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Mi vacío y yo ou comment briser un plafond de verre en toute délicatesse

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Un jeune réalisateur de talent

Adrián Silvestre a étudié la communication audiovisuelle, la réalisation de films et l’histoire de l’art contemporain à Madrid, Rome et La Havane. Il a été boursier de l’Académie royale d’Espagne à Rome et de la Casa de Velázquez. Dans ses films, il travaille avec des interprètes naturels basés sur ses propres expériences, explorant les limites entre réalité et fiction.

Los Objetos Amorosos, son premier film, a été largement diffusé et a remporté de nombreux prix, dont le FIPRESCI au Festival du film européen de Séville. Sedimentos, lauréat du Feroz Award 2022 (prix de la non-fiction), a participé au BFI London FF, San Sebastian FF, Malaga Film Festival, Thessaloniki (prix spécial du jury), Seattle FF, Gothenburg, Cinespaña Toulouse (meilleur documentaire), Outfest Los Angeles (mention spéciale du grand jury) et Newfest NY, entre autres.

Sans parler des récompenses de son tout dernier film, objet de notre critique: le bien nommé Mi vacío y yo.

 

Un parcours au long cours

Dans une mise en abyme intelligente, le film Mi vacío y yo, très bien réalisé, nous renvoie à la pièce de théâtre aux origines de ce dernier, une pièce mêlant vidéo et théâtre, écrite par un auteur qui s’est emparé du sujet avec finesse. « Je me suis réconciliée avec moi-même grâce à ce film » et le poids de l’étiquette n’est plus aussi douloureux, « cette étiquette est devenue une fierté », glisse l’héroïne du film, Raphaëlle Perez. En nommant la différence, on l’accepte mieux même si « l’humiliation ultime est la multitude de preuves que tout trans doit apporter pour changer son prénom » avoue-t-elle.

Le film nous montre le parcours d’une jeune transsexuelle avec émotion, sensibilité, justesse, et une grande humanité ; nous sommes très loin des clichés de la trans folle et aguicheuse. Au contraire, nous est présenté Raphaël qui ne se reconnait pas dans son corps d’homme. Il souffre de dysphorie de genre comme disent les psychiatres de nos jours. Et là va débuter le long parcours de transition pour que Raphaël puisse devenir Raphaëlle et s’épanouir complètement.

Dans un subtil mélange des genres, scénarisé et écrit comme un film, réalisé comme un documentaire, ou vice-versa, cette œuvre a nécessité un travail d’écriture de 5 ans, avec des comédiens et des non comédiens, alternant scènes écrites et scènes travaillées à base d’improvisation, notamment pour la sélection des garçons avec lesquels Raphaëlle noue des relations intimes.

Dès l’entame du film, nous faisons face à la violence inouïe des psychiatres avec leurs questions intimes et leurs diagnostics sans appel, énoncés d’une voix blanche, leurs incitations répétées à prendre une décision, changer ou non de sexe. Des choses auxquelles Raphi n’était pas préparée, sa famille l’aimant telle qu’elle est, « c’est une chance » nous confiera-t-elle. Car dans ce film, elle raconte sa vie. Sans fard, avec courage, en dépit des violences qui l’entourent : violences physiques, violences psychologiques, violences symboliques.

Difficile apprentissage de soi dans un monde plein de préjugés

Elle, ne connaissant aucune figure trans à laquelle s’identifier, débarque. A tout point de vue. Solitaire, on la voit seule dans sa chambre, ses colocs faisant la fête dans son appart’ à Barcelone ; elle est à la recherche naïve de l’amour, voire du prince charmant des contes de fées. Raphi s’habille en femme, marche et parle comme une femme – cela ne dérange personne à son travail tant elle est naturelle et authentique- mais ce n’est pas une femme. Elle est incomplète aux yeux des hommes qui la traitent au mieux de maricón, ou de travelo, au pire de monstre.

Raphi aime la mode et l’écriture. Elle aime prendre en photo les familles qui passent dans le parc où elle aime à trainer.

Elle devient l‘objet sexuel d’un fétichiste assouvissant son fantasme en la prenant violemment. Une scène difficile mais juste, qui montre les dégradations dont peuvent être victimes les trans. Une autre scène bouleversante quand elle se refuse à son amant, on y voit un être humain désespéré, perdu, à la recherche de sa sexualité, qui ne la connait pas encore, la découvre. Une scène émouvante quand elle lit le texte du metteur en scène souhaitant adapter sa vie au théâtre.

Les gros plans répétés sur le regard de Raphaëlle qui happe la caméra, sa tristesse intérieure qui remonte à la surface lorsqu’elle verse des larmes émues, réussissent à saisir toute l’authenticité de Raphi, toute sa fragilité aussi.

Avec en prime une belle performance d’actrice.

Meurtrie par les obscénités dont elle est l’objet, son salut viendra d’un groupe de femmes trans qui l’épauleront, l’écouteront, avec lesquelles des liens d’amitiés se tissent. Raphaëlle peut entrevoir l’espoir d’un amour, avec un homme aussi déboussolé qu’elle, qui prend la fuite par peur du qu’en dira-t-on, par peur de l’inconnu aussi. Un déchirement intérieur qu’elle réussit à dépasser grâce au technicien du spectacle dans lequel elle joue. Un homme dont les convictions sont aux antipodes des siennes car lui ne cherche pas l’amour, il ne cherche pas compagnie mais le partage d’un moment.

L’incomplétude en chacun de nous

Au-delà de sa condition de trans, Raphaëlle nous touche par la justesse de son questionnement : une réflexion universelle sur la solitude, ce vide qu’on doit remplir pour être et exister, ce vide qui nous tenaille et dont on a du mal à se défaire, ce sentiment d’incomplétude qui nous saisit avant de trouver, voire rencontrer notre âme sœur.

 Diane Vandermolina

Rencontre avec Raphaëlle Perez

Mi vacío y yo d’Adrián Silvestre d’après le scénario de Adrián Silvestre, Raphaëlle Pérez & Carlos Marqués-Marcet avec Raphaëlle Pérez, Alberto Díaz, Marc Ribera, Isabel Rocatti, Carles Fernández Guía, Carmen Moreno, Sergio Reverón, Lena Brasas, Tina Recio, Alicia de Benito…/ Photo : Laura Herrero Garvín/ Montage : Adrián Silvestre/ Année : 2022/ Durée : 1h38/ Production : Testamento producciones, Alba Sotorra S.L., Promarfi Futuro/Distribution : Filmin/ Restriction d’âge : Déconseillé aux moins de 16 ans.

Rmt News Int • 2 décembre 2022


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