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Plan de lutte contre les violences sexistes, sexuelles et le harcèlement dans le spectacle vivant

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Plan de lutte contre les violences et le harcèlement sexistes et sexuels dans le monde culturel : effet d’annonce ou engagement pérenne?

Symboliquement, le 25 novembre dernier, journée de lutte contre les violences faites aux femmes, Roselyne Bachelot-Narquin, Ministre de la Culture, a présenté le plan de lutte contre les violences et harcèlement sexistes et sexuels (VHSS) dans le spectacle vivant. A compter du 1er janvier 2022, la structure culturelle qui ne respectera pas les engagements en faveur de la lutte contre les VHSS se verra touchée directement au portefeuille.

Au commencement

D’après les études réalisées par le CSEP en 2016, 80% des femmes sont confrontées à des attitudes ou décisions sexistes et une femme sur trois est victime de harcèlement sexuel au travail. Les manifestations les plus rapportées sont les « gestes et propos à connotation sexuelle sans le consentement de la personne », « l’environnement de travail tolérant des blagues à caractère sexuel », « le chantage sexuel » et « l’envoi de messages à caractère pornographique ».

Le mouvement #metoo est né en 2007 aux Etats-Unis pour dénoncer ces abus de pouvoir, violences et harcèlements sexistes et sexuels, mais il n’a été popularisé que seulement en 2017 avec l’affaire Harvey Weinstein, qualifié à cette époque de gros porc puant par Antoine de Caunes à la Radio. Suite à cela, la journaliste Sandra Muller sur Twitter a lancé le mouvement #balancetonporc afin de libérer la parole de toutes les femmes pour dénoncer le harcèlement sexuel et prouver que cela concerne tous les milieux et les femmes de tous les pays. Le résultat ne s’est pas fait attendre : en quelques jours, ce sont plus de 50 000 témoignages de femmes inconnues et de personnalités qui sont postés avec le hastag. En cinq ans à peine, ces mouvements ont pris une ampleur sans commune mesure grâce notamment à l’effet de caisse de résonance des réseaux sociaux. Qu’il s’agisse de violences faites à l’encontre de figures féminines célèbres issues du 7ème art et du théâtre ou d’actrices émergentes, elles sont depuis régulièrement dévoilées au grand jour dans les médias.

Metoo © DR/Unsplash

Dans les couloirs du Ministère de la Culture, ce fléau ne pouvait passer inaperçu, incitant les Ministres successifs à s’atteler à la lutte contre les VHSS en l’affirmant prioritaire. En 2017, dans les services et établissements du Ministère, dont dépendent les établissements nationaux du spectacle vivant, plusieurs dispositifs sont mis en place avec le déploiement d’un arsenal d’actions de sensibilisation, de formation et de prévention des VHSS. Une cellule d’écoute a été également mise en place pour faciliter leurs signalements et traitement. Depuis 2018, suite au témoignage d’Adèle Haenel en passant par la polémique Polanski jusqu’à la récente crise des césars en 2020 et l’apparition il y a quelques semaines du #meetoothéâtre, la déferlante des révélations pointant les violences sexuelles commises dans le milieu culturel par des monstres sacrés et personnalités politiques et/ou médiatiques reconnues n’a eu de cesse de s’amplifier. Le Ministère de la Culture se devait alors de mettre en œuvre un plan de lutte ambitieux.

Définition et cadre juridique

Par VHSS, on entend toutes les formes de violences et harcèlement sexuels et/ou sexistes qu’elles soient de nature psychologiques et/ou physiques. Elles se répartissent en quatre catégories : les agissements sexistes, le harcèlement sexuel, l’agression sexuelle et le viol. Ces derniers sont définis par le code du travail et le code pénal.

Par agissement sexiste est entendu « tout agissement lié au sexe d’une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant » (Article L1142-2-1 du code du travail/ Article 6 bis de la loi de 1983). Il diffère de l’agissement discriminatoire : ce dernier est « lié  à un critère de discrimination subi par une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant » (Article 1er de la loi du 27 mai 2008). Il se distingue de l’injure : cette dernière est un propos délibérément offensant et peut être à caractère sexiste, homophobe, raciste ou antisémite.

Stop © Salman Hossain Saif/ Unsplash

Le harcèlement sexuel englobe « des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui soit portent atteinte à la dignité d’une personne en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante ». La cour d’appel d’Orléans, dans une décision du 7 février 2017, lors d’un procès mettant en cause un journal dans lequel était dénoncé le climat ouvertement sexiste de la rédaction, a considéré que « le harcèlement sexuel peut consister en un harcèlement environnemental ou d’ambiance, où, sans être directement visée, la victime subit les provocations et blagues obscènes et vulgaires qui lui deviennent insupportables ». Le harcèlement sexuel est dans ce cas basé sur des agissements sexistes. La jurisprudence a permis également « d’assimiler au harcèlement sexuel le fait, même non répété, d’user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers.» (Article L1153-1 du code du travail/ Article 6 ter de la loi de 1983/Article 222-33 du code pénal).

« Constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise » comportant un contact physique avec une des 5 zones sexuelles du corps : les fesses, le sexe, les seins, la bouche et l’entre les cuisses (Article 222-22 du code pénal). Par viol, on entend « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de l’auteur par violence, contrainte, menace ou surprise est un viol. » (Article 222-23 du code pénal).

Obligation des employeurs et moyens d’action

Trois procédures sont possibles en cas de constat de VHSS : procédure disciplinaire menée par l’employeur en cas de signalement par la victime auprès de la direction (sanction d’une faute après recueil des témoignages et enquête disciplinaire), procédure pénale menée par le procureur suite à l’article 40 ou à un dépôt de plainte contre l’auteur des violences réalisé auprès du commissariat, gendarmerie ou procureur (poursuites pour contravention, délit ou crime) et procédure civile menée par le tribunal administratif ou les prud’hommes suite à un recours de la victime à l’encontre de son employeur (litige).

Infographie sur le harcèlement au travail © Bully/Unsplash

L’employeur est tenu par la loi de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses salariés (Article L. 4121-1 du code du travail et décret du 28 mai 1982 relatif à la l’hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu’à la prévention médicale dans la fonction publique) : il doit ainsi tout mettre en œuvre au sein de son entreprise afin de prévenir et détecter les violences, accueillir la parole de la victime, signaler la violence et réagir à l’encontre de son auteur.  Il en a l’obligation légale depuis l’adoption de la loi du 17 aout 2015 (Article L.1142-2-1 du Code du travail). Cette dernière condamne fermement le sexisme au travail dans la mesure où elle précise que : « Nul ne doit subir d’agissement sexiste, défini comme tout agissement lié au sexe d’une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ».

Sachant que de nombreux actes relevant des VHSS sont encore trop souvent banalisés par tout un chacun et invisibilisés par une conception des rapports hommes/femmes antédiluvienne, des dispositifs concrets semblent nécessaires pour relever le challenge. L’obligation légale n’étant pas suffisamment contraignante, c’est la politique de la carotte et du bâton que le Ministère de la Culture a choisi pour obliger les entreprises culturelles à mettre en place ces outils.

Les entreprises culturelles dépendant du Ministère à l’amende

Aussi, depuis janvier 2021, le plan de lutte contre les violences et le harcèlement sexistes et sexuels, a été étendu aux secteurs du 7ème Art et des Musiques et depuis cette date, la conditionnalité du versement des subventions du Ministère de la Culture est expérimentée par le Centre National du Cinéma et de l’Image Animée (CNC) et, aujourd’hui, par le Centre National de la Musique (CNM) : les dirigeants des structures relevant de ces domaines sont tenus à suivre une formation dispensée par des organismes agréés à l’image du groupe EGAE sur les VHSS. Une attestation de suivi de formation leur est par la suite envoyée. A défaut de ce petit sésame, ils verront leur subvention annulée.

A compter du mois de janvier 2022, la conditionnalité du versement des subventions ministérielles sera durcie et généralisée au spectacle vivant. Toutes les entreprises culturelles de ce secteur devront respecter les cinq engagements suivants :

–              Etre en conformité avec les obligations du code du travail en matière de prévention contre le harcèlement et les violences à caractère sexuel.

–              Créer un dispositif interne de signalement efficace et traiter chaque signalement reçu.

–              Former dès 2022 la direction, les encadrants, la DRH et les personnes  salariées (permanents et intermittents) désignées référentes au recueil de la parole et à la gestion des situations de VHSS.

–              Sensibiliser formellement les équipes et organiser la prévention des risques.

–              Engager un suivi et une évaluation des actions en matière de lutte contre les VHSS.

Ces cinq engagements seront intégrés à toutes les conventions pluriannuelles d’objectifs, et feront partie des conditions préalables à toute candidature à des appels d’offres du ministère (source : Plan de lutte contre les violences et le harcèlement sexistes et sexuels dans le spectacle vivant édité par le Ministère de la Culture, téléchargeable sur le site du Ministère). Elaboré en lien avec l’ensemble des acteurs de la filière, ce plan a vocation à protéger l’ensemble du personnel des structures du spectacle vivant, soutenues par le ministère de la Culture, qu’il soit permanent ou non. La prochaine étape sera la tenue du comité interministériel pour l’égalité au cours duquel seront présentés les plans dans les secteurs des arts visuels et du livre, en janvier 2022.

