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La Roque d’Anthéron 2023: Anne Queffélec et le Hong Kong Sinfonietta Orchestra

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Anne Queffélec et le Hong Kong Sinfonietta Orchestra ont fait taire les cigales.

La pianiste française, dans une magnifique robe vert eau, se fond, avec grâce dans le paysage toujours féerique du Parc du Château de Florans.

Beethoven est au programme, Concerto N°4 en sol majeur opus 58 et la 7ème symphonie en la majeur, op. 92. L’intégrale des cinq concertos du géant allemand se répartira entre quatre pianistes français. (David Kadouch les 1er et 2ème, François-Frédéric Guy le 3ème, Anne Queffélec le 4ème, Bertrand Chamayou le 5ème); superbe initiative du Festival.

A Queffélec Hong Kong Sinfonietta Yip Wing-Sie © Valentine Chauvin 2023

Anne Queffélec est accompagnée par le Hong Kong Sinfonietta Orchestra, dirigé par Yip Wing-Sie.

Fondé en 1990, l’orchestre phare de la ville de Hong Kong, s’est attiré, depuis, une reconnaissance nationale et internationale qui ne cesse de grandir. Un large répertoire, allant de la période classique au monde contemporain et des passerelles mêlant danse et théâtre, prouve un désir régulier d’innovations.

Organisateur du Festival de films Life is Art, le Sinfonietta de Hong Kong, est l’un des fleurons du monde artistique asiatique avec sa cheffe emblématique Yip Wing-Sie, de 2002 à 2020.

A Queffélec Hong Kong Sinfonietta Yip Wing-Sie © Valentine Chauvin 2023

Le Concerto N°4 en sol majeur opus 58 est en trois mouvements: Allegro moderato. Andante con moto. Rondo vivace.

   Un départ insolite au piano dans l’Allegro moderato, loin des traditionnelles introductions d’orchestre précédant l’entrée du piano. Des accords posés avec délicatesse, c’est déjà la patte Queffélec, et un thème élégiaque repris par l’orchestre dans un relais subtil. Anne Queffélec montre toute sa science dans ce passage très mozartien, d’un legato soutenu; l’équilibre avec l’orchestre est parfait; une grande phrase en arpèges et gammes ascendantes entraîne un beau duo avec les bois.

Peu démonstrative, mais très habitée, Queffélec fait partie de ces pianistes sans manières, sobres qui rendent hommage à l’œuvre, en s’effaçant. Piano et orchestre respirent ensemble.

A Queffélec Hong Kong Sinfonietta Yip Wing-Sie © Valentine Chauvin 2023

Les cigales assourdissantes accompagnent la grande montée chromatique du piano pour annoncer la reprise du thème. La cadence finale, piano seul, est d’un romantisme plus écorché, annonçant Robert Schumann; entrée de l’orchestre sur les trilles du piano, cordes en pizzicato, grand moment de plénitude.

Andante con moto démarre par une grande phrase à l’unisson des cordes, passage sombre; le piano, en écho, pose des accords tragiques enchaînant un jeu de questions/réponses très prenant, qui se resserre peu à peu. Tout le mouvement semble suspendu sur des nuances pp (pianissimo), p (piano), avec cette exceptionnelle dernière phrase qui retient le temps et laisse parler les résonances. Troublant.

A Queffélec Hong Kong Sinfonietta Yip Wing-Sie © Valentine Chauvin 2023

Yip Wing-Sie semble jouer avec Queffélec, la pianiste semble diriger l’orchestre.

Rondo vivace: la tradition est à moitié respectée avec ce mouvement Rondo qui est, dans la période classique et préromantique, une forme typique (alternance Refrain/Couplets) et une expression plus joyeuse. Beethoven imprime une atmosphère plutôt triste avec un grand motif plaintif en nuance fortissimo (FF). La cadence est redoutable. Anne Queffélec joue à merveille les dessins, les motifs, les trais les plus vertigineux comme les plus délicats.

