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Le Conte des Contes : Un voyage théâtral jubilatoire au cœur des contes revisités de Basile

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Après une escale au Toursky à Marseille en février dernier, le Conte des contes d’Omar Porras poursuit sa route, posant ses valises au Cratère à Alès les 24 et 25 avril prochains. L’occasion pour les curieux de (re)découvrir cette création où le metteur en scène revisite les contes populaires avec une énergie baroque et un humour noir irrésistible.

Cette adaptation théâtrale jubilatoire de l’œuvre de Giambattista Basile, à la fois cruelle et irrévérencieuse, destinée à un public à partir de 12 ans, nous plonge dans un univers foisonnant où se mêlent grotesque, sublime, cabaret et érotisme pour un voyage initiatique aux sources du théâtre populaire.

En préambule

Publié à titre posthume en 1634-1636, « Le Conte des contes » est la première compilation importante de contes de fées publiée en Europe. Les récits, éloignés des canons du conte de fées développés à la fin du XVIIe siècle, traitent du pouvoir monarchique, de la société de cour, ou encore des relations entre les classes sociales.

Ecrit à l’origine en napolitain, le recueil contient les premiers exemples de célèbres histoires comme Cendrillon, Le Chat Botté, Raiponce… Il a eu une influence majeure sur la littérature du genre, notamment Perrault. Redécouvert au XIXe, il est considéré comme l’ancêtre des contes merveilleux européens. Son style encore proche du conte populaire traditionnel témoigne du folklore de l’époque.

crédit photo: DR

Cependant, il marque les débuts de l’émergence du conte de fées en tant que genre littéraire à part entière. « Le Conte des contes ou le divertissement des petits enfants » sera ultérieurement intitulé Il Pentamerone, vers 1674, en référence au Décaméron de Boccace (1349-1353), dont il reprend le schéma général. Quarante-neuf des cinquante contes du livre sont introduits par un premier conte qui leur sert de cadre, et dans lequel un groupe de personnes, durant cinq journées, sont amenés à raconter des histoires.

Le récit-cadre qui constitue un conte à part entière est un conte de type AT 425, à l’image de celui d’Amour et Psyché dans L’âne d’Or d’Apulée. Basile y raconte l’histoire de la princesse Zoza, unique fille du roi de Vallée Velue qui n’arrive pas à la divertir : dans ce conte de fée, la jeune princesse déchue, maudite par une vieille femme dont elle s’était moquée, devra affronter et surmonter de multiples épreuves afin de retrouver son Prince et l’épouser.

Une thérapie par le conte

crédit photo: Lauren Pasche

Ici, l’histoire d’Omar Porras débute dans une demeure au cœur d’une forêt. Monsieur et Madame Carnesino se sont mis à table avec leurs enfants, Prince qui refuse de parler et Segondine, sa jeune sœur. Ils n’arrivent pas à arracher Prince à la mélancolie et craignent que Segondine ne soit contaminée par ce mal pernicieux. Arrive alors le Docteur Basilio en qui ils placent tous leurs espoirs.

La thérapie révolutionnaire du bon Docteur repose sur la narration de contes : « il était une fois, il était deux fois, il était trois fois… » Répète, tel un mantra, notre Monsieur Loyal, le maître de cérémonie, nous avons nommé le pétillant et sémillant Docteur Basilio. S’en suit une succession d’histoires tragicomiques, d’épopées musicales et de poèmes fantaisistes, revisités avec audace et inventivité, où une pléiade de personnages féminins se succède devant le jeune homme.

crédit photo: Lauren Pasche

La succession de ces récits, intrigues amoureuses tantôt drôles, tantôt merveilleuses, tantôt inquiétantes, dessine un parcours initiatique au jeune homme et l’amène sur la voie de la guérison, entrainant Prince -et le public- dans un tourbillon d’émotions et de réflexions sur la société, le pouvoir et les relations humaines.

Des contes revisités

crédit photo: Lauren Pasche

Parmi les contes revisités, la Gatta Cerentolla présente une Cendrillon farouche et un tantinet manipulatrice, fort éloignée des versions édulcorées de Perrault. Incarnée par deux comédiennes qui parlent et agissent en symbiose totale, elle raconte à Prince comment elle a assassiné ses marâtres successives. Le jeune homme se retrouve à la place d’une troisième et bien douce Cendrillon. Le regard hébété, il assiste à leur récit, puis, de plus en plus apeuré, fuit les deux furies.

