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The culture beyond borders

Le Temps des déceptions

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Avignon, ce sont de beaux spectacles, des réussites mais aussi des déceptions, des créations inabouties… Parmi ces dernières, se trouvent ‘Si Siang Ki’ et ‘Cooking a dream’. Certains journaux portent aux nues ces créations, pour la plus part d’entre elles, le public en ressort émerveillé ou ravi. Comme quoi, du critique au spectateur, les avis diffèrent. Pourquoi donc ai-je été déçue par ces créations ?

Certains diront que je ne suis point objective, mais plusieurs professionnels du spectacle ayant assisté aux mêmes créations sont d’un avis semblables au mien. Je commencerais donc par la création de Gérard Gelas avec l’Académie de Théâtre de Shanghai, gigantesque campus universitaire créé en 1945 : ‘SI SIANG KI ou l’histoire de la chambre de l’ouest’ de Wang Che-Fou. Présenté à 11h, d’une durée de deux heures, le spectacle raconte l’histoire d’un jeune bachelier bien malin tombant amoureux d’une charmante demoiselle récemment orpheline de père, en prise avec une mère l’ayant déjà promise à un cousin, vivant recluse dans un temple assiégé par un bien méchant général. Il s’agit d’une histoire d’amour au final heureux fort réjouissante, comme il en existe en grand nombre dans la poésie lyrique chinoise, ode à l’amour triomphant des conventions. Le texte en date du 13eme siècle inspira de nombreux auteurs chinois dont Tang Xian-Zu, l’auteur du ‘pavillon aux pivoines’, un classique de l’Opéra Kun, inscrit au patrimoine mondial de l’humanité en 2001. L’opéra kun, une des formes les plus subtiles de l’opéra chinois, est né au 16eme siècle, puis fut supplanté plus tard par l’opéra pékinois. L’opéra Kun, encore très vivace à Taiwan, diffère de l’opéra pékinois en ce qu’il exprime la noblesse des sentiments amoureux des héros, sans grands combats ou acrobaties, le tout accompagné de mouvements et déplacements tout en délicatesse de la part des chanteurs dont la diction se doit d’être impeccable, leur jeu obéissant à des règles très strictes, et d’une musique composée à base de flutes, percussions et cordes. Ceci pour expliquer en quoi la création de Monsieur Gelas peut nous avoir déçus, en dépit d’un choix de décor minimaliste judicieux et conforme à la tradition chinoise.

Bien que les costumes de l’héroïne, YING YING, soient très beaux, avec leurs manches longues et évasées, dans le style des Opéras chinois traditionnels, il est dommage que la comédienne ne joue pas de son costume : ce dernier symbolise le rang et la grâce de la jeune fille – à savoir que chaque coloris et tissus utilisés ainsi que les symboles tissés présentent la qualité et fonction du personnage avec un code très précis. Traditionnellement, il sert d’accessoire, la gestuelle délicate et codifiée des chanteurs dans les Opéras Chinois étant magnifiée par le costume. Or ici, il n’est utilisé que comme parure et cela est bien fâcheux. Car même si la comédienne ne manque point de charme, qu’elle se déplace avec une certaine élégance- ici il est regrettable de noter que la mise en scène réduite à des entrées et sorties façon théâtre de boulevard fait cruellement défaut à ce spectacle-, un spectateur averti eut apprécié une gestique plus précise et délicate de la part de la comédienne chinoise. Et, outre une direction d’acteurs dont on s’interroge sur l’intention sous-jacente, c’est au niveau du jeu des comédiens que le spectacle perd le plus en qualité : en effet, hormis les actrices incarnant la mère et la fille, les autres acteurs – et c’est une problématique toute chinoise – sont perpétuellement en sur jeu, accentuant à force de grimaces leurs sentiments, gesticulant par moments outrancièrement et disant leur texte sans effort de diction. Si le parti pris avait été de présenter un spectacle version bouffon, cela eut pu être intéressant mais cela ne semble pas être le cas de la dite création. A décharge des comédiens chinois, et pour avoir vu des créations et rencontré des artistes d’origine chinoise, il est vrai qu’en Chine, ils ont du mal à jouer moderne : autant ils peuvent exceller en Opéra ou Théâtre chinois traditionnel, autant ils ont du mal à être véritablement imaginatifs en ce qui est des créations contemporaines. Ce qui se vérifie par ailleurs avec ‘Cooking a dream’, ce que le metteur en scène chinois explique par leur habitude à jouer sous d’épaisses couches de maquillage… Mais alors qu’a donc voulu montrer monsieur Gelas qui s’enthousiasme du jeu des acteurs avec sa création franco-chinois ?

‘Cooking a dream’, présenté au collège de la salle à 13h10, relate le rêve d’un pauvre erre qui souhaite avoir toutes les richesses du monde mais réalise en se réveillant de son rêve magnifique que le bonheur est dans un bol de millet. Une fable agréable à entendre, hélas gâchée par un comédien principal au sur jeu évident. Et ce, même si une des comédiennes vêtue d’un très beau costume traditionnel rompue aux techniques d’opéra chinois confère au spectacle une certaine grâce vite dissipée. La mise en scène didactique au possible – où tout nous est expliqué en français par une chinoise interprète jusqu’aux images défilant sous nos yeux- manque de rythme, d’imagination. Seule la scène de combat et les gesticulations du pauvre erre devenu ministre d’état nous réveillent de notre endormissement. A noter néanmoins la belle exécution musicale par la jeune musicienne au Trois-cordes. L’interprétation en live de la musique manquait au ‘SI SIANG KI’ : ce dernier, par ailleurs, de par son choix musical et certaines images – celle du moine bouddhiste par exemple- a tendance à conforter les clichés occidentaux sur l’Asie et ainsi perpétuer une image idyllique et fantasmée de la Chine, véhiculée par les tours opérateurs et le gouvernement lui même, ce mythe de l’Orient qui, hélas, n’est qu’un mythe. A l’image du mythe de l’Occident véhiculé en Asie… Ce qui est dit ici de ces deux spectacles, peut l’être dit de certaines créations occidentales programmées en Asie, présentées comme des merveilles à un public méconnaissant l’Occident. DVDM

avignon off 2011

Rmt News Int • 31 juillet 2011


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