Bon à savoir

Entre le 1er mars 2022 et le 1er avril 2022, les structures adhérentes au CNM doivent charger dans « Mon espace » du site Internet www.cnm.fr le justificatif de formation a minima de la personne représentante légale de la structure attestant de sa participation à une formation/sensibilisation sur la lutte contre les VSS de 3 heures minimum ; un document précisant quelles mesures de lutte contre les VSS ont été prises en interne et le contact de la personne référente sur ces questions ainsi qu’un document décrivant le dispositif de signalement interne. Si la personne représentante légale de la structure n’a pas encore suivi de formation dans le cadre du Protocole, il est impératif d’en suivre une avant le 1er avril 2022. Après cette date, si la personne représentante légale de la structure n’a pas suivi de formation/sensibilisation dans le cadre du Protocole, l’accès futur aux financements du CNM pourra être suspendu jusqu’au respect des engagements pris dans le Protocole.

Un outil pour ouvrir les yeux et se réveiller de son sommeil dogmatique

Prioriser la lutte contre les violences et harcèlements sexistes et sexuels est une première étape qui permettra de briser ce plafond de verre auquel se heurtent plus particulièrement les femmes, cis ou LGBTQI, racisé.e.s ou non. Ces dernières sont les premières victimes de ces violences exercées dans un monde culturel largement dominé par une intelligentsia masculine constituée « d’hommes blancs, cis-hétéros, issus des classes moyennes et supérieures » (citation de Reine Prat).

Par son action, le Ministère de la Culture admet l’impérieuse nécessité d’une prise de conscience collective et individuelle de toutes ces conduites et comportements encore trop largement tolérés dans le milieu culturel et j’y inclus le milieu des médias et de la communication. Les agissements sexistes et le harcèlement sexuel, contraires au principe de l’égalité entre les femmes et les hommes, constituent une discrimination aggravant les inégalités.

Roselyne Bachelot semble avoir pris la mesure de cette problématique dont parle Reine Prat dans son livre « Exploser le plafond » où elle démontre que la tolérance à l’égard de ces violences exercées à 80% par les hommes est inscrite dans notre inconscient collectif : elle est le fruit d’une culture patriarcale, dominatrice, inégalitaire et antidémocratique véhiculée par les représentations héritées de nos ancêtres.

La mise en place de mesures pour lutter contre les VHSS permettrait ainsi à chacun d’avoir les armes pour déconstruire cet héritage culturel et imaginer, à l’instar des mesures prises en faveur de la parité hommes/femmes, des actions concrètes pour enfin obtenir une égalité homme/femme réelle et lutter efficacement contre toute forme de discrimination et sexisme.

Néanmoins, une question se pose : ce plan de lutte ambitieux est-il une formalité à laquelle les employeurs du monde culturel se plieront avec plus ou moins bonne grâce ? Réaliseront-ils concrètement les engagements pris ? La question de l’efficacité du contrôle à posteriori se pose ainsi que celle d’une généralisation de l’obligation aux structures privées subventionnées par les villes, les départements et les régions quand bien même elles ne reçoivent pas d’aide financière de l’Etat.

Pour cette raison, le 14 décembre, à l’occasion d’une réunion du Conseil national des territoires pour la culture* a été discuté du plan d’action Égalité dans la Culture. Né du dialogue entre l’État et les associations et fédérations d’élus, ce plan énumère des principes généraux pour  promouvoir une culture de l’égalité, parvenir à l’égalité professionnelle et lutter contre les violences et le harcèlement sexistes et sexuels dans les secteurs culturels. Chaque collectivité territoriale est invitée à s’approprier ces principes pour en faire une réalité déclinée localement, en concertation avec les services déconcentrés du ministère de la Culture.

A défaut d’accords Ville-Etat-Région sur un plan de grande envergure concernant toutes les structures culturelles, le moyen mis en œuvre par le Ministère risque de se révéler insuffisant et accoucher d’une souris, leur nombre étant largement bien plus élevé que les seuls chiffres du Ministère : ces derniers ne prennent en compte que les structures labellisées et elles n’en représentent pas qu’une infime partie.

In fine, nous nous pouvons nous demander si ce début d’action prometteur est un coup d’épée dans l’eau ou une étape clé avant la mise en place d’un plan de plus grande ampleur. Seul le temps nous le dira.

Diane Vandermolina

*Le CTC rassemble à la fois des associations et fédérations d’élus et les services de l’État : il se décline en région sous les appellations de Comités régionaux des professions du spectacle (COREPS) et/ ou Conseils locaux des territoires pour la culture (CLTC). C’est un lieu d’échange et de débat sur les orientations et les enjeux des politiques culturelles sur les territoires.

Image de Une : photo d’archive/manifestation contre les violences faites aux femmes à Marseille © DVDM 2019

Plus d’infos sur https://www.culture.gouv.fr/Thematiques/Egalite-et-diversite/Le-ministere-de-la-Culture-engage-dans-la-lutte-contre-les-violences-faites-aux-femmes

 

 

Rmt News Int • 3 janvier 2022


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