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The culture beyond borders

Pansoriza Project Avignon Off

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Le théâtre des Halles, en collaboration avec le Centre Culturel Coréen et le Verbe Incarné, a invitée cette année plusieurs compagnies venues tout droit de Corée Du Sud, à savoir que l’année de la Corée en France se profile bientôt. Parmi les spectacles offerts au curieux, se trouve une création mêlant avec intelligence tradition populaire et modernité. ‘Pansori Brecht Sacheon-Ga’, ou ‘le dit de Sichuan’, est inspiré de ‘la Bonne Âme de Se-Tchouan’ de Brecht, revisité avec humour au-delà de tout manichéisme –trop souvent corolaire à la pensée marxiste socialiste- par Lee Jaram, mis en scène par Nam In Woo. D’une durée initiale de deux heures, le spectacle a été réduit à une grosse heure afin de satisfaire au format du Off avignonnais, incluant de nombreux clins d’œil délicieux à la Cite des Papes, notamment le pont d’Avignon –une des scènes a été transposée à Avignon-, ce qui n’est pas sans nous rappeler avec amusement le spectacle de la taïwanaise Hsu Yen Ling en 2009.

Le texte de Brecht, réécrit et recontextualisé dans la Corée actuelle, avec ses restaurants en pagaille et ses multinationales voraces, son libéralisme outrancier et individualisme effréné, mais respectant le principe de distanciation brechtien, nous raconte l’histoire de Sun Tok, dont la bonté n’a d’égal que la générosité de sa corpulence. Visitée par trois curieux personnages, appelés Dieux, désespérant de trouver en ce monde un être de bonne volonté, la bonne âme, naïve et toujours prête à aider son prochain, erre d’abus en tromperies en ce vaste monde où l’argent règne en maitre absolu. Abusée par son ancienne patronne calculatrice et manipulatrice et un menuisier sans foi ni loi, trompée par son bel amoureux, le bogosse qui rêvait de devenir sommelier et n’accepta de l’épouser que si son cousin venait en personne lui offrir une dot bien replète, menacée d’expulsion par une propriétaire arriviste sans scrupules, Sun Tok en vint à créer de toute pièce un personnage fictif, celui de son cousin, Nam Jae Su, afin de se délivrer de ces faquins, imposteurs et autres voleurs. Sous les habits de son cousin, elle devient un businessman puissant, aux méthodes parfois peu orthodoxes en ce qui de se venger de ceux qui l’ont dupée. Jae Su, homme de bien vénéré par ses pairs, patron autoritaire et injuste pour ses salariés – la référence au ‘Travailler plus pour gagner plus’ de notre président est ici fort délectable-, est alors traduit devant le tribunal, composé des mêmes Dieux qui lui avaient conseillée de continuer dans le chemin de la bonté, pour usurpation du commerce de sa cousine, enceinte, que tous réclament à corps et à cris… jusqu’à ce que la vérité soit révélée à tous.

La question du bonheur est ici posée : la bonté peut elle rendre heureux dans ce monde où les relations humaines sont travesties et perverties par l’argent devenu divin, où seul le plus rusé et fourbe arrive à en tirer les marrons du feu ? Nous interrogeant sur cette dure réalité de notre vie quotidienne où le bonheur se conquiert à force de compétition et combats inégaux, la création présentée ici se garde bien de nous donner de réponse : elle nous expose des faits, nous relatant avec humour et ironie une fable réaliste savoureuse. A nous de choisir notre chemin. Celui des Dieux ou celui de Sun Tok devenue par nécessité Jae Su afin de préserver la bonté de son âme… Un dédoublement de personnalité qui n’est pas sans rappeler la dualité de notre être au quotidien. En effet, dans notre quête immodérée du bonheur, entre notre être privé – notre moi profond- et notre être social, ne sommes nous pas amenés à agir sur le même modèle que la pauvre Sun Tok ? Le pragmatisme nous souffle qu’hélas nous sommes parfois obligés de nous confondre en ce bas monde.

