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The culture beyond borders

Garder la lumière allumée, l’exemple d’un théâtre 

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Alors que le couperet vient de tomber sur les lieux culturels ayant osé espérer une réouverture mi-décembre – certains ont d’ores et déjà saisi le conseil d’Etat avec un référé-liberté contestant au nom de la laïcité le bienfondé de cette fermeture forcée-, le Théâtre Toursky fait peau neuve en attendant des temps meilleurs, plus propices au partage de l’expérience théâtrale avec un espoir, en cas d’ouverture pour la rentrée de janvier, d’un assouplissement des horaires d’ouverture après 21h, heure à laquelle débutent les spectacles dans ce théâtre emblématique marseillais.

Le directeur, Richard Martin, a profité de la fermeture du lieu pour donner un coup de fraicheur aux peintures, « réaliser les travaux d’étanchéité » du toit dont la subvention a été votée par la municipalité mais également « réaménager la cafétéria et le piano bar pour en faire des espaces plus conviviaux afin que les spectateurs se sentent chez eux ici au théâtre ». Il était un des rares à assumer le choix courageux de refuser de se plier au dictat d’un couvre-feu, ne souhaitant pas s’aligner sur les horaires avancés des autres lieux, une hérésie pour cet homme de théâtre pour lequel  il est ridicule de réduire l’aventure théâtrale à la consommation d’un spectacle : «ce principe de précaution est une bêtise absolue : les aventures de théâtre, ce sont une fête » précise-t-il. Mais avec « cette épée de Damoclès au-dessus de nos têtes qui empêche tout le monde de respirer, nous ne savons pas où nous allons ». Nous vivons une « épreuve planétaire » et « j’espère qu’en Mars,  nous pourrons faire venir nos amis russes, qu’il n’y aura pas de troisième vague sinon…». 

Richard Martin, directeur du Toursky

En effet, bien que le théâtre reste ouvert pour les résidences artistiques des compagnies marseillaises, son directeur n’a pas pu se rendre en Russie pour répéter avec les jeunes russes la création qui devrait se jouer à l’occasion du Festival Russe en mars prochain. « Nous inventons quelque chose par visio, je vais essayer de tirer quelque chose pour que la vie continue », poursuit-t-il.

C’est une première pour l’homme plus habitué au contact humain et au rapport direct. « J’ai confiance en leur qualité artistique et en leur apprentissage rigoureux : ce sont des artistes complets, ils chantent, ils dansent, ils jouent…  et j’ai déjà fait des masters class avec eux, je les connais pour la plupart». Le regret de ne pouvoir se rendre à Saint-Pétersbourg pour y donner ses master-classes  est palpable, néanmoins, l’espoir est là de faire venir les comédiens du Théâtre d’Etat de la Jeunesse de Saint-Pétersbourg. « C’est un théâtre où il y a plus de 450 personnes de tout âge » nous explique-t-il, dévoilant l’origine du nom de la troupe qu’il a créé là-bas : La troupe de la petite cuillère, en référence à un film russe dans lequel pendant la guerre des personnes enfermées ont creusé un tunnel avec des petites cuillères pour s’évader de leur geôle. C’est Nikita, un des jeunes de la troupe qui lui a raconté cette histoire. « La petite cuillère est devenue le symbole fort de la résistance et avec la bande, nous avons choisi d’en faire un club » conclue-t-il.

La résistance,  crédo de ce théâtre qui porte haut les couleurs de la liberté, égalité et fraternité sur son fronton lumineux.  « Nous poursuivrons l’effort jusqu’au dernier souffle afin de faire en sorte que les peuples se rencontrent et s’aiment », précise celui qui, pour affirmer la paix, a détourné un navire de guerre de par le passé. L’amour, ou la fraternité, est un des thèmes de la création qu’il présentera avec les jeunes russes. « Un spectacle autour de l’âme russe, son  mystère, son énergie, sa vigueur, amenés avec joyeuseté par des gens qui veulent partager cette utopie dont nous avons besoin.  Ce sont des moments précieux : en 25 ans, une véritable amitié s’est créée entre le public et les artistes. Ce n’est pas seulement la consommation d’un moment artistique. On jette des ponts certes fragiles, on allume des feux mais on a besoin de relai, de bienveillance politique, pour garder la lumière allumée, pouvoir continuer à ouvrir ce lieu à un maximum de gens et non à un « cercle de privilégiés » », et rajoute-t-il, «il faut continuer de rêver en grand pour ne pas perdre de vue son rêve » citant René Char. Une bienveillance mais également une aide au transport des artistes car pour ce projet-là, à l’initiative de Richard, la Russie ne finance pas le voyage au contraire des autres spectacles accueillis lors du Festival Russe. « Je dois assumer et trouver des moyens de faire venir la troupe ici », en espérant que l’horizon s’éclaircisse d’ici mars.

Entretemps, le casse-tête lié aux annulations et reports de spectacles pèse déjà sur la saison à venir, au Toursky, également dans les autres théâtres à la santé financière bien fragilisée par ces « stop and go » incessants qui ne laissent guère présager d’un avenir serein. Un vent de tempête s’est levé et commence à souffler dans les lieux de culture ainsi asphyxiés, de nombreuses voix appellent à se soulever, à lutter contre ces choix iniques et injustes, à faire front commun pour tenter de s’extirper de cette lente agonie annoncée.  Diane Vandermolina

Photo de Une: image libre de droit/copyright DR

Rmt News Int • 11 décembre 2020


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