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DIRE ET MÉDIRE

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Une amie est supposée raconter à l’autre ce qu’elle a dit à son ami. Mais à dire qu’on raconte, on raconte qu’on dit mais on ne dit rien du tout et l’on finit par dire des riens qu’il aurait mieux valu ne pas raconter. Car si le faire va souvent sans dire, le dire va souvent sans faire et cela fait de vilaines affaires.

LULU : C’est pas pour dire, mais je te dis pas tout ce que je lui ai dit !

LI. : Non, ne me dis pas…

L. : C’est comme je te le dis. Et ce qui est dit est dit. On a beau dire, moi, quand je dis les choses… je les dis.

LI. : Oui, tu n’es pas quelqu’un à dire par derrière ce que tu peux dire en face…

L. : Je ne te le fais pas dire.

LI. : … mais on n’aurait jamais dit que tu aurais eu le courage de lui dire…

L. : Qu’est-ce que tu dis, là ? Qu’est-ce que tu as l’air de dire ?

LI. : Ben, c’est pas pour dire, mais ce mec, c’est comme qui dirait… Zut, c’est pas facile à dire… Bref, tu disais tellement que tu l’aimais qu’on aurait pas dit que tu pourrais un jour lui dire… lui dire… ce que tu as l’air de dire que tu lui as dit, quoi !

L. : On peut pas dire, mais toi, tu n’as pas une façon bien nette de dire les choses !

LI. : Bien nette ! C’est pas peu dire ! J’ai pas ta facilité de parole, moi ! Mais au moins, dis-moi ce que tu lui as dit.

L. : Cela va sans dire !

LI. : Mais ça va mieux en le disant. Alors, qu’est-ce que tu lui as dit ?

L. : Ce que je lui ai dit… oh, je lui ai dit tout ce que j’avais à lui dire !

LI. : Bien dit !

L. : Tu sais, tu peux pas savoir, mais à vrai dire, il y aurait moins à redire si l’on n’en disait pas tant.

LI. : Tu m’en diras tant !

L. : Alors, là, je te dis pas !

LI. : Et lui, qu’est-ce qu’il disait ?

L. : Que voulais-tu qu’il dise ? Il ne pouvait rien dire. Il n’avait d’ailleurs strictement rien à dire.

LI. : Qui ne dit mot consent. C’est tout dire.

L. : Ah si, il a tout de même dit quelque chose et il te l’envoie pas dire !

LI. : Ah bon, et qu’est-ce qu’il a bien pu te dire ?

L. : Eh bien, il m’a dit que tu lui avais dit ce que je t’avais dit de ne pas lui dire.

LI. : Moi, moi ? Comment peux-tu laisser dire que je dis, moi, moi, surtout à lui, lui, ce que toi, toi, tu me dis de ne pas lui dire ?!

L. : Toi, toi, ne me dis pas que tu ne le lui as pas dit, toi, toi, ce que je t’avais dit, moi, moi, de ne pas lui dire ! C’est pas moi, moi, c’est lui, lui, qui m’a dit que toi, toi, tu le lui avais dit !

LI. : Y’a pas à dire, la confiance règne, dis donc !

L. : Mais j’ai rien dit, moi ! Tu es libre, toi, de dire ce que tu veux, même à lui. Seulement, tu n’avais qu’à dire que tu étais incapable de garder pour toi ce qu’on t’avait dit de ne pas dire… Surtout à lui. Et tant pis pour ma poire si je t’avais dit ce que je ne voulais pas qu’on lui dise.

LI. : Évidemment, si tu disais les choses clairement, tu pourrais trouver à redire qu’on aille dire ce que tu dis de ne pas dire mais tu les dis de telle façon qu’on croit que tu dis de ne pas les dire rien que pour nous suggérer de les dire à qui tu dis que tu veux pas qu’on les dise.

L. : Rien à dire. Dans cet aveu dénué d’artifice, j’aime à voir que du moins tu te rendes justice. Au moins, c’est dit.

LI. : Moi, je laisse dire et médire.

L. : Sur ce chapitre, il y aurait beaucoup à dire. Et à redire…

LI. : Oh, pour ça, oui. Beaucoup à dire.

L. : Ah oui ? Dis un peu pour voir.

LI. : Alors, là, je te dis pas.

L. : Dis toujours, tu m’intéresses.

LI. : Si je te disais… qu’est-ce que tu dirais pas !

L. : Tu en dis trop ou trop peu.

LI. : J’en ai bien dit assez.

L. : Mais encore !

LI.: C’est pas suffisant ?

L. : Y’a rien à dire, là, tu en dis trop !

LI. : Moi, mais j’ai encore rien dit ! Car, si je me mettais à dire, je peux te dire, il y aurait de quoi ! Mais comme disait le Père Confesseur dans « L’Ombre de Don Juan », il y a des mots qu’une fois dits, on ne cesse jamais de répéter. Et il vaut mieux se contenir quand on ne peut se retenir, car les mots et les maux, s’ils sont brefs, ne sont qu’un moindre mal, Benoît Pèlerin dixit.

L. : Et moi, si je ne me CONtenais pas, Père CONfesseur ou pas, je l’avoue, je pourrais ne plus me retenir et te dire tes quatre vérités !

LI. : Eh bien, vas-y, dis-les d’une bonne fois !

L. : Une mauvaise fois ! C’est tout dire d’une fois !

LI. : Le fond de l’histoire, laisse-moi te dire, c’est que toi et moi nous n’avons rien, mais vraiment plus rien à nous dire.

L. : Puisque tu le dis.

LI. : Bon, alors, tout est dit ?

L. : Pas tout à fait.

LI. : Et qu’est-ce que tu veux, après tout ça, qu’on trouve encore à se dire ?

L. : Un seul mot, un seul.

LI. et L. : Adieu !

Benito Pelegrín

Troisième de ses Saynètes verbales, les deux premières parues dans Riveneuve Continents, « Écrire l’insolence », N°5, Paris, automne 2007, p. 253-262.

Illustration réalisée avec IA.

Rmt News Int • 6 mai 2023


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