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Deuxième coup de cœur: Anna Magnani, le temps d’une messe par la cie Ecl’a dam

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Marie-Joséphine Susini dite Zouzou est une grande amoureuse de l’âge d’or du cinéma italien. Pour l’édition 2022 d’Avignon off, elle revient avec sa dernière création : Anna Magnani, le temps d’une messe d’après le texte d’Armand Meffre. Ce seul en scène est présenté à l’Albatros, rue des teinturiers, le cœur battant du festival,  jusqu’au 30 juillet à 14h30. Il offre à découvrir une des stella italiennes qui ont illuminé le cinéma de la bella Italia.

Le regard magnétique de la Magnani

Il est des actrices qui ont marqué l’âge d’or du cinéma italien néo-réaliste des années 50, l’une d’entre elles est Anna Magnani. La Magnani comme on la surnommait a joué dans les films des plus grands réalisateurs italiens, français et américains de l’époque : elle était l’égérie de Fellini, Visconti, Pasolini, Scola et Rossellini avec lequel elle a entretenu une liaison tapageuse, également de Renoir, Cukor ou Lumet.

Elle a reçu l’oscar de la meilleure actrice pour la Rose Tatouée d’après Tennessee Williams! C’était une première pour une actrice italienne…

Et quelle actrice avec son regard de braise envoutant, capturant et captivant, accrochant l’œil de la caméra tel un aimant ensorceleur. Pourtant, elle n’est pas un de ces canons de beauté qui ont ouvert les portes de la gloire à des Sophia Loren ou Claudia Cardinale mais charismatique, elle l’était avec son tempérament de feu, hérité de son enfance difficile de plébéienne vivant chichement avec sa grand-mère.

Anna Magnani dans L’amore, 1948. Réalisateur: Roberto Rossellini/ COLLECTION CHRISTOPHEL. Source: www.starok.com

Une femme du peuple qui se bat pour le peuple en incarnant des femmes du peuple courageuses et rebelles comme elle.  C’était la Magnani, une donna au caractère bien trempé et au franc parlé qui n’avait pas sa langue dans sa poche. Malicieuse, elle aimait à réinventer son enfance, en l’occurrence son lieu de naissance  –est-elle née à Rome comme elle le prétend, fille d’une Romagnole et d’un Calabrais qu’elle n’a pas connu, ou à Alexandrie comme le disent les historiens du cinéma, d’un père égyptien ?-, se rajeunissant d’un an chaque année passée à vieillir, revendiquant sans cesse sa romanité.

Elle aimait entretenir le mystère, la Louve romaine. Pourtant, c’était une femme fragile en quête de l’amour maternel qui lui a fait tant défaut pendant son jeune âge, sa mère s’étant débarrassée d’elle pour suivre son richissime époux.

Son seul point de repère était sa nonna. Ah ! La nonna. Combien elle l’aimait sa nonna disparue trop vite. Comme elle…qui  est morte en 1973, à l’âge de 65 ans d’un cancer du pancréas.  Bientôt 50 ans qu’elle n’est plus !

Eloge de l’artiste et de la femme

Un son de cloches puis un chant liturgique envahissent la salle : sur un marchepied constitué de trois marches recouvertes d’un tapis de velours rouge monte une femme, toute de noir vêtue, les cheveux noirs de jais attachés en un chignon vaporeux duquel s’échappe quelques mèches, le regard noir perçant le clair-obscur de la salle qui laisse apparaitre, côté cour pour unique décor, une chaise et une table-comptoir rectangulaire toute en longueur.

Sur cette dernière, sont posés comme dans une loge de théâtre : un petit miroir, un sac à main contenant du maquillage, une carafe ancienne joliment sculptée et son verre à pied à motifs blancs ciselés. Nul besoin de plus d’accessoires ni de décors pour cette évocation de la Magnani, comédienne de théâtre avant d’être actrice de cinéma.

Nous voici donc en présence du fantôme de Nannarella : la Louve rebelle s’invite à ses obsèques. Le regard aiguisé, la langue acérée, elle observe d’en haut la ribambelle d’amis, de parents, de vautours ou parasites qui forment l’élite de Rome, tous venus à la messe donnée en son honneur. Elle les scrute un à un, commentant leur attitude passée et présente, critiquant ce milieu où les étoiles d’un jour à l’autre peuvent déchoir de leur tour d’ivoire, broyées par un système qui ne veut plus d’elles dès lorsqu’elles ont passé un certain âge, que leur beauté se fane.

Dans la large assemblée réunie, débordant de l’Eglise Saint-Pierre de Rome, on y trouve pêle-mêle : un de ses ex-maris, Goffredo Alessandrini, entouré de son harem de femmes ; son fils Luca -son amour, la chair de sa chair, son trésor- qui n’aimait pas qu’elle fut actrice et refuse de faire entrer un membre du gouvernement italien venu tout exprès ; également tous ces faux-amis qui ne daignaient plus la voir ni même ni lui jeter un œil à la fin de sa carrière lorsqu’elle les croisait au théâtre.  Et elle rit, se moquant de ce beau petit monde hypocrite.