Une ovation méritée conclut cette première partie, avant un bis, véritable caresse baroque, alors que les cigales viennent de se taire: Le Menuet en sol mineur de Georg-Friedrich Haendel est un cadeau d’une pureté inouïe.

A Queffélec Hong Kong Sinfonietta Yip Wing-Sie © Valentine Chauvin 2023

En complément de ce magnifique concerto, la 7ème symphonie en la majeur, op. 92 du même Beethoven. On retrouve le Hong Kong Sinfonietta Orchestra dans l’étalement spatial et symphonique, sur la coque mythique de la Roque pour laisser parler les timbres. Formation beethovénienne habituelle: 30 cordes frottées, les vents (bois et cuivres par deux), timbales. Les 2 cors et les 2 trompettes entourent flûtes et hautbois, pour un merveilleux effet acoustique.

Dans le 1er mouvement Poco sostenuto. Vivace, deux moments différents. Un très beau motif d’entrée, un orchestre aux belles rondeurs puis d’immenses envolées avec des crescendos puissants qui semblaient retenus dans l’accompagnement du concerto.

Le tube de la 7ème est bien sûr le fameux Allegretto et ce rythme lancinant d’une longue suivie de deux brèves qui en fera sa renommée. Tout s’ordonne autour et par ce rythme. Wagner, grand admirateur de Beethoven, appela ce mouvement: l’apothéose de la danse car il y a ce départ sur la pointe, qui vient de loin et ce crescendo magique par l’ajout et la densité des instruments.

A Queffélec Hong Kong Sinfonietta Yip Wing-Sie © Valentine Chauvin 2023

Yip Wing-Sie, de sa main droite mécanique maintient le tempo quand la main gauche si expressive et libérée invite aux plus belles couleurs. L’orchestre prend alors tout son envol.

Stanley Kubrick ne s’était pas trompé par ce choix dans Barry Lyndon, en 1975: destin de ce jeune intrigant irlandais, sans argent, dans la fastueuse société anglaise du XVIIIème siècle. Ascension, audace, perversité. Chez Beethoven, une prodigieuse ascension avec l’audace des croisements de timbres. Et dire qu’il n’entendra jamais la beauté de ce thème unique!

   Depuis 1802 et la rédaction de son testament, à seulement 32 ans, invitant la mort à le surprendre, Beethoven est en proie au doute, au désespoir, à cause de sa surdité; il lutte contre un destin défavorable, mais il sait aussi se relever, prendre exemple sur des héros qui le fascinent et qui guideront son inspiration. L’énergie vitale que contient cette symphonie, sa remarquable unité sont les principaux exutoires pour Beethoven, ancré dans la certitude que l’exploration éblouissante du matériau sonore sera aussi un appel à l’Humanité pour croire en l’Artiste.

A Queffélec Hong Kong Sinfonietta Yip Wing-Sie © Valentine Chauvin 2023

Après ce moment de grâce et cette immense fugue, hommage aux maîtres Bach et Haendel, sublimé par le Hong Kong Sinfonietta Orchestra, les 3èmes et 4èmes mouvements apparaissent presque anecdotiques. Presto avec ce départ très rossinien, flûtes en contre-chant des cordes, rappelant l’ouverture de la Gazza ladra (La Pie voleuse) du compositeur italien. Festif et grandiloquent. L’Allegro con brio final, est un thème très militaire, martial qui contraste avec les deux précédents. Beethoven libère le souffle imprimé aux trois premiers mouvements. Les départs de chaque pupitre sont d’une grande précision; de grandes phrases legato aux cordes arrondissent l’ensemble pour un final éblouissant. Les cigales se sont tues.

Triomphe d’une magnifique soirée.

Yves Bergé

A Queffélec Hong Kong Sinfonietta Yip Wing-Sie © Valentine Chauvin 2023

Samedi 22 juillet 2023

Festival international de piano de La Roque d’Anthéron

  • Anne Queffélec piano
  • Hong Kong Sinfonietta Orchestra
  • Yip Wing-Sie direction

Rmt News Int • 25 juillet 2023


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