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Musical Bounce Back, un projet artistique et pédagogique au service de la visibilité des compositrices

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Tel Ulysse de retour à Ithaque après un long périple, Musical Bounce Back revient à Marseille après un parcours de 3 ans dans plusieurs pays européens : Chypre, Arménie, Grèce et Portugal. Nathalie Négro nous dévoile les contours de cette étape finale d’un projet au long cours qui a démarré à Marseille et dont la mise en bouche était une conférence sur les compositrices oubliées. L’occasion de rappeler que malgré la mise en place de lois en faveur de la parité, en Musique, les femmes restent encore très minoritaires, notamment en termes de composition et de direction.

La directrice de Piano and Co, fervente défenderesse du matrimoine musical, développe en préambule les raisons de ce projet. « Les compositrices ont été effacées de l’histoire au fur et à mesure que l’histoire de la musique s’est écrite. Elles ont disparu, elles se sont évaporées et nous tentons de les réhabiliter, les réintégrer et les faire ressurgir de l’histoire. Je pense qu’il faut vraiment travailler là-dessus avec les jeunes. Mobiliser les jeunes, leur faire prendre conscience de cette invisibilité. C’est un sujet très important qui me tient énormément à cœur. Et Musical Bounce Back a pour objectif de mettre en avant ce matrimoine musical passé et présent que je défens depuis toujours. Dans chaque pays visité, on a rencontré des compositrices, découvert de nouvelles et redécouvert certaines que nous connaissions. »

Interview

Diane Vandermolina : Vous faites appel à deux compositrices contemporaines pour les concerts de clôture du projet.

Nathalie Négro : Oui, la première, Eve Risser a composé pour la trentaine de musiciens qui participent au projet. Eve est à la frontière de différentes esthétiques : c’est très important parce qu’elle travaille entre le jazz, la musique contemporaine, classique et traditionnelle. Elle prend en compte dans son écriture musicale l’héritage de musique traditionnelle des jeunes musiciens du projet. Il y a un mixte entre ce qui est contemporain et traditionnel dans sa composition pour orchestre. Et le fait que les jeunes musiciens viennent de 5 pays différents permet d’avoir un mélange intéressant. Elle a travaillé du début jusqu’à la fin du projet avec eux. Eve nous a suivis dans tous les déplacements pour travailler avec les jeunes de chaque pays et elle écrit véritablement pour eux. C’est une oeuvre pour orchestre et bien sûr il y a un côté plus écrit que dans le jazz mais elle garde dans sa composition cet esprit jazz et l’héritage traditionnel en les mêlant avec l’écriture d’aujourd’hui.

DVDM : Vous avez également fait appel à une autre compositrice d’origine grecque, Esthir Lémi

NN : Oui, c’est une compositrice d’électro-acoustique et elle a écrit une pièce pour harpe, piano et marimba. Il y a trois musiciens du projet européen qui vont interpréter sa pièce. Elle travaille des partitions graphiques car elle est plasticienne et musicienne et sa création est une bande électro-acoustique : elle s’appelle Calculi Mediterranei.

DVDM : A ce propos, pour ce projet, vous avez travaillé avec le LICA, le laboratoire d’intelligence collective artificielle.

NN : Oui, ça fait de longues années qu’on travaille ensemble. Ils ont été surtout présents pour le site web qu’on va créer pour que les jeunes puissent avoir accès à toutes les ressources qu’on a accumulées pendant trois ans. Ils étaient là aussi pour faire toutes les animations d’atelier et je trouvais ça pertinent de voir comment les nouvelles technologies peuvent s’intégrer au niveau de la création, de la recherche musicale et de la transmission. C’est une collaboration très fructueuse qu’on développe avec eux depuis plusieurs années.

DVDM : Parlez-nous du programme des 3 soirées.

NN : Le jeudi, il y a la projection d’un film sur les pionnières de l’électro-acoustique avec la voix de Laurie Anderson qui retrace tout ce qui s’est passé en électro acoustique depuis le début du 20ème siècle et après, il y a quatre compositrices qui seront jouées. C’est une soirée électro-acoustique. L’ L’électronique étant surtout un domaine masculin, il nous a paru intéressant de faire un focus sur les compositrices. Puis vendredi soir, il y a une première partie avec des compositrices qu’on a rencontrées depuis le début du projet, des compositrices des cinq pays et les musiciens vont jouer, non pas en orchestre pour cette première partie, mais en duo, en trio, en quatuor. La deuxième partie, c’est la création d’Eve Risser où tous les musiciens vont se retrouver. Le samedi est une journée intense, il va y avoir une belle table ronde. Parce qu’à Piano & Co, on fait des mélanges d’esthétiques, il y aura une jeune rappeuse, Amalia, il y aura une chanteuse de jazz, Macha Gharibian, Eve Risser et une autrice qui a écrit un livre qui s’appelle Les femmes musiciennes sont dangereuses. Cette table ronde est animée par un homme spécialiste de cette question d’égalité des femmes. Puis, la réalisatrice, Anne Alix qui a fait un documentaire sur tout le projet, va en montrer quelques extraits et il y aura une rencontre avec elle. Le soir, il y aura le deuxième concert avec une première partie avec des compositrices qu’on a rencontrées au fil du projet et la deuxième mondiale d’Eve Risser, on rejoue la pièce qui aura été créée la veille. C’est très dense.