Marie Joséphine Susini prête ses traits au fantôme de la Magnani, révélant la femme r(ev)êche et passionnée, railleuse et sensible qui se cache derrière l’actrice : toute en nuance, elle évite par son jeu d’acteur fin et délicat de tomber dans l’ écueil de l’imitation de la comédienne. Convoquant berceuses de son enfance et classiques populaires italiens qu’elle interprète joliment à cappella et en italien – une partie du spectacle est dit dans cette langue-, elle nous tient en haleine pendant plus d’une heure et quart sans faillir dans cet hommage magnifique qu’elle rend à une femme et une artiste toutes deux complexes.

Pour l’amour du jeu et du théâtre

Généreuse et talentueuse, à la fois pétillante et sobre, Zouzou offre à voir une performance d’acteur étonnante, déroulant le fil de la vie d’une actrice, avec ses hauts et ses bas, ses joies et ses peines, ses bons et mauvais choix, ses rivalités et ses amitiés, ses rencontres inattendues et ses soirées solitaires avec sa chienne, Missa, qu’elle préfère aux hommes de sa vie, trop volages ou trop égocentriques. Un changement subtil de voix, une position, un geste, un rictus ici ou là et voilà qu’elle nous découvre et offre en partage une palette de sentiments et d’émotions délicats.

La première rencontre de Magnani avec Brando est savoureuse : Marlon, l’acteur à l’égo surdimensionné qui ne pense que business et avec lequel elle se chamaillera sur un malentendu –avoir ou non son nom en grand sur l’affiche-, apparait tout timide devant elle. Elle qui reste interloquée face à ce grand gaillard tout penaud qui ne sait que lui dire. Des anecdotes amusantes de ce type, le texte en fourmille.

Ainsi, en s’inspirant de la vie de la Magnani, nous est dévoilé par touches les contours de cette comédienne insaisissable, tour à tour douce-amère et désabusée par la tournure prise par sa vie et sa carrière –elle n’aurait pas dû laissé la trop belle Loren prendre sa place en refusant le rôle qu’on lui avait confié, tout ça par coquetterie – ou heureuse et fière d’avoir exercé son art à une époque aujourd’hui révolue -quand  les réalisateurs écrivaient leur scénario sur des boites d’allumettes, quand les cadreurs se démenaient pour filmer l’actrice en dehors des clous.

Voire nostalgique et touchante quand seule dans sa chambre d’hôtel, elle rêve de sa Rome, à laquelle elle voue un amour sans pareil, qu’elle imagine au loin, la nuit tombée et jusqu’au petit jour, comme elle refuse de dormir, « le sommeil, c’est un peu comme la mort » confie-t-elle.

La Magnani, une actrice hors norme et inimitable, extravagante et instinctive, entière et authentique, au tempérament volcanique et au cœur d’or, ne vivait que pour la scène et le jeu : elle aimait incarner ces femmes du peuple, suivant son instinct, improvisant souvent. Elle aimait cette liberté d’interprétation qui, de son aveu, hélas, n’existe plus au cinéma, tout étant écrit et décidé à l’avance, l’acteur devant juste obéir aux consignes du réalisateur et surtout ne pas sortir du cadre de la caméra. Un comble pour celle qui a toujours agit librement sans se soucier du qu’en dira-t-on.

Nous le savons peu, mais après avoir intégré une école d’art dramatique à Rome, elle a débuté au théâtre dans un tout petit rôle certes mais suffisant pour qu’on la repère et quelle carrière !

Ici, la comédienne au travers de l’évocation de la Magnani nous convie à un magnifique éloge du théâtre, cet art si particulier qui fait que chaque représentation est unique, que chaque personnage qui traverse le comédien le bouleverse au plus profond de lui, que les émotions partagées avec le public sont étonnamment si puissantes et vraies, que nous en sortons bousculés dans nos convictions et croyances. On ne peut tricher au théâtre, on le vit, et c’est là toute sa beauté et magnificence.  

Poignant, tendre et drôle, ce spectacle ne peut laisser le spectateur indifférent : au contraire, il sort conquis de la représentation, et qui sait, se précipitera pour revoir les films de cette femme et artiste, combattante combative, même si elle fut (com)battue par la maladie.

Diane Vandermolina

Anna Magnani, le temps d’une messe par la Cie Ecl’a dam/ Texte : Armand Meffre/ Mise en scène et interprétation : Marie-Joséphine Susini (Zouzou)/Création lumière : Hubert Jappelle/ Son : Thomas Giovannetti/ Durée : 1h15/Tout public/Italien et français

Photo de Une: ©JB Andréani

Rmt News Int • 28 juillet 2022


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