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La résistible ascension d’Arturo Ui (sortie du roman graphique éponyme, janvier 2017)

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Une irrésistible lecture pour une résistible ascension

 

 Comédien et illustrateur né en 1988, Simon Benattar-Bourgeay, réalise ici une adaptation illustrée de la pièce de Brecht « La résistible ascension d’Arturo Ui » écrite en 1941. Dans le roman graphique, les événements se déroulent dans les villes de Chicago et de Cicéro aux États-Unis pendant les années 20, période de crise économique mondiale. Le but est de donner une interprétation BD de la pièce de Brecht en focalisant le travail du dessin sur l’expression des visages et en la transposant dans une atmosphère digne des polars américains.

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L’ascension comparée

    Grand artiste allemand du XXème siècle, dramaturge, écrivain, metteur en scène, poète et critique de théâtre, Bertolt Brecht a combattu le fascisme et s’est battu pour la condition des travailleurs à travers ses œuvres et prises de position. En opposition au théâtre classique, il développe à travers son écriture la méthode de la distanciation plutôt que celle de l’identification au personnage pour amener le spectateur à développer son sens critique et (son engagement) politique, le pousser à prendre du recul et à réfléchir. La pièce éponyme du roman graphique est une parabole de l’ascension d’Hitler en Allemagne à la même époque, comparant les nazis à de vulgaires criminels.

En pleine crise financière les dirigeants d’un trust cherchent à obtenir un crédit de la Ville auprès d’un politicien nommé Hindsborough (Hidenburg), en lui offrant des parts dans la société. Un gangster montant au sein la pègre de Chicago, Arturo Ui, flaire une occasion d’étendre son pouvoir sur la ville lorsqu’il apprend qu’Hindsborough s’est laissé acheter par les dirigeants du trust. Il va alors faire pression sur ce dernier et sur les membres du trust pour en prendre le contrôle. À la manière d’Hitler, l’ascension d’Arturo Ui est fulgurante et il parvient finalement à contrôler Chicago (l’Allemagne) et Cicero (l’Autriche), la ville voisine, se jurant de continuer de plus belle.

Par le biais de connivence avec les milieux d’affaires, à force de manigances, de complots et de meurtres, Arturo Ui parvient à diriger le trust du chou-fleur et le marché des légumes de Chicago et de Cicéro.  L’ascension du gangster symbolise celle d’Hitler : l’incendie du Reichstag, les cours de diction et de posture, la complaisance des politiciens, juges et hommes d’affaires, l’annexion de l’Autriche, tout y est.

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Restitution réussie d’une ambiance inspirée des années 20

Le dessin en noir et blanc nous rappelle l’atmosphère des vieux polars américains, mettant le lecteur tout de suite dans le bain. Le style de dessin est très précis et plutôt axé sur les visages, très expressifs avec de grands yeux, des traits marqués et des rides prononcées. Le dessin est agréable et les émotions sont gravées sur les visages : colère, tristesse, joie sont bien retranscrites.

Tous les codes du polar sont ici respectés : le style vestimentaire avec les complets à rayures, les vieilles voitures et la fameuse mitraillette Thompson. Les stéréotypes des personnages, également, avec la représentation des politiciens corrompus, des capitalistes aux méthodes contestables et des gangsters se posant en garant de la sécurité publique. La réalisation reste en totale adéquation avec l’ambiance fort bien restituée du grand banditisme américain du Chicago des années 20. On peut également noter que le personnage principal est une sorte de mélange assez atypique entre Hitler et Al Capone.

Au niveau de la trame, les événements se déroulent de la même manière que dans la pièce de Brecht et on assiste ici à une adaptation fidèle de la satire brechtienne.

Le rythme est rapide, à aucun moment on ne s’ennuie, l’album demeure court mais bien cadencé.

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La distance pour mieux comprendre

Le langage soutenu des gangsters procure un effet comique sur le lecteur, qui ne s’attend pas à ce qu’Arturo Ui et ses comparses s’expriment en vers : cela induit un effet de distanciation qui porte ses fruits.

La comparaison entre les nationaux-socialistes et la pègre de Chicago atténue le côté morbide et glaçant des récits historiques sur le nazisme. Cela permet au lecteur de pouvoir réfléchir aux conditions qui ont favorisé l’ascension d’Hitler.

Car la distance permet de lever l’effroi suscité par cette période de l’histoire et laisse place aux questionnements : comment cela s’est-il passé, était-ce inéluctable ? La réponse se trouve dans le titre : La « résistible » ascension d’Arturo Ui.

Même sans lire la quatrième de couverture, la parabole avec l’ascension d’Hitler est évidente, on comprend très vite où l’auteur veut en venir.

Grâce à cette double distanciation, le lecteur se trouve dès lors plus à même à réfléchir rationnellement sur le comportement des Hommes, notamment les luttes de pouvoirs et manœuvres déployées pour accéder au sommet, auxquelles notre époque n’échappe pas.

 

In fine

Une lecture très agréable, quelques sourires et pour ceux qui ne connaissent pas la pièce, voilà une bonne occasion de voir l’ascension du nazisme en Allemagne sous un angle qui, sans tomber dans le pathos, offre une meilleure compréhension du phénomène.

   L’humour et l’ironie permettent en effet de prendre de la distance par rapport à l’horreur de l’Histoire.

À lire.

Mossé David

 

La Résistible Ascension d’Arturo Ui

De Bertolt Brecht et Simon Benattar-Bourgeay

Texte français d’Armand Jacob

Roman graphique

Sortie : 06 Janvier 2017

ISBN 978-2-85181-901-7

Broché – 96 pages –17 cm x 24 cm

18 €

Rmt News Int • 1 mai 2017


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