais ô combien parlant, basé sur la communication corporelle, ce langage universel : cette création originale parle de nos sociétés contemporaines et de la distance qu’elle met entre les êtres à défaut de les réunir.

Se mêlant au public, interagissant avec lui, les artistes brisent le 4ème mur inhérent à la représentation théâtrale : ici, vous n‘assisterez pas à des numéros spectaculaires de haute voltige où chacun retient son souffle de peur qu’un des artistes ne chute. Le temps n’est point figé dans l’éternité de l’instant : avec ses mouvements incessants de la roue Cyr dont la maitrise est totale ou encore les balancements ininterrompus de hula-hoops dans des positions les plus vertigineuses et inattendues, nous suivons le ressac impérieux du temps qui passe, qui s’égrène souvent trop vite, irréversiblement. Un mouvement infini qui nous happe chacun vers un ailleurs inconnu et lointain, nous éloignant les uns des autres.

Seul être hors du temps, l’attendrissant personnage clownesque incarné par Tsao Yu. A mi-chemin du mime et du clown, ce personnage à l’allure dégingandée, revêtu d’un long manteau à la collerette en plume, le visage souriant et avenant, le regard coquin et doux, les bras couverts de cerceaux de toute taille – rouges et jaunes, deux couleurs symboliques-, entre sur scène. Se balançant sur un pied, puis l’autre, jouant à la marelle, telle une enfant qu’elle est, elle est seule et s’amuse. Découvrant le public, son public, en Monsieur Loyal improvisé, elle lui sourit et lui présente la scène vide – ô tristesse qui traverse son regard- avant d’offrir à quelques spectateurs malicieusement choisis ses cerceaux : elle est en quête d’amis et jouer en solitaire n’est pas toujours très drôle.

Arrivent alors trois personnages : le pas pressé, le visage fermé et le regard vide, absorbé par un invisible écran, chacun marche tel un automate ou un robot, se fondant dans le public. Notre amie clown les observe de loin puis se rapproche de chacun, tentant de communiquer à sa façon avec eux, les taquinant, tentant de les faire participer à son jeu enfantin, essayant maladroitement de les tirer de leur torpeur, en leur offrant un cerceau, dont elle se sert de miroir, le nettoyant avec vigueur, à grands renforts de bruitages, onomatopées suggestives et grimaces inénarrables, comme elle l’a fait avec le public à son arrivée.

Et chacun de rester figé dans sa position, tels des marionnettes, voire ces jouets ou pantins que nous manipulons, enfant, et avec lesquels nous jouons, les désarticulant pour tester leur solidité ou encore les customisant avec des accessoires improbables. Et notre amie de tenter des lancers de cerceaux comme dans les fêtes foraines où on tente d’encercler le jouet convoité, et eux, de tomber, ou encore se redresser, exécuter un mouvement de taïchi délicat et souple, une acrobatie étrange avec la jambe, un mouvement de tête. Peu à peu, les trois personnages (re)prennent vie, s’extirpant de leur monde virtuel, en solo, en duo, en trio.

Ils se mêlent au public à nouveau, mais ils ont changé, leur visage s’anime et commence à s’éclairer. Des mimiques se dessinent sur leur face : un sentiment de joie, de tristesse, de jalousie, d’amour ou d’amitié, de fraternité envahit tour à tour les visages des acrobates. La grande roue tourne, les cerceaux volent, les rires fusent en silence, et à chacun de taquiner l’autre, de jouer avec lui pour mieux le retrouver. La douceur des mouvements qui guident les acrobates est à l’image de la rondeur du Yuan.

Nous assistons à une rencontre harmonieuse et joyeuse entre des êtres auparavant séparés. Chacun recouvre un peu de son côté enfantin, espiègle, à l’instar du clown qui les a réuni. La distance qui existait entre ses êtres s’étire, se brise peu à peu, avant de se disloquer totalement au plus grand plaisir de notre amie clown qui s’endort paisiblement en les regardant.

Le mélange des arts –acrobatie, taïchi et pantomime, théâtre- est ici réussi : chaque comédien acrobate est d’une expressivité remarquable, maîtrisant son art et en transmettant le gout au public. Qu’il s’agisse de HUANG Chih-Mei (acrobate), WEN Ching-Ni (Taï chi), YANG Shih-Hao (roue Cyr), TSAO Yu (clown, mime), tous sont de grand niveau avec une mention spéciale pour la championne de Taïchi et la jeune Chih Mei dont le duo duel (amoureux ou pour un garçon ?) est savoureux.

Ce mélange des genres sert également bien le propos, permettant au spectateur de suivre l’évolution des rapports entre les personnages, parabole de la distance existant entre les générations pré et post Smartphone, car l’introduction de cette technologie dans nos quotidiens a contribué à accélérer le bouleversement de nos rapports humains où personne ne se regarde ou ne voit l’autre, ne s’écoute ou n’entend l’autre. Nous pouvons apprécier ici ce retour aux sources de la simplicité du rapport à l’autre, sans le filtre de la parole, dans une immédiateté réjouissante.

Cette création bien pensée et judicieusement articulée fut un régal pour le public : l’expressivité toute théâtrale des artistes et leur maitrise des acrobaties et des arts martiaux sont magnifiques. Et même si, par moments, certains mouvements semblent se répéter, nul ennui ne surprend le spectateur. Un moment de pur plaisir et une belle surprise que cette subtile création toute en habileté et sensibilité, dérision et humour ! Diane Vandermolina

Rmt News Int • 25 juillet 2018


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