Mais revenons-en au spectacle dont le projet est né en 2007. Créé par Lee Jaram, chanteuse Sorikkun à la renommée internationale, cette pièce chantée mêle avec grande justesse Pansori 판소리* – opéra populaire traditionnel coréen aux récitatifs chantés où la chanteuse 소리꾼 est accompagnée d’un Gosu, musicien jouant de la percussion appelée Buk- et instruments contemporains – à noter la présence d’une basse électrique au milieu des instruments traditionnels offrant une composition musicale en clair obscur, aux grondements puissants. Le Pansori est un genre satyrique alternant aniris 아니리, narration et changs, 창, chants, sur un plateau minimaliste, quasi nu, racontant avec réalisme des scènes de vie. La chanteuse, vêtue d’une veste cintrée, chemise à jabot et robe aux couleurs assorties, a pour unique accessoire un éventail, ce dernier servant à mimer les décors du récit ou à accompagner la gestuelle de la chanteuse au minois fort expressif qui incarne avec habileté tous les personnages du récit.

Ici, l’interprète de ce Pansori contemporain est Lee Seung Hee, 이승희, une jeune chanteuse de talent rompue aux techniques du pansori traditionnel, aux aigus souples et aux graves amples, une couleur de voix aux reflets cuivrés et ronds propres à la langue coréenne qui se révèle bien plus douce à l’écoute que le japonais – langue plus rude dans les sonorités gutturales. La jeune femme – au demeurant d’une beauté extraordinaire, aux faux airs de Gong Li- jouait en alternance avec la grande Lee Jaram et une autre interprète, Kim So Jin. Son chant nostalgique et lyrique lorsqu’elle raconte non sans une pointe d’humour délicate les malheurs de la grosse Sun Tok – son interprétation de ‘bitter sweet’ est un régal – devient plus énergique et joyeux lorsqu’elle interprète le rôle de l’amoureux dans lequel elle excelle. Les récitatifs, confiés avec complicité au spectateur qu’elle harangue sur scène, nous invitent à l’écouter attentivement et à vivre avec elle ce récit qu’elle nous dévoile avec générosité et allégresse. Secondée par une musicienne de grand talent l’encourageant à force d’exclamations et au rythme du Buk, la jeune femme, au jeu tout en nuance et à la gestique précise et détaillée, se joue des mésaventures de la jeune Sun Tok, se moquant au passage des autres personnages, raillant la société consumériste et les dieux aux conseils inutiles, nous interpellant.

Narratrice et chanteuse-actrice, elle se présente avec simplicité, nous expliquant que la troupe a laissé les danseurs en Corée, nous confiant malicieuse ses pensées. Mime, clown, danseuse, elle nous emporte avec brio dans ce Pansori à la fois comique et tragique, aux esquisses chorégraphiques proches du Flamenco. La première partie sans temps morts nous transporte vers cette Corée lointaine aux saveurs de Kimbap, bulgogi, kimchi et autres spécialités culinaires coréennes pimentées à base de riz gluant à découvrir. Dans la seconde partie du spectacle, son interprétation du cousin est une merveille : vêtue d’un costume trois pièces et d’un chapeau blancs, elle se transforme littéralement sous nos yeux en gentleman du business. L’esthétique des costumes et l’usage de l’éventail et du travestissement ne sont pas sans nous rappeler la création de the Creative Society ‘He is my wife, he is my mother’, sur une toute autre thématique. Poignante et émouvante, troublante, la jeune chanteuse exprime, via son art, sa passion et sa joie d’être ici, face au public, vibrante et drôle, magnifique. Un vrai moment de bonheur qu’elle nous fait partager avec grâce et enthousiasme sous le feu des projecteurs aux lumières subtiles, accompagnée d’un trio de musiciens fabuleux à la maitrise parfaite de leurs instruments envoutants, mention spéciale pour son Gosu. La traduction, quant à elle, n’est pas en reste : usant d’un français des plus modernes empli de références subtiles à notre histoire, elle offre à découvrir un texte au parler franc et drôle, à la poésie réaliste, éloigné de tout marxiste didactique. Une création aux confins de l’orient et de l’occident qui espérons-le fera une fois encore le tour du monde… DIANE VANDERMOLINA

*Pan signifiant espace dans lequel les gens se rassemblent, une place publique, et Sori, son ou bruit.

avignon off 2011

Rmt News Int • 31 juillet 2011


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