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The culture beyond borders

Taiwan en Avignon : une cuvée 2011 réjouissante

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TEN DRUMS - SPLENDEUR

Pour cette cinquième année, placée sous le signe du partage, les artistes venus de l’ile de Formose proposent au curieux de voyager en leur terre natale, dévoilant tout un pan d’une tradition culturelle qu’ils préservent avec talent, mais aussi, questionnant avec acuité le mode de vie de la société moderne, au travers de l’éducation traditionnelle et de la gestion des rapports humains en famille ou au travail. Peu de paroles, peu de mots : excepté le spectacle 1 :0 du Move Théâtre, les trois autres créations proposées sont essentiellement visuelles, chorégraphiées et musicales.

La vie est un combat

1:0 PAR LE MOVE THEATRE

1 :0, sur-titrée en français et en anglais, est une création basée sur un concept original, celui du théâtre physique dans lequel les mouvements des comédiens sont calqués sur les mouvements des sportifs. Le metteur en scène, Fu Hong-Zheng, signe ici un travail des plus originaux, où la violence des rapports humains explose au regard du spectateur, pris dans le tourbillon des sentiments inexprimés des personnages, chacun s’acharnant à intérioriser leur souffrance. Un spectacle poignant et vibrant, aux images marquantes et pour certaines dérangeantes, dont le final – la scène de combat avec les couteaux- donne la chair de poule au spectateur, découvrant avec intelligence et finesse au regard ahuri du spectateur la difficulté que les taïwanais peuvent avoir, au travail, de se rassembler pour lutter contre l’oppression d’un chef de service sexiste et injuste : ce dernier divise ses subalternes pour mieux régner sur son petit monde et exploite leurs peurs les plus profondément enfouies, notamment celle du chômage ou de la rébellion. Les maltraitances psychologiques que subit la jeune femme (sa tentation du suicide lors de la scène de l’aquarium est très réussie), la défiance et concurrence exacerbée par le chef entre les salariés d’une même entreprise (la scène de pingpong entre les deux salariés sous l’autorité d’un chef ayant atteint son stade d’incompétence est exemplaire de ce point de vue) sont ici présentées au public dans toute leur cruauté et inhumanité (notamment la scène où la femme est prise entre le feu des deux autres personnages masculins, jouet de leur combat de coqs à l’image d’un ballon de football entre les pieds des joueurs). Le tout en chansons. Les interventions de la chanteuse offrent des moments de répit au spectateur, offrant une respiration poétique dans ce monde de brutes. Car, en filigrane, le metteur en scène nous propose une réflexion sur la complexité d’aimer… L’amour est un combat de tous les jours, une lutte contre soi même, à Taiwan où l’amour est une grande inconnue, la tradition taïwanaise développant chez les taïwanais un incroyable besoin de sécurité, incompatible avec le sentiment amoureux, qui les pousse souvent à réfléchir de trop. Et même s’il est à regretter l’absence de Derrick Wei en tournée actuellement– remplacé ici par un autre comédien n’ayant hélas pas son charisme-, la création présentée mérite le coup d’œil tant par la justesse du traitement de la thématique que par la prestation de qualité offerte par les acteurs de la jeune compagnie.

