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L’éloge de la folie, création au Toursky, janvier 2017

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« JE VOUS LE DIS EN VERITE … »

Une création réussie où le texte d’Érasme réactualisé retrouve toute sa saveur pour le bonheur de tous…

La salle du théâtre Toursky  vibre  avec la représentation de « L’éloge de la folie ou les confidences de Moria… ». Une fois encore la salle chavire, interpellée, secouée, au milieu des rires et de quelques frissons –éclairs furtifs de lucidité-, bercée par une clarinette  folle, prétentieuse, limpide : une respiration, une réponse, un écho, un songe. La toute fraîche et canonique Moria interroge, prend à partie, saute, virevolte. Folie, elle s’insinue, se referme lascivement sur les pauvres humains « frères humains qui après nous vivez… »*. Là, dans un décor et une mise en scène sobres, entre un fauteuil spartiate et une chaise rigide, une balançoire ondule, légère, onirique ; est-ce l’innocence de l’enfance qui est là, transposée dans cette balançoire ? Elle divise l’espace et le lieu, clin d’œil à un monde céleste, un au-delà paisible et dénué de fantaisie, ou songe inavoué d’amour ?

L’amour, Louise Labé le clame et l’affirme, mordante : « Je vis, je meurs, je me brûle et me noie » fière, impertinente, féministe déjà la cordelière « Vous mariez pas, les filles, vous mariez pas! » Elle enlace de sa liberté forte et jouisseuse les fols surpris, séduits, heureux.

Rabelais nous ramène à l’humanisme, posé, grave d’une colère intériorisée. Rabelais et son rêve d’une connaissance universelle et totale. Ses pensées sourdent sous ses silences, et quand la salle retient son souffle « je m’adresse aux fols très illustres et aux vérolais très précieux », oui à la folie salvatrice d’un Jean Moulin, d’un Manoukian.  « Au gibet noir, manchot aimable, dansent, dansent les paladins »**

Ils vont, viennent, s’éloignent, s’approchent. Cette scène est mobile et ces gens nous picorent de toutes parts, de points d’interrogation en ponctuation de clarinette, de pas de danse en rires clairs.

Erasme est là, puissant, salutaire, immortel ; réquisitoire féroce contre les abus de pouvoir, il passe en revue toute la société et ses travers sociaux, politiques, religieux. Il la défend sa folie, car elle est salvatrice « pauvres humains qui après nous vivez… ». Il explique que l’être humain n’est pas mû par le bien ou par la justice mais par  deux seuls stimuli instillés par la folie elle-même, l’amour-propre et l’adulation. « De ce monde seront bannis foi, charité, en vérité je vous le dis, les aveugles ne verront que bien peu et les sourds n’entendront guère… »

Dans une mise en scène minimaliste voulue par Serge Sarkissian et Pierre-Philippe Devaux, sur une adaptation de « l’éloge de la folie » d’Erasme, par Elisabeth Nevechehirlian et Serge Sarkissian, Richard Martin a accueilli cette création pour « donner l’alarme avec des cris d’oiseaux. » dans ce théâtre engagé qu’il a créé au sein de ce quartier défavorisé de Marseille, dans la fraternité et l’excellence.  Je veux juste éveiller la conscience assoupie de nos concitoyens. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme »***; voilà  résumé avec ces mots d’auteurs la vie de ce saltimbanque qui ne faillit jamais à son combat, cet homme génial que n’épargne pas la folie, Richard Martin : « en vérité, je vous le dis, que lorsqu’on aura mis la pâtée dans la bouche des Pharisiens qui nous mènent à l’obscurantisme…», -le texte si contemporain de ce grand Erasme qui a tant  apporté à son siècle en le critiquant et en prenant la distance qu’il fallait avec la religion, ce texte humaniste, il était important, maintenant plus que jamais, d’en faire une relecture. Quand un savant tel qu’Erasme a la force d’utiliser le burlesque et les mots, à la lumière des écrivains de l’antique, pour pouvoir dénoncer les travers des humains, il faut crier avec Gargantua « Chacun est arbitre de ses propres pensées. »

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Une distribution de tout premier ordre

Kelly Martins, exquise et pétillante Moria « défend ce beau texte  sensible, une invitation à la réfléxion afin de le rendre ludique et accessible au public.» Challenge réussi. Elle campe et excelle dans une Moria  moderne tour à tour inventive, inquisitrice, juvénile, fraîche, pertinente, mutine, enjouée. Moria « est » la folie.

Isabelle Gardien, en sublime Louise Labé, envoûte les mortels de sa voix pénétrante, de son jeu sculptural et léger à la fois, ressuscite avec délectation cette pasionaria, cette paria de la société, féministe avant l’heure, passionnée, passionnante et drôle.

Car plus que folie, ce sont intelligence, respect de l’auteur, du texte, et  drôlerie, mêlés à leur sensibilité propre qui animent ces comédiens-là. L’émoi qu’ils suscitent est palpable.

Pierre Barge est un grand Erasme. Il fait sienne la scène, la possède. Sa voix est grave, veloutée, réfléchie : « j’adore les auteurs, dit-il, mais pour moi le théâtre c’est avant tout la maison de l’acteur. Le théâtre entretien un rapport de liberté avec le public qui est là et va prendre ce qu’il veut et en faire ce qu’il veut ».  Message reçu. La salle répond.

Richard Martin est un Rabelais, intense, profond,  philosophe ; il s’insurge, résiste.

Pierre-Philippe Devaux et Mathieu Philippon, deux remarquables comédiens, deux fols indispensables à l’homogénéité de l’œuvre ; un jeu d’acteurs qui apporte vigueur, insolence et dynamisme.

Claude Crousier, comédien, artiste, fabuleux dieu pan de la clarinette, un fol à part entière apportant une touche originale pleine de fantaisie. Un rire clair dans le tumulte de la réflexion, coquin et délicat.

Par leur mise en scène, Serge Sarkissian et Pierre-Philippe Devaux ont créé un espace-temps réussi où les mots d’Erasme résonneront longtemps encore.

La sobriété de la mise en scène donne au texte une ampleur et une force insoupçonnées dans ce réceptacle d’idées et de cultures qu’est le Théâtre Toursky.

Un soupir, un silence, puis un tonnerre d’applaudissements et de multiples rappels ont ponctué cet éloge de la folie. On espère vor ce spectacle théâtral sur les plus grandes scènes françaises et bien ailleurs…

Merci Mesdames et Messieurs les comédiens, Erasme fut bien servi, je vous le dis en vérité.

Lecteur, « Cette Moria t’appartient, n’oublie pas de la défendre, salut mon cher… » ***

Danielle Dufour Verna                                                      

*François Villon

** Raimbaud

*** Rabelais

**** (extrait de la lettre d’Erasme à son ami Thomas More)

Texte de cette adaptation à retrouver chez l’éditeur Onesime. 2000.

« L’éloge de la folie ou les confidences de Moria… » Théâtre Toursky, Marseille le 27 janvier 2017

 

 

Rmt News Int • 3 février 2017


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