DVDM : Comment avez-vous rencontré ces compositrices ?

NN : Ce sont les pays qui nous ont proposé des femmes : on ne les connaissait pas, parfois elles ne sont même pas éditées, et il a vraiment fallu aller faire des recherches pour les découvrir et dans chaque pays, ça a été une vraie découverte des compositrices : c’est ce qui a motivé toute la démarche, la recherche car on est sur la valorisation du répertoire, sur le matrimoine musical. On a imaginé un kit pédagogique, une sorte de guide d’emploi. Comment peut-on changer les habitudes dans les conservatoires, dans les écoles de musique ? Comment peut-on faire pour valoriser les femmes compositrices, les cheffes d’orchestre et changer la donne pour que ce ne soient pas toujours les garçons qui jouent de la trompette et la fille à la harpe, changer les habitudes etc…. ? C’est aussi ce qu’on a essayé de faire avec notre groupe de jeunes, on est à peu près 50-50 de garçons-filles avec une fille à la trompette.

DVDM : Non seulement il y a eu une recherche mais aussi une mise en pratique effective. Par ailleurs, le projet a reçu le label “ONU Femmes France / Génération Égalité”, en 2023 pour tout le travail mené.

NN : C’est une belle reconnaissance au niveau du travail et de notre engagement aussi d’autant plus que des projets comme ça, d’aussi grosse envergure avec 5 pays différents, c’est assez compliqué à mettre en place. Piano & Po est leader de ces projets et c’est très compliqué, surtout quand on touche des pays de différents endroits comme la Grèce, le Portugal, l’Arménie qui sont assez éloignés les uns des autres. C’est cependant intéressant de voir comment, par exemple l’Arménie pense le matrimoine…

DVDM : Quel est l’impact de ce projet sur les enseignants avec lesquels vous avez travaillé ?

NN : La plupart des enseignants ne s’étaient pas vraiment posé la question, et ça a un peu réveillé les consciences. Et pour cela sur le site web, on trouvera des interviews de compositrices, des micros trottoirs, des enquêtes, des captations des conférences….On veut qu’il soit le reflet du travail de réflexion mais aussi du travail sur le terrain qui a été mené. Pour finir, le kit pédagogique, la boîte à outils, va permettre à d’autres conservatoires de réfléchir sur ces questions, voire utiliser ces outils qu’on a développés et les intégrer au sein de leur conservatoire : par exemple en imposant de jouer des compositrices dans les concours de fin d’année pour les instrumentistes afin de permettre aux jeunes d’avoir des modèles. Par exemple, il n’y a pas beaucoup de cheffes d’orchestre femmes et c’est difficile de s’imposer en tant que femme. Depuis 2020, il y a un concours de femmes cheffes d’orchestre mais il y a beaucoup de travail à faire. On a seulement mis un doigt dans l’engrenage.

DVDM : Avez-vous de nouveaux projets à venir ?

NN : Oui, je suis déjà en train de réfléchir sur le prochain projet, et comme on commence à avoir une expérience de cette thématique, on a les outils, on a les ressources, on a déposé un projet européen Europe Créative, et non Erasmus + comme celui qu’on présente à Marseille. C’est toujours enrichissant d’aller se confronter aux autres cultures. On va avoir des pays des Balkans et peut-être du Nord, pour confronter ces cultures qui sont peut-être un peu moins sur le patriarcat que celles du Sud.

DVDM : Et maintenant, vous êtes non seulement Présidente de la Cité de la Musique, mais en plus membre du CA de la Casa Velázquez.

NN : C’est une reconnaissance de travail, de la qualité aussi. Ça permet de mettre des femmes dans des sphères de direction. C’est important parce que qu’il n’y en a pas beaucoup. Mais, aujourd’hui, on commence à avoir des oreilles et des yeux attentifs.

DVDM : Est-ce qu’il y a, par exemple, une petite anecdote qui a été dans cette aventure-là marquante pour vous ?

NN : Il y a eu une anecdote. C’est que pendant notre déplacement en Arménie, je racontais aux jeunes Arméniens mon parcours. Je leur racontais qu’on m’avait dit quand j’ai passé un concours de piano, bravo, tu as un beau jeu masculin. À 14 ans, on m’avait dit ça. Et il y a une jeune fille arménienne, une jeune pianiste qui m’a dit, écoute, on m’a dit la même chose cette année. Donc, après tant d’années – elle peut être ma petite-fille- on lui a dit la même chose. Ce qui est complètement ridicule de dire qu’il y a un jeu masculin ou un jeu féminin. Je défie quiconque de reconnaître sur un même morceau de musique, si c’est un garçon ou une fille qui joue, c’est impossible. Et ils le disent aussi des cheffes d’orchestre femmes, de leur façon masculine de diriger. C’est quand même assez terrible. Mais, allez, on va dire que ça bouge un tout petit peu.

