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ANNA BOLENA : 23 octobre/2 novembre 2016 à l’Opéra de Marseille

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Anna Bolena ou le drame de l’ambition

Fin octobre, l’opéra de Marseille accueillait en alternance les versions concertantes de deux Opéras composés par G. Donizetti, Maria Stuarda et Anna Bolena, deux reines au destin tragique, la première d’Écosse, la seconde d’Angleterre, toutes deux emprisonnées pour de fausses raisons, exécutées pour une trahison qu’elles n’ont pas commise, la première par la reine Elisabeth 1er (fille d’Anna Bolena et Henri VIII, vieille fille aigrie, jalouse de celle qu’elle considérait comme sa rivale), la seconde par son propre époux (haïssant sa femme de ne pas lui avoir donné de fils et souhaitant se libérer de ses liens pour épouser Seymour, sa maîtresse et dame de compagnie de sa femme) .

Bien moins connu et joué que Maria Stuarda, opéra romantique où le spectateur assiste impuissant à la chute d’une reine digne à la foi inébranlable, Anna Bolena*, drame psychologique, raconte la tragédie d’une femme dévorée d’ambition qui sacrifiera pour une couronne d’épines son amour de jeunesse.  Trompée par un époux de sang royal qui la hait et ourdit une machination diabolique pour mieux l’accuser de trahison, en faisant revenir de son exil forcé l’ancien amant de sa femme,  Anna Bolena se dévoile être, certes une ambitieuse parvenue à la plus haute fonction, mais également une femme fragile, consumée par le regret, sombrant peu à peu dans la folie.

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Zuzana Markova relève le défi de cette prise de rôle avec brio, interprétant toute en nuance et finesse Anna Bolena, faisant preuve d’une retenue pudique quant aux sentiments de la reine pour Percy ou laissant éclater sa colère lorsqu’elle apprend la trahison de Seymour avant de la pardonner en grande dame. Elle exprime dans son chant, avec souplesse et délicatesse, et dans son jeu magnifiquement esquissé, toute la complexité des sentiments qui animent notre héroïne, notamment lors de son duo avec Percy où luttant contre ses propres sentiments pour son ancien amant, elle tente de le dissuader de l’aimer, lui intimant l‘ordre de se taire, faisant montre d’une froideur d’âme étonnante.  Telle la braise ardente sous un lac tranquille, Zuzana, élégante, confère, au personnage d’Anna Bolena, une humanité troublante et attachante : en effet, Anna Bolena n’est pas un personnage à priori aimable. Dévorée par l’ambition et d’un port hautain, elle est, une fois arrivée à ses fins, remplie d’aigreur. Or, Zuzana nous fait ressentir toute la douleur de cette reine déchue, à tel point que nous nous prenons d’affliction pour son sort. La scène de la folie est joliment interprétée par celle qui nous émerveilla dans Lucia Di Lammermoor, deux ans auparavant.

Les autres artistes lyriques de la production ne sont pas en reste tant du point de vue de la diction et de la projection que de la qualité vocale : souffrante, la mezzo-soprano italienne Sonia Ganassi a émerveillé le public marseillais avec son interprétation de Seymour, oscillant entre doute et ambition, et dont l’intensité dans le jeu et la voix sont remarquables : avec aisance, elle offre à entendre de magnifiques duos, notamment avec le roi lorsqu’elle ne sait si elle doit accepter sa couronne, ou encore avec Anna Bolena lorsque cette dernière lui pardonne son infidélité. Possédant une grande maturité dans son chant d’une expressivité étonnante et faisant preuve d’une belle technique vocale, elle nous a régalés et nous avons hâte de la retrouver dans Don Carlo, bientôt à l’Opéra de Marseille! La jolie découverte de cet opéra est sans conteste Marion Lebègue, invitée pour la première à Marseille : elle incarne, avec fraicheur et en train, Smeton, un jeune musicien, amoureux de la reine, crédule et imprudent, aisément manipulé par le roi: son mezzo, plutôt dans les graves, se rapproche du contre alto, et lui permet d’être convaincante dans ce rôle masculin auquel elle prête sa juvénilité et son ardeur. Notre curiosité a bel et bien été piquée ce jour par sa remarquable prestation.

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Mirco Palazzi est un Henri VIII qui, à première vue, aurait pu étonner mais ne vous fiez pas à sa carrure de jeune premier ! Il est fort à l’aise dans ce rôle où le cynisme royal supplante l’amour qu’il porte à la belle Seymour : il se révèle être un excellent Henri VIII et ses duos avec Anna Bolena et Seymour sont superbes. Basse puissante, il fait preuve d’autorité et de fermeté avec une aisance dramatique et vocale que pourrait lui envier le ténor Giuseppe Gipali. Ce dernier, dans le rôle de Riccardo Percy, est un amoureux transi dont la voix au relief chaleureux est ardente et passionnée mais son jeu, hélas trop en retenu, contraste avec celui de ses compagnons. Carl Ghazarossian (Hervey) et Antoine Garcin (Rochefort) sont quant à eux, tous deux excellents et incarnent avec dignité leur personnage. Cette production concertante jouit d’une distribution homogène et équilibrée. Du côté des chœurs, citons le beau travail de direction d’Emmanuel Trenque : les chœurs sont justes et précis.

La direction musicale dynamique et cohérente avec l’œuvre est ici à saluer : Le chef italien, Roberto Rizzi Brignoli, originaire de Bergame comme Donizetti, nous a fait redécouvrir une œuvre souvent décriée par les spécialistes du compositeur qui la considère moins novatrice et moins mature que Lucia. Il a su mettre en relief les belles pages de l’œuvre, notamment l’acmé du premier acte quand la Reine s’évanouit. Sans baguette, il dirige l’orchestre de l’Opéra avec passion, donnant sans frémir le tempo à de magnifiques solos de Harpe ou de Violon, et son corps vibre tout entier au rythme des conflits intérieurs retranscrits dans la partition. Un seul regret, que cet Opéra ne fut montré qu’en version concertante même si cette dernière fut remarquable en tout point  de vue.

DVDM

*Cet opéra a disparu longtemps des scènes lyriques jusqu’en 1957 où il fut repris à La Scala de Milan, dans la production de Luchino Visconti, avec Maria Callas dans le rôle d’Anna Bolena. Il n’a pas été joué à Marseille depuis 1990 !

 

Anna Bolena : Zuzana MARKOVÁ (prise de rôle)  / Giovanna Seymour : Sonia GANASSI / Smeton : Marion LEBÈGUE

Enrico VIII : Mirco PALAZZI (prise de rôle) / Riccardo Percy: Giuseppe GIPALI / Rochefort: Antoine GARCIN / Hervey: Carl GHAZAROSSIAN

Direction musicale: Roberto RIZZI BRIGNOLI/ Orchestre et chœur de l’Opéra de Marseille

Durée : 3h/ Version concertante

 

Rmt News Int • 6 novembre 2016


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