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La Roque d’Antheron 2023 : Regards de femmes ; regards, deux femmes.

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Être femme et compositrice, être femme et artiste, être femme au XIXème siècle…

Le Festival international de piano de la Roque d’Anthéron proposait ce mardi 25 juillet, un magnifique concert avec Célia Oneto-Bensaïd, pianiste et l’Orchestre national Avignon-Provence dirigé par Debora Waldman. Regards de femmes pour ces femmes compositrices injustement oubliées, délaissées, ignorées. Les plus connues, Fanny Mendelssohn, l’exceptionnelle pianiste Clara Schumann et ses Lieder si émouvants, commencent à se faire une place et bousculent l’ordre établi de confrères installés, omnipotents et parfois sans plus de talent. Comment exister dans l’ombre de Robert Schumann, de Félix Mendelssohn? Et que dire d’Alma, écrasée par l’immense Gustav Mahler!

L’Orchestre national Avignon-Provence dirigé par Debora Waldman présente La Nuit et l’Amour, extrait de Ludus pro patria (Jeu pour la patrie) d’Augusta Holmès (1847-1903). Cet interlude purement symphonique, fait partie de la Cantate symphonique pour chœurs et orchestre (texte en vers), créé en 1888. Nuance douce, pianissimo, aux vents, écriture verticale suivi d’un thème aux violoncelles soutenu par les cors et relais des bois; le motif de la flûte entraîne un crescendo du tutti, phrase d’un beau lyrisme qui ressemble à un intermède d’opéra. Holmès était fascinée par Wagner. Le tuilage des phrases, le legato des cordes peut rappeler l’écriture du maître de Bayreuth. Les trilles des flûtes invitent à une cadence finale de belle facture. Une pièce qui dévoile la direction fluide et très expressive de Debora Waldman, et un orchestre symphonique de qualité qui sait faire ressortir toutes les palettes de timbres avec un bel équilibre.

Célia Oneto-Bensaïd, Orchestre national Avignon-Provence, Debora Waldman © Valentine Chauvin

Célia Oneto-Bensaïd, pianiste reconnue internationalement, apparaissait alors dans un superbe ensemble blanc-or, pour nous dire toute sa passion, son engagement pour ces femmes injustement oubliées : Marie Jaëll, élève de Camille Saint-Saëns, protégée de Franz Liszt, était une immense compositrice, pianiste virtuose qui jouait l’intégrale des Sonates de Beethoven (32!); elle avait, dans ses doigts, toutes les œuvres pianistiques de Liszt! Elle composa ce premier concerto pour piano en ré mineur à 30 ans, le second quelques années plus tard. Bonne écoute! Une entrée en matière tonitruante, explosive! Micro en main, comme un slogan politique, la pianiste, très touchante avec cette envie de partager avec le public son combat de réhabilitation des compositrices oubliées. Rare à la Roque d’Anthéron avant un concert…

 Le Concerto en ré mineur de Marie Jaëll (1846-1925) garde la structure classique en trois mouvements. Le 1er, Lento-Allegro moderato, énonce un motif sombre aux cuivres; la pianiste joue deux motifs identiques puis déploie le troisième, de même écriture, mais plus développé, sur tous les registres du clavier, c’est brillant et puissant, démesure spatiale qui n’est pas sans rappeler Liszt. Le deuxième thème est un clin d’œil à la période impressionniste naissante, des vagues, en arpèges sur tout le clavier et un soutien des bois. Une mélodie accompagnée, plus apaisante, entraîne un déchaînement soudain. La technique époustouflante de Célia Oneto-Bensaïd permet de dompter l’écriture grandiose et très théâtrale de Marie Jaëll. Un déferlement de virtuosité.