DVDM : En comparaison avec les compositrices anciennes ?

NN : Oui, Clara Schumann et Fanny Mendelssohn ont écrit beaucoup d’œuvres. Pourtant, Fanny a été interdite par son frère et surtout par son père. Mais il reste quand même quelques partitions. On peut avoir un petit doute, puisque son frère s’appelait Félix et elle s’appelait Fanny. Et quand il y a une partition, il y a un F. On a un doute si c’est Fanny ou Félix. Mais ces femmes-là, ces anciennes compositrices, ne devaient pas s’exposer en public. Il y avait une interdiction, un empêchement de la part des pères, des frères et des maris.

DVDM : Et le fait que maintenant, il y en ait moins d’interdiction, est-ce que ça permet aussi aux femmes compositrices d’être un peu plus reconnues ?

NN : Elles prennent un peu plus de place. Mais franchement, le chiffre des programmations de femmes n’est pas énorme. On est en-dessous des 10%.

DVDM : Et est-ce que l’autocensure, par exemple, est encore très présente ?

NN : Je pense qu’elles s’autorisent moins ou qu’elles s’autorisent moins à prendre de la place. Peut-être pas de l’autocensure, mais d’être en manque de confiance. C’est vrai que ce n’est pas évident d’arriver, dans un monde plutôt patriarcal, à s’imposer. Surtout que la musique reste quand même très, très masculine. En jazz, c’est terrible. On voit un peu plus de femmes, mais, les femmes, ce sont surtout les voix. Si on demande de citer des compositeurs ou des compositrices, le chiffre de d’énumération de compositrices sera très petit alors que pour les compositeurs, on va citer Beethoven, Chopin, Mozart, ça vient plus facilement. Et tout le but du projet est de permettre aux enseignants d’enseigner autrement, d’ouvrir un petit peu des pages blanches sur des choses qui ont été oubliées. Effacées.

A partir de ce jeudi, venez découvrir ces « Rebondissements musicaux » inédits proposés par Piano and Co. Un temps fort à ne manquer sous aucun prétexte ! DVDM

 

Programme du 11 au 13 avril 2024 :

JEUDI 11 AVRIL Conservatoire Pierre Barbizet – Marseille

Film

18h : « Sisters with transistors » film réalisé par Lisa ROVNER, 2021

Concert électroacoustique

20h : Création mondiale Esthir LEMI, oeuvre d’Angela da PONTE

VENDREDI 12 AVRIL Conservatoire Pierre Barbizet – Marseille

Concert

20h : Création mondiale d’Eve RISSER, soirée « Compositrices européennes »

SAMEDI 13 AVRIL Conservatoire Pierre Barbizet – Marseille

Table Ronde

14h45 : Rencontre modérée par Pierre-Yves GINET, journaliste

avec : Eve RISSER, compositrice ; Annie COSTE, autrice « Les femmes musiciennes sont dangereuses »

Macha GHARIBIAN, pianiste compositrice ; Amalia, rappeuse

Projection

16h : Extraits du documentaire « Musique Maestra ! », réalisé par Anne ALIX

Suivie d’une rencontre

avec : Anne ALIX réalisatrice ; Eve RISSER, compositrice ; Nathalie NÉGRO, directrice artistique de PIANO AND CO

Concert

20h : Concert de clôture, soirée « Compositrices européennes »

Bon à savoir :

DU 8 AU 13 AVRIL Conservatoire Pierre Barbizet – Marseille : 1 PARCOURS, EXPOSITION ITINÉRANTE

Un parcours singulier, pour tout public a été imaginé par la directrice artistique de PIANO AND CO. Nathalie NÉGRO, afin de sensibiliser le public à l’invisibilité des compositrices. C’est à Claudine BERTOMEU qu’a été confiée toute la scénographie de la déambulation qui aura lieu au sein du Conservatoire Pierre Barbizet de Marseille. Différents espaces ont été investis afin de jouer sur la visibilité et l’invisibilité des compositrices. Le public pourra déambuler au fil des étapes proposées, où il découvrira des projections vidéo, des stations d’écoute, des informations retraçant l’histoire des compositrices des pays impliqués dans le projet, des portraits de compositrices affichés

Entrée libre

MUSICAL BOUNCE BACK ce sont :

5 pays euro-méditerranéens partenaires

10 enseignant.e.s impliqué.e.s

30 jeunes musicien.ne.s au coeur du projet

50 000 étudiant.e.s impacté.e.s dans l’ensemble des établissements

Infos pratiques :

Conservatoire Pierre Barbizet – Marseille 2 Pl. Auguste et François Carli, 13001 Marseille

Tarifs

Concerts vendredi / samedi : Tarif plein 15€ / Tarif réduit 8€

Concert électroacoustique : 12€ / Tarif réduit 7€

Film “Sisters with transistor” : 7€

Concert électroacoustique + film : Tarif plein 15€ / Tarif réduit 10€

 

Rmt News Int • 8 avril 2024


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