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Alma Mahler, Muse à Vienne

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Un spectacle d’Orianne Moretti, soprano, dramaturge, comédienne.

Magnifique concert-lecture de la soprano, dramaturge, comédienne Orianne Moretti dimanche 22 janvier au Temple de la rue Grignan, à Marseille. Merveilleusement accompagnée par le pianiste Frédéric Isoletta. Un spectacle écrit par Orianne, inspiré librement du « Journal intime« , des « Mémoires et Correspondances » et de « Ma vie » de la sublime Alma Schindler- Mahler-Gropius-Werfel (1879-1964).

Moi, Alma, j’ai traversé toute ma vie les êtres

La chanteuse-comédienne déroule le récit de la vie affective et artistique de la sulfureuse Alma. Des maris, des amants, tuilages d’une grande liberté, sans oublier les nuits avec le peintre Gustav Klimt ou l’amour passionné avec Zemkinski. Femme du compositeur Gustav Mahler, du romancier Franz Werfel, de l’architecte Walter Groppius, amante du peintre Oskar Kokoschka, de Gustav Klimt…! Baignant dans l’énergie moderne de l’Art nouveau et du mouvement Sécession à Vienne, Alma, pianiste, compositrice, plasticienne…, devra, malheureusement, renoncer à ses talents et ambitions artistiques après sa rencontre avec Mahler. Entre amour et révolte: « Je m’ennoblis à son contact…Mais pourquoi abandonnerais-je ma musique ?… Mais si, par amour, je renonçais à mon passé ? »

Gustav Mahler, son mari lui disant: « Tu n’as désormais qu’une profession, celle de me rendre heureux ! » (Extrait d’une lettre terrifiante dans laquelle G. Mahler exige une réponse dans la semaine!). Sous l’approbation de Sigmund Freud dont les époux Mahler étaient les premiers patients du célèbre psychanalyste viennois! Orianne fait un travail fabuleux pour réhabiliter cette femme exceptionnelle qui osa lutter malgré les contraintes de cette époque où les femmes compositrices étaient écrasées, marginalisées (cf Clara Schumann, Fanny Mendelssohn…). Les Lieder d’Alma Mahler qu’Orianne interprète, sont le résumé amoureux, artistique de cette vie romanesque.

Alma et Gustav

Alma, excellente pianiste, composera essentiellement des Lieder, dans la tradition de Schubert, Schumann, Mendelssohn, Brahms…, mais avec des inflexions plus modernes, au moment de sa rencontre avec Gustav Mahler qui deviendra son époux.  Même si nous n’avons gardé que très peu de pièces, de jeunesse en plus, on sent une grande maturité, une écriture libre, alternant fougue et mélancolie. Alma composera jusqu’en 1901, date de sa rencontre avec Gustav Mahler. Avant de mourir (1911), le grand compositeur viennois, certainement pris de remords ou sachant que la mort était proche, édite quelques Lieder de sa femme. On retrouve la majorité de la production chez Universal Music (1920-24) avec même des dessins de son amant Oskar Kokoschka.

Les sources musicales sont malheureusement maigres, suite au bombardement de la maison à Vienne, mais les sources littéraires sont importantes: «Journal intime» d’Alma Mahler (Almas Tagebuch), notes et récits d’une adolescente romantique, pleine de vie: 14-19 ans! La Correspondance entre Alma et Gustav, Mein Leben (Ma vie) d’Alma Mahler…

Le style musical est assez hybride, comme dans In meines Vaters Garten (Dans le jardin de mon père), mais qui sait ce qu’aurait composé Alma, si elle avait continué dans son exil aux Etats-Unis avec son dernier mari, le romancier Franz Werfel? Les thèmes sont énoncés, belle inventivité mélodique, puis se diluent, réapparaissent, modulent, restent en suspens; on a l’impression qu’elle est en survie, en permanence, qu’une phrase apparaît puis une autre, une tonalité, une autre, passages en polytonalité même assez troublants, signes d’une agitation permanente, d’une signature écorchée et si vive.

Chaque Lied semble parcourir un état, une expression, une joie, une douleur. Bei ist es traut (Avec toi, c’est bon) est d’une noblesse infinie. A la mort de son père (J’ai perdu mon guide, mon étoile), Alma se jette dans Licht in der Nacht (Lumière dans la nuit), sublime et tragique, puis Kennst Du meine Nächte (connais-tu mes nuits?), si déchirant rappelant les Wesendonck Lieder de Wagner, cadeau amoureux à Mathilde du grand Richard. Der Erkennende (Celui qui sait) est comme un cri de souffrance, d’amour, de révolte après la terrible lettre de Gustav Mahler lui imposant de choisir entre une carrière artistique qui s’annonçait brillante et un dévouement conjugal absolu. Des jeux d’ombres expressionnistes inondent ce merveilleux Lied, sa rencontre avec Gustav ayant certainement influencé cette écriture, abandonnant les archaïsmes d’un romantisme désuet précédent.

Orianne Moretti est Alma

On est admiratifs devant la magnifique voix de soprano d’Orianne Moretti, ample et souple dans un allemand parfait, beauté de la ligne mélodique, des expressions et des sentiments divers. Orianne semble habitée par le personnage, elle dit, elle chante, elle vit, elle EST ALMA! Sa présence est magnétique. On ressent les passions, les silences, les révoltes. L’accompagnement de Frédéric Isoletta est plus qu’un accompagnement, il est l’écho brillant de ce génie féminin, puissant puis mélancolique ténébreux puis retenu: magique ! En dehors des Lieder d’Alma Mahler, on découvre des pièces pour piano d’Alexander Von Zemlinski (1871-1942), l’unique professeur d’Arnold Schönberg et autre amant d’Alma qui le trouvait « petit et laid, mais d’une intelligence hors du commun ». Frédéric Isoletta en distille toutes les palettes post-romantiques, expressionnistes , avec brio. Un spectacle si intelligent, prenant exigeant, puissant à voir et revoir! Pour se souvenir que ces femmes admirables n’étaient pas que des muses de salon ou de simples inspiratrices pour artistes masculins, mais des artistes elles-mêmes de génie, à part entière. On ne garde d’Alma Mahler, malheureusement, que 16 Lieder. Toutes les autres partitions ayant brûlé à Vienne, en 1944, pendant la Seconde Guerre mondiale sous le bombardement des américains. Alma mourra en 1964…aux États-Unis…

Orianne Moretti présentera son spectacle : « A TRAVERS CLARA », dans la même veine que celui-ci, du 7 au 29 juillet à Avignon, au Théâtre du Petit Louvre. Le destin étonnant de la pianiste virtuose, Clara Schumann (1819-1896), femme de Robert Schumann, et les étonnantes passerelles avec Alma. A voir aussi, absolument ! Yves Bergé

Alma Mahler, Muse à Vienne, un spectacle d’Orianne Moretti, soprano, dramaturge, comédienne

Accompagnée par:

Frédéric Isoletta, piano

Crédits photos: Yves Bergé

LyricOpéra Marseille: Temple, 15 rue Grignan. Dimanche 22 janvier 2023, 17h

Rmt News Int • 6 février 2023


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