Célia Oneto-Bensaïd, Orchestre national Avignon-Provence, Debora Waldman © Valentine Chauvin

Alternance de passages de couleur tragique et des moments plus joyeux, les tonalités se bousculent. La complicité avec la cheffe d’orchestre est électrique, malgré un positionnement curieux. Debora Waldman est devant son orchestre, vigilante, vaillante, de dos à la pianiste. Mais une complicité se crée, des regards de femmes, des regards de flammes et cette fin de mouvement magique avec les accords de l’orchestre et du piano, précédés de silences obsédants, silences en parfaite symbiose: fabuleux. L’Adagio est surprenant par la continuité de déferlement, des phrases habillées de grands arpèges, croisement des mains, chevauchée romantique sans fin, écriture de nouveau très «remplie».  Puis un thème à l’unisson aux deux mains, minimaliste, suivi d’un passage élégiaque, sur un souffle, plus rien, le silence, des accords dans l’aigu, repris par les cordes et des cors très présents. Le troisième mouvement Allegro con brio démarre par une série d’accords surprenants, dialogue piano/orchestre. Célia Oneto-Bensaïd, toujours si engagée, déploie sa merveilleuse expertise, sa connaissance de la compositrice découverte il y a quelques années. On sent ce plaisir étonnant de donner, de partager. Un thème espiègle et sautillant annonce un final brillant, très puissant encore.

La caractère intense, entier de Marie Jaëll trouve en Célia Oneto-Bensaïd l’interprète idéale. On pourrait penser à une virtuosité gratuite, une façon de surjouer pour prouver son talent à ses confrères masculins du XIXème siècle, pour exister: les traits, les motifs, les thèmes sont souvent à peine énoncés, puis aussitôt enjolivés, déployés sur tout le clavier, des guirlandes de notes incroyables, gammes ascendantes, descendantes, accords puissants, arpèges redoutables, comme si Jaëll devait bousculer les hiérarchies établies des hommes, par les hommes, bousculer les préjugés, ou simplement exister en tant que pianiste virtuose?

Célia Oneto-Bensaïd © Valentine Chauvin

Elle a 30 ans, à cette époque (1876). C’était surtout une pianiste remarquable côtoyant Saint-Saëns, Fauré, Liszt, Brahms. Quand Franz Liszt tricote tel ou tel motif et s’étale sur tout le clavier de manière ostentatoire, est-ce moins critiquable?

Il est surtout galvanisant pour cette merveilleuse pianiste de réhabiliter ces femmes, non parce qu’elles sont des femmes mais parce qu’elles ont composé des œuvres de grande qualité. Partir de rien, sans référence discographique, d’interprétation, est un pari osé car tout est à créer. Célia Oneto-Bensaïd, lauréate de nombreux prix internationaux, avec une discographie riche d’une dizaine d’enregistrements, ne s’installe pas dans un confort de répertoire. Son album Chants Nostalgiques sur la Mélodie française, a obtenu un ffff Télérama et elle sortira en octobre un nouvel album consacré à quatre femmes compositrices du XXème siècle.

Un travail sans relâche à la découverte de nouvelles compositrices, au sein des collectifs La Boîte à Pépites, Le Palazetto bruzane, Présence compositrices...

Célia Oneto-Bensaïd © Valentine Chauvin

Deux bis magnifiques, comme un hommage appuyé et une reconnaissance sincère: Dans les Flammes (Dix-huit Pièces pour piano d’après La Lecture de Dante, N°4) et Poursuite (idem, N°1) sont deux pièces pour piano solo de Marie Jaëll. La première est la métaphore du crépitement des flammes, arpèges sans fin de la main droite, dans un développement gigantesque pour une explosion spectaculaire, rappelant Le Vent dans la plaine de Claude Debussy (Premier Livre des Préludes) ou la Danse rituelle du feu de Manuel de Falla dans l’Amour sorcier. Ce qui prouve la modernité d’écriture de Jaëll! La deuxième pièce, théâtrale et grandiloquente, fait lever le public qui fait un triomphe à cette immense pianiste spectaculaire et si passionnée.

