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VENT DEBUSSYSTE SUR LES ARBRES DE CAMILLE PEPIN

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         Après un an mais toujours neuf, bourgeonnant à nouveau, verdoyant comme sa nouvelle génération, voici un CD label NoMad Music de la talentueuse jeune compositrice, Camille Pépin dont nous avions apprécié, ici même, Chamber Music, par l’ensemble Polygones, Sorti le 6 mars de pré fâcheux confinement, avec la même anglomanie des titres, Camille Pépin présente The Sound of Trees, ‘Le son des arbres’, et des orchestrations d’œuvres de Claude Debussy et de Lili Boulanger, avec Julien Hervé (clarinette), Yan Levionnois (violoncelle), Orchestre de Picardie, sous la direction de Arie van Beek. Nomad Music. Cette œuvre, commande de l’Orchestre de Picardie, lui avait valu, deux semaines avant la sortie du disque, de remporter la Victoire de la Musique classique, au titre de « Composition ». La Sacem l’avait déjà couronnée, en 2015, d’un Grand Prix « musique symphonique jeune compositeur ». Ses orchestrations de Debussy et Lili Boulanger sont riches, foisonnantes en timbres et ont ravi l’Orchestre de Picardie, commanditaire.

         Passant avec bonheur de l’effectif chambriste limité du précédent CD à un orchestre complet, en privilégiant deux instruments, la clarinette et le violoncelle, The Sound of Trees, semble prendre l’allure d’un double concerto une symphonie concertante six mouvements orchestre où les rôles sont également partagés. Nous ne parlerons ici  que de ‘Le son des arbres’. 

Mais il faut vite dire que ce titre en anglais est ici pleinement justifié puisque la compositrice explique dans le livret que sa musique s’enracine et puise sa sève dans le poème The Sound of Trees du poète américain Robert Fros (1874-1963). C’est un texte initiatique qui oppose le paradoxe d’une invitation au voyage par les arbres immobiles. Le poète partage, avec son contemporain d’Amérique du Sud Pablo Neruda, mais dans un registre intime et moins tellurique, une mystique de la nature. Certes, c’est une veine profonde et lointaine face à l’industrialisation galopante et grouillante du monde gommant la nature, et aussi une mode un peu superficielle du sentimentalisme paysager romantique. Mais cela anticipe de très loin notre conscience contemporaine urgente, aiguisée par la lucidité des confinements et des changements climatiques ravageurs : l’homme, loin d’être, comme le disait Descartes « Maître et possesseur de la nature », dépend d’elle et elle, de nous.

C’est en quoi cette œuvre, relativement courte de Camille Pépin, vingt minutes pour six mouvements, même sans qu’elle n’exprime rien de ce que je dis, me semble bien d’aujourd’hui, d’une urgente modernité qui ne s’encombre pas de modernismes musicaux racoleurs, à peine quelques expressifs motifs de musique répétitive comme des feuilles obstinées agitées du vent, à la Steeve Reich, sans fausse honte de se réclamer aujourd’hui d’un Debussy d’hier, de ne pas remiser, comme antiquaille la tonalité. C’est d’une grande liberté de moyens efficaces qui sert cette fresque végétale d’une vitale, d’une fraîcheur qui n’exclut pas la force : : on est loin du temps où l’on cantonnait les jeunes demoiselles pianotant les touches d’un touchant piano timide —ne parlons pas de celles qui osaient hardiment défricher les  viriles terres vierges de la composition— aux liserons et autres volubilis dévolus à la grâce féminine, dressés par un raide tuteur. Camille Pépin a de la puissance aussi.

Dans cette toute première note de la clarinette solo qui semble monter vertigineusement à l’infini, de l’ombre du silence au fracas de la lumière, de la terre au ciel, je crois me retrouver, seul, dans la sombre forêt amazonienne où les troncs des arbres semblent ne jamais s’arrêter dans leur aspiration au soleil du jour qui se lève. Ancré dans des racines harmoniques verticales l’orchestre, telle la bruissante canopée feuillue exposée au soleil, se déploie avec exubérance et luxuriance, dans l’effervescence et l’efflorescence d’un luxueux feuillage lumineux.

 Ce sera, aux flûtes, réveillées par le vent de la clarinette, l’éveil des oiseaux et l’on songe à la poétique promenade de Siegfried aux bords du Rhin. Mais, avec la flexion, l’inflexion du troisième mouvement, quelque chose s’altère de l’ordre harmonieux des arbres, une angoissante course en avant, qui affole l’orchestre, la fuite de bouffées ébouriffées de notes répétitives qui se pressent oppressent pressentant une menace. Dans le Quatrième mouvement, je ne peux m’empêcher, dans ma rêverie amazonienne, de ressentir l’entrée, l’intrusion des percussions, dans le grinçant crescendo de cymbales d’acier de sinistres scies de Bolsonaro, aiguisées de glissandis acérés du violoncelle. Mais ce beau disque nous offre, comme un exorcisme salvateur, le soulagement du dernier mouvement. On goûte la joie, si oxygénée, la respiration d’un orchestre heureux, dont la commande n’a pas été trahie.

Camille Pépin présente The Sound of Trees, et des orchestrations d’œuvres de Claude Debussy et de Lili Boulanger, Orchestre de Picardie, sous la direction de Arie van Beek. Label Nomad Music.

Puisque Camille Pépin se réclame de Debussy, il y a une logique à faire faire suivre et bruire le son de ses arbres sous le souffle debussyste du CD de Ryutaro Suzuki (piano), Ce qu’a vu le vent d’Est, œuvres de Claude Debussy, Jacques Ibert, Hisadata Otaka, label Hortus

Ce vent d’est n’est pas le nôtre, tempétueux, mais un doux murmure d’un zéphyr capricieux sous les doigts du Japonais Ryutaro Suzuki qui a perfectionné son art à Paris, caressant cette Isle Joyeuse qui est ici introduction aux douze Préludes de Debussy traités avec une délicatesse qu’on dira, sans abus, d’estampe japonaise. Mais Debussy n’est pas rare dans les programmes discographiques. On soulignera, dans ce disque, beaucoup moins rare, Jacques Ibert dont figurent dans ce CD trois Histoires, sur les dix composées en 1922, dont le délicieux « Petit âne blanc. » Mais, plus que rare, absent de nos catalogues, le compositeur Japonais Hisadata Otaka (1911-1951), très marqué par Debussy, qui lui fut marqué par le Japon, dont Susuki nous offre deux mouvements de la Suite japonaise, de 1940, année terrible ce guerre, néantisée ici par « La fête villageoise ».

Benito Pelegrín

 

Ryutaro Suzuki (piano), Ce qu’a vu le vent d’Est, œuvres de Claude Debussy, Jacques Ibert, Hisadata Otaka, label Hortus

Rmt News Int • 22 mars 2021


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