Dans l’Ourse revue et corrigée, on découvre la bella Precioza qui se coupe les mains pour fuir un père incestueux voulant la prendre pour femme. Transformée en homme par une fée, elle redevient la plus belle femme de la contrée et ses mains repoussent lorsqu’elle rencontre l’amour.

crédit photo: DR

Pêle-mêle, le Docteur Basilio nous conte une version paysanne de Peau d’âne avec le personnage de Zapatella ; une version étonnante de la Belle au Bois Dormant dans Le soleil, la lune et Thalie où la belle endormie est jouée par Prince, l’histoire du Chaperon Rouge vorace, du serpent amoureux d’une belle, du comédien transformé en crapaud ou encore L’histoire des trois cédrats ou L’amour des 3 oranges par lequel s’achève le spectacle avec son joyeux french cancan sauce burlesque.

Un spectacle total

La mise en scène d’Omar Porras est un véritable festival baroque, où l’exubérance et la théâtralité sont poussées à leur paroxysme. Déployant une mise en scène inventive, où se mêlent musique, danse, chant et jeu d’acteur et où chaque élément contribue à l’expérience immersive du spectateur, le metteur en scène offre à nos sens un spectacle total.

Il joue sur les contrastes, tant au niveau visuel que thématique : le sublime côtoie le grotesque, le comique flirte avec le tragique, et l’érotisme se teinte de violence : certaines scènes peuvent choquer, à l’image de celle du repas de famille. Ces oppositions créent une tension dramatique et maintiennent l’attention du public en éveil.

crédit photo: Lauren Pasche

On retrouve également dans sa mise en scène des éléments de la Commedia dell’arte, en l’occurrence dans le jeu des acteurs, leur gestuelle et les improvisations. Cet héritage contribue renforcer l’énergie comique et la dimension populaire du spectacle, en particulier grâce au personnage du conteur-acteur, le Docteur Basilio aux multiples talents, à la fois chanteur, musicien, danseur et mime.

Des comédiens étonnants

Les comédiens au jeu expressionniste incarnent avec brio des personnages hauts en couleur : le père, loup garou dévoreur de chair ; la mère, une hyène à la beauté glaciale; le fils, Prince, un gringalet qui refuse de dire un mot ; Segondine, la sœur de Prince dotée de lunettes à double foyer qui lui mangent un visage ingrat, les cheveux ornés de couettes de petite fille intelligente, un tantinet perverse; le docile cuistot ‘transformiste’, un bon chien qui pourtant n’est pas sans rappeler Hannibal Lecter avec son masque noir recouvrant sa bouche pour l’empêcher de dévorer ses maitres, et la servante, une belle plante muette.

crédit photo: DR

Il ne faudrait point oublier le lapin Velazquez, une peluche plus vraie que nature et un personnage à part entière dont la fin de vie n’est guère enviable. « Il s’appelle Velazquez par ce qu’on l’a peint » apprenons-nous de la bouche du docteur Basilio, peu avare en blagues. Le docteur Basilio qui a toujours le verbe juste et la saillie opportune est un personnage à la fois drôle et inquiétant. Citons son savoureux « Je gagnerais plus avec un crapaud qui parle qu’avec un comédien qui joue » de la jeune fille qui refuse un baiser au comédien transi d’amour pour elle, hélas!, transformé en crapaud.

Le travail corporel des comédiens avec leurs mouvements chorégraphiés et leur manipulation de la peluche qui prend vie sous nos yeux, est étonnant de justesse, avec une mention spéciale pour Philippe Gouin à la gestuelle d’une précision chirurgicale, comédien complet aux multiples talents. Citons la scène avec la cervelle ou ses accroches, face public. Le jeu de l’acteur qui incarne Prince est à saluer : dos public, écoutant la radio et son programme remontant le temps, Un conte entre 23 h et 22h59, son dos happe littéralement le regard du spectateur.

crédit photo: Lauren Pasche

Une scénographie sublime

La scénographie est à la fois réaliste et fantastique. La table du banquet, avec ses carcasses d’animaux et ses boyaux, véritable œuvre d’art macabre, est un exemple frappant de l’esthétique macabre et baroque du spectacle. Lorgnant du côté d’un Tim Burton, voire d’un Peter Jackson à ses débuts, elle transporte le spectateur dans un univers gothique et merveilleux. Mention spéciale pour les costumes colorés des personnages, à la fois extravagants et grotesques. Ils renforcent l’aspect carnavalesque de la pièce. Chaque détail visuel contribue à créer une ambiance immersive et à stimuler l’imagination du spectateur.