Se sauver de soi

THE KEYMAN PAR THE SCARECROW CONTEMPORARY DANCE COMPANY

The Keyman, chorégraphié par Luo Wen Jinn, offre un voyage au cœur d’une famille taïwanaise traditionnelle, découvrant petit à petit les fêlures intérieures de chaque membre de cette famille apparemment tout à fait normale. Une mère qui veille à la bonne présentation et éducation de sa famille se révèle obsessionnelle et hyper protectrice : elle ne sait pas aimer ni ses enfants ni son mari. Le père, quant à lui, est complètement indifférent à ce qui se déroule chez lui, totalement absent, fuyant ses enfants, maltraitant sa petite fille sans connaitre véritablement la raison de ses blâmes, pensant que c’est pour son bien. Les sœurs jumelles se chamaillant sans cesse et se liguant contre la petite sœur qu’elles s’amusent à humilier. La petite fille victime des blâmes de tous, perdant petit à petit pied, se refugiant dans ses rêves, sous la table. La scène des jumelles confère au spectacle intensité et force, mettant en lumière sous couvert de jeux d’enfants la violence des rapports familiaux ici très justement décrits au travers des mouvements saccadés et tremblements compulsifs des personnages – la scène où tous entourent la petite fille opprimée est fort bien vue. L’effort d’expressivité faciale des danseurs est à relever, notamment en ce qui est de la petite fille : le spectateur ne peut que compatir à sa douleur et perte de soi. Et même si cette création chorégraphique de belle facture – propre, peut être trop propre, et bien interprétée par de jeunes danseuses- manque de rupture ou de violence, elle a le mérite de présenter un sujet délicat avec subtilité, sensibilité et intelligence. Oser travailler ce type de thématique pour une créatrice originaire de Tainan, ville bien plus conservatrice que Taipei, la capitale, c’est déjà une belle chose. Un acte de courage même si nous pouvons regretter qu’elle ne soit pas allée plus loin dans l’expression de la violence. Mais cette dernière est une problématique toute taïwanaise liée à un quotidien excluant par tous les moyens la violence physique.

Souvenirs d’enfance

SMALL PUZZLE PAR WC DANCE

Small Puzzle est une fantaisie autour des souvenirs d’enfance joyeux et ludiques du chorégraphe : c’est probablement la création la plus drôle et la plus fraiche de cette cuvée taïwanaise. Avec légèreté et poésie, le chorégraphe, Lin Wen-Chung, s’est amusé à jouer de la scénographie en forme de puzzle : les danseurs sautillent, cabriolent, frémissent, s’émerveillent, s’éveillent à la vie comme des enfants, tentant de recréer avec les puzzles les images des souvenirs d’enfances. Hélas, malgré la dextérité des danseurs, leur agilité et habileté, le rythme est par moment trop vif et les images défilent sous nos yeux sans que nous n’ayons le temps de les saisir pleinement, à peine peut on imaginer la scène du dragon boat festival esquissée en quelques secondes… Et cela nuit à cette création dont le concept est pourtant fort original. Il est difficile de suivre la logique de cette fantaisie, tant le passage d’une scène à l’autre est par trop rapide, voire décousu. De même, il est à regretter que le thème de l’enfance ne soit traité que par le biais du souvenir et que les danseurs, ici, ne dévoilent pas l’enfant qui sommeille en eux. Ceci dit, le public avignonnais était ravi de la prestation artistique, tant pour le choix musical que pour la qualité des danseurs eux-mêmes. Ce qui n’est pas négligeable.

Voyage au cœur des percussions taïwanaises

TEN DRUMS - TERRE NATALE

Les Ten drums, dirigés par la talentueuse maître-percussionniste Chiu Ya-Hui, nous ont concoctés, sans conteste, deux soirées magiques : entre ‘terre natale’ et ‘splendeur’, difficile de choisir… Bien que ‘terre natale’ soit une réussite du point de vue artistique, l’exécution des tableaux est indéniablement exceptionnelle, ‘Splendeur’ est certainement, de par les costumes et scènes de combats, la plus belle à voir. Outre l’exécution musicale magnifique, de haute tenue, par un groupe de jeunes gens issus du village de percussion de Tainan, tous âgés entre 18 et 24 ans, la mise en espace du concert de drums est joliment réussie: respectant les origines sacrées des cérémonies traditionnelles, utilisant une demi douzaine de percussions aux sonorités cuivrées et boisées, aux graves puissants et légers, ainsi que des instruments à vent – flutes- aux aigus magiques, ils envoutent le public, comblé. Ce dernier en redemande encore et encore. Le plus frappant est ici l’absence de fioritures inutiles : la simplicité et la sobriété sont de mise même dans les mouvements de concentration et ‘énergisation’ requis avant de jouer des percussions. Ici donc, point de show à l’américaine, mais plutôt une performance au sens plein du mot, accomplie en toute humilité. Avec talent et beauté, grandeur et splendeur. Un enseignement magistral fidèle au dao ancestral, où spiritualité et musique ne font plus qu’une. Bravo et mention spéciale à chacun des jeunes gens de la troupe.

DIANE VANDERMOLINA

avignon off 2011

Rmt News Int • 20 juillet 2011


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