Avec la Symphonie N°1 en ut mineur op. 32 de Louise Farrenc (1804-1875), l’Orchestre national Avignon-Provence allait donner toute sa pleine mesure. Louise Farrenc, pianiste et compositrice, aussi injustement ignorée, pendant des décennies, était professeure de piano pour classe de filles (!) au Conservatoire de Paris de 1842 à 1872, les classes, celle de piano entre autres, étaient séparées selon le sexe des élèves et ne devinrent mixtes qu’en 1915 sous le directorat de Gabriel Fauré.

Elle compose cette première symphonie en 1841, à trente-sept ans, dans la continuité d’une grande tradition symphonique (Première Ecole de Vienne: Mozart, Haydn, Beethoven) mais avec des accents très personnels. Composition en 1841, création à Bruxelles en 1845, trois ans plus tard…! Farrenc composera 3 symphonies.

Célia Oneto-Bensaïd © Valentine Chauvin

Trois mouvements: Andante sostenuto-Allegro. Une entrée calme, posée, d’un lyrisme mendelssohnien, puis un motif très dansant d’une belle densité aux accents beethovéniens. Grande puissance dramatique à la fin du mouvement. L’Adagio cantabile garde cette atmosphère planante du début dans de grandes phrases legato. La proximité de Debora Waldman avec son orchestre permet un équilibre parfait, une précision des attaques et une libération des énergies.

Minuetto amène plus de tension. Tempo 3/4 habituel, grand développement aux cordes, puis cuivres et bois en dialogue dans le Trio, avant une reprise tutti très marquée.

L’Allegro assai est un travail sur les timbres où se détachent clarinettes et flûtes et un thème empli de mélancolie aux violoncelles sur les pizzicati des autres cordes.

Nommée Talent chef d’orchestre par l’Adami, en 2008, Debora Waldman est directrice de l’Orchestre national Avignon-Provence. Invitée par les orchestres de Nice, Monte-Carlo, Jérusalem…, elle dirige avec l’Orchestre National de France, la création mondiale de la Symphonie Grande Guerre (1917) de la compositrice française Charlotte Sohy dont elle a retrouvé la partition oubliée. (Cf le livre La Symphonie oubliée, portraits croisés de Charlotte Sohy et Debora Waldman, chez Robert Laffont).

Célia Oneto-Bensaïd, Orchestre national Avignon-Provence, Debora Waldman © Valentine Chauvin

Puisse ce regain d’intérêt pour les compositrices françaises du 19ème siècle et de la première moitié du 20ème siècle, être suivi de concerts, éditions, rééditions de ces partitions méconnues! Des compositrices largement oubliées après leur mort. Citons le remarquable ouvrage de la musicologue Florence LAUNAY, Les compositrices en France au XIXe siècle, Paris, Fayard, 2006, 544 p.

Dans les Histoires de la Musique du XXème siècle, l’absence des compositrices est criante. On sait maintenant, qu’à partir de sources diverses (New Grove Dictionnary of Women Composers, Londres 1992 et autres…) qu’un millier de musiciennes, environ, ont composé des œuvres données en concerts publics ou privés, entre 1789 et 1914, en France!! On connaît les destins malheureux de ces femmes de … On aura fait un grand pas quand on dira mari de…

Cette invisibilité dans le récit historique comme dans la caricature très ancrée d’une sensibilité féminine moquée, inapte à la création, malgré des talents reconnus, a été gommée ce soir, dans la magie de la Roque d’Anthéron. Célia et Debora, porte-paroles lumineuses de ces femmes oubliées. Un concert-référence grâce à deux femmes, immenses artistes, pour éveiller les consciences.

Yves Bergé

Crédit photos de Une : Célia Oneto-Bensaïd, Orchestre national Avignon-Provence, Debora Waldman © Valentine Chauvin

Concert mardi 25 juillet 2023

Festival International de piano de la Roque d’Anthéron

  • Célia Oneto-Bensaïd, piano
  • Orchestre national Avignon-Provence
  • Debora Waldman, direction
culturefestivalmusiquerégion paca

Rmt News Int • 28 juillet 2023


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