La musique : le 8ème acteur de la pièce

Dans « Le Conte des Contes », la musique n’est pas un simple accompagnement, elle est un acteur à part entière de l’expérience immersive du spectateur. Elle joue un rôle essentiel dans la création de l’univers baroque du spectacle, accompagnant les scènes, soulignant les émotions et participant à la construction des ambiances. Tantôt joyeuse et festive, tantôt sombre et inquiétante, elle contribue à l’intensité dramatique de chaque scène, à l’immersion du spectateur et à la création d’un univers théâtral unique et captivant.

crédit photo: Lauren Pasche

Par exemple, le choix du morceau de guitare électrique, lors de la scène où le cuisinier se transforme en hard rocker métaleux, renforce le côté enragé d’un personnage blessé, sans cesse rabaissé. Ce dernier apparaît dans une cage sous des lumières stroboscopiques blanches tel un être, mi-homme mi-bête, assoiffé de sang et déchainé, qui veut rompre ses chaînes pour être ce qu’il est.

La musique annonce également les changements de scène et de décors : la scène où Segondine, assise sur un plateau tournant, joue un morceau de piano allant crescendo jusqu’à ce qu’elle disparaisse de scène marque un tournant dramatique. Le pizzicato de la contrebasse exécuté par le mélancolique Prince crée, quant à lui, une douce respiration musicale traduisant la tristesse de Prince.

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Les jeux de lumière jouent un rôle important dans la création d’atmosphères : utilisés pour créer des contrastes, souligner des moments clés de la narration ou encore accompagner les mouvements des acteurs, ils sont essentiels à certaines scènes. La scène de la tempête est, en tout point, un exemple de réussite en termes de création lumière, visuelle et sonore. Les effets sonores, ici le bruit du vent tempétueux, contribuent à l’immersion du spectateur en créant un environnement sonore réaliste et suggestif.

Saluons ici le travail des techniciens sans lesquels le spectacle ne pourrait avoir lieu, ni sa magie par ailleurs. Ils font partie du spectacle à part entière.

crédit photo: Lauren Pasche

Un humour noir et une critique sociale acerbe

Le spectacle ne manque pas d’humour noir et d’ironie. Omniprésents dans le spectacle, ils créent une complicité avec le public et l’invitent à réfléchir sur les thèmes abordés. Le rire devient alors un outil d’immersion et de distanciation critique. Ici, les contes revisités à la sauce gore et les interludes musicaux décalés – citons la balade du Docteur Basilio- provoquent le rire tout en questionnant les travers de notre société. Le slam poétique de Prince, véritable ode anticapitaliste dénonçant la maltraitance animale, illustrent la dimension engagée de la pièce.

crédit photo: DR

Bien que le spectacle ne soit pas interactif au sens strict du terme, il crée une proximité avec le public grâce au jeu des acteurs et aux interpellations du maître de cérémonie. Le spectateur se sent impliqué dans l’histoire et partage les émotions des personnages.

In fine, « Le Conte des Contes » est un spectacle total, à la fois drôle, intelligent et visuellement époustouflant. Omar Porras et le Teatro Malandro nous offrent une expérience théâtrale unique, qui ravira les amateurs de contes et de théâtre populaire. Elle transporte le spectateur dans un univers unique, où l’émotion, l’humour et la réflexion se mêlent pour une expérience théâtrale inoubliable. Ne manquez pas ce voyage initiatique au cœur de l’imaginaire et de la théâtralité !

Diane Vandermolina

Le Conte des contes

D’après Lo Cunto de li cunti (Le Pentamerone) de Giambattista Basile

Production : TKT Théâtre Kléber-Méleau; co-production Théâtre de Carouge avec les soutiens de Pou-cent culturel Migros, de la Fondation Champoud et de la fondation suisse pour la culture Pro Helvetia pour la tournée.

Conception et mise en scène : Omar Porras – Teatro Malandro

Adaptation et traduction : Marco Sabbatini et Omar Porras

Avec : Simon Bonvin, Melvin Coppalle, Philippe Gouin, Marie-Evane Schallenberger, Jeanne Pasquier, Cyril Romoli et Audrey Saad

 A partir de 12 ans

En tournée :

Le Cratère, scène nationale d’Alès (FR) – 24 et 25 avril

Théâtre Nanterre-Amandiers (FR) – du 16 mai au 1er juin

En une, crédit photo: DR

Pour en savoir plus :

GIAMBATTISTA BASILE — Né en 1575 à Naples, Giambattista Basile est engagé dans l’armée de Venise où il vit jusqu’à trente-trois ans : après quelques mois passés loin de sa ville natale, à Mantoue, en 1612-1613, il est gouverneur d’Avellino en 1615, puis d’Aversa et de Giugliano, en Campanie, où il meurt en 1632. Il a écrit de la poésie comme Les Pleurs de la Vierge (1608), des Madrigaux et odes (1609), des Églogues amoureuses(1612), mais aussi un drame en cinq actes, Vénus affligée (1612), et Le Conte des contes ou Le Divertissement des petits enfants (vers 1625). Dans cette dernière somme composée en napolitain, il joue aussi bien de la gouaille de figures populaires que de la préciosité du baroque italien.

OMAR PORRAS — Après avoir grandi en Colombie, Omar Porras arrive à̀ Paris à l’âge de vingt ans, en 1984. Il fréquente d’abord la Cartoucherie de Vincennes, découvre, fasciné, le travail d’Ariane Mnouchkine et de Peter Brook, fait un bref passage dans l’Ecole de Jacques Lecoq, travaille avec Ryszard Cieślak, puis rencontre Jerzy Grotowski — ce qui l’incite à s’intéresser aux formes orientales (Topeng, Kathakali, Kabuki). Il fonde le Teatro Malandro à Genève en 1990, affirmant une triple exigence de création, de formation et de recherche. Son répertoire puise autant dans les classiques avec Faust de Marlowe (1993), Othello (1995) et Roméo et Juliette (2012 en japonais) de Shakespeare, Les Bakkhantes d’Euripide (2000), Ay! QuiXote de Cervantès (2001), El Don Juan de Tirso de Molina (2005; 2010 en japonais), Pedro et le Commandeur de Lope de Vega (2006), Les Fourberies de Scapin (2009, 2022) et Amour et Psyché (2017) de Molière, Le Conte des contes (2020) que dans les textes modernes avec La Visite de la vieille dame de Friedrich Dürrenmatt (1993; 2004; 2015), Ubu roi d’Alfred Jarry (1991), Strip-Tease de Slawomir Mrozek (1997), Noces de sang de García Lorca (1997), L’Histoire du soldat de Ramuz (2003; 2015; 2016), Maître Puntila et son valet Matti de Brecht (2007), Bolivar: fragments d’un rêve de William Ospina (2010), L’Éveil du printemps de Wedekind (2011) et La Dame de la mer d’Ibsen (2013). Il explore l’univers de l’opéra avec L’Elixir d’amour de Donizetti (2006), Le Barbier de Séville de Paisiello (2007), La Flûte enchantée de Mozart (2007), La Périchole d’Offenbach (2008), La Grande-Duchesse de Gérolstein (2012), Coronis (2019) et celui de la danse avec Les Cabots, pièce imaginée et interprétée avec Guilherme Botelho de la Compagnie Alias (2012). Il interprète également La Dernière Bande de Samuel Beckett, mise en scène par Dan Jemmett (2017), et Ma Colombine de Fabrice Melquiot (2019), un seul-en-scène poétique qui raconte sa jeunesse en Colombie et sa rencontre avec le théâtre, mais nous avons aussi pu le retrouver au plateau avec sa troupe avec Carmen l’audition et Pour Vaclav Havel (2021). Il a reçu plusieurs distinctions dont, en 2014, le grand prix suisse du théâtre/Anneau Hans-Reinhart et dirige depuis 2015 le TKM Théâtre Kléber-Méleau. En 2022, pour les 400 ans de la naissance de Molière, il reprend la création des Fourberies de Scapin. Sa dernière création, Ritualitos (2023) réuni la chanteuse Maria de la Paz, le guitariste William Fierro et le compositeur Christophe Fossemalle autour d’un hommage musical à l’Amérique Latine et à la Terre.

Rmt News Int • 16 avril 2024


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