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Traversée poétique au cœur de la vie d’Honorine dans le Vrai Marseille

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LA VRAIE VIE D’HONORNE

De et avec Edmonde Franchi/ Compagnie Cocktail théâtre/Mise en espace : Gabriel Cinque/Son et lumières : Frédéric Peau

Présenté au Toursky, salle Léo Ferré 16, passage Léo Ferré – 13003 Marseille (du 4 au 8 octobre 2016)

A voir ou revoir à St Estève Janson, le 18 novembre à 21h, salle des fêtes, gratuit sans réservation

 

Préambule

Il existe des artistes dont nous ne pouvons qu’apprécier et aimer le travail à moins d’être un agélaste totalement dénué d’humour et insensible au plaisir que provoque un éclat de rire. Il en est de même des personnes dont la générosité tant sur scène que dans la vie est si éclatante qu’elle nous fait oublier la morosité dans laquelle est plongée notre société rongée de tant de maux.

Et j’avoue qu’Edmonde Franchi fait partie de ces personnalités à la fois drôle et émouvante, sensible et poétesse dans l’âme que j’affectionne particulièrement : c’est ainsi, toujours avec grand plaisir, que nous allons voir les dernières créations de sa compagnie bien nommée Cocktail Théâtre, d’autant plus qu’elle signe de sa main des textes aux accents marseillais, joliment ciselés et finement écrits, ayant nécessité des heures et des heures de recherche et de travail, qu’elle interprète avec sa verve sans pareil sur scène, joignant le geste à la parole avec une grande justesse, sans exagérer ni l’accent ni le vocable, ni la posture ni l’attitude.

Edmonde Franchi, prononcez-le à l’italienne, pratique l’humour, oui, mais pas cet humour à trois sous qui ne dépasse guère le dessus de la ceinture, de l’Humour avec un grand H, un humour où poésie et rire s’entrelacent sur fond de critique sociale, mais une critique tendre, affectueuse, des travers de notre ville et de sa population bigarrée, loin de la pagnolade en dépit de ses nombreuses références faites à Pagnol.

Honorine, quand tu nous tiens !

Détournant les clichés dont nous affublent les estrangers parigots, à l’image de celui de la poissonnière qu’elle incarne dans « la vraie vie d’Honorine » présentée en octobre au Toursky, Edmonde Franchi réussit  ici un tour de force. S’inspirant d’un personnage trivial et pittoresque bien connu des crèches provençales, elle évite, tout en en jouant, de tomber dans la caricature simplette de la poissonnière avec un jeu tout en finesse et sobriété : au travers de son récit, elle rend hommage à notre ville et à ses habitants!

Honorine, poissonnière de son état, maman d’une belle plante (Stéphanie, sa « patchoulette », convoitée par le tenancier d’une boutique jouxtant le port), abandonnée par son mari (Louis) pour une « cagolette » de 20 ans plus jeune (la « counasse » sans vouloir être vulgaire), a été choisie par la télévision parisienne (et « j’ai pas couché pour ça », précise-t-elle à toute fin utile) pour parler de son métier, de sa vie et de sa ville : Marseille. A quelques pas de son banc de poisson, sur le Vieux Port, assise sur une caisse en bois, un parasol bleu la protégeant du cagnard marseillais, des projecteurs lui brûlant la face, voici Honorine, femme aux formes généreuses et à l’air jovial, au déhanché bonhomme, vêtue d’un châle style Souleiado, son bonnet blanc fiché sur la tête et un petit tablier gris couvrant en partie sa jupe bleue nuit.

Un personnage et une langue

crédit photo : Jean Louis Thorel

crédit photo : Jean Louis Thorel

Honorine, elle est bavarde (« une vraie bazarette avec la langue aussi pendue que son poisson est frais ») et n’a de cesse de raconter anecdotes sur anecdotes, toutes plus croustillantes les unes que les autres, imitant avec talent ses amies poissonnières (citons Maria, l’italienne et son sempiternel lamenti dès que son mari s’en va pêcher avec son « sono disgraziata » pleureur répété à l’envi ;  ou encore la portugaise et ses récits improbables ponctués de « che » en  lieu et place des « s »). Nous apprenons que la pauvre Fernande lave son poisson à la javelle et le plonge dans le gasoil pour qu’il ait l’air d’être du jour, n’ayant plus de mari pour aller chercher le poisson à la Criée ; que Mme Santelli, surnommée Pomponette en référence à la chatte de « la femme du Boulanger », trompe son mari « de longue » ; que le mari de l’espagnole, jaloux et macho, est un pied niquelé malchanceux avec sa « barcasse » ou son pointu pour user d’une langue plus châtiée… Edmonde nous dépeint avec vérité et gouaille tout un petit monde haut en couleur (avec sa population venue de toute la Méditerranée) qui cohabite sans trop de heurts, une particularité marseillaise, dans un parler marseillais chamarré, empruntant au Provençal et à l’Italien certaines de ses sonorités et expressions.

Sans dévoiler toutes les trouvailles du texte tant il est riche d’un parler marseillais parfois oublié des marseillais eux-mêmes (avec ses verbes : espancher, esquicher, péguer, guincher, engatser, escagasser), citons ici quelques expressions savoureuses, notamment lorsqu’Honorine parle des aixoises, les « passuguettes, ces blondes avec leur accent jambon », ou encore des bourgeoises liftées avec leurs « têtes de poisson suceur et leur bouche en cul de canard ». A ces expressions imagées et cocasses, se rajoutent des tournures de phrases typiquement marseillaises où le pléonasme est roi « il pleut là où ça mouille ». Entre deux galéjades (« comment il s’appelle mon poisson ? Il est mort tellement vite qu’il n’a pas eu le temps de me le dire ! » dit-elle à une cliente huppée en se moquant), Honorine nous assène quelques petites vérités bien senties  « à Marseille, on croit à la Bonne Mère, c’est une maman, mais on ne croit pas au Petit Jésus », « la propreté, c’est l’honneur des pauvres disait la grand-mère ».

Entre critique sociale et poésie

crédit photo : Jean Louis Thorel

crédit photo : Jean Louis Thorel

Autre réalité qu’elle dépeint, c’est le fini parti des éboueurs (et de certains éboueurs qui laissent plus de  « bordilles » dans la rue que dans leur camion), ou encore la prolifération des touristes, ces « envahisseurs » qui posent pleins de questions mais n’achètent jamais rien en dehors des « attrapes couillons» des magasins du port avec « leurs savons de Marseille made in china » et leurs cigales (d’ailleurs, « pour vendre du poisson, il faut être polygame, parler 3 langues »). C’est une habille façon de parler de Marseille sous un jour moins flatteur mais véridique (hélas) car Marseille, ce n’est pas que la ville cosmopolite avec ses habitants prétendument accueillants affichant tout sourire leur joie de vivre : Marseille est complexe, paradoxale et contradictoire à l’image d’Honorine. Cette dernière, sous son air souriant et ingénu (un peu dans le genre ravi de la crèche), peut en même temps jeter un regard aussi « noir que de l’encre de seiche » à un touriste allemand mauvais payeur et dans la même journée, le cœur sur la main, sans en faire des gorges chaudes, offrir à une veuve sans le sou les invendus de la  matinée. La critique pousse jusqu’au clientélisme encore vivace qui mine la ville quand Honorine parle de ses beaux-parents entrés à la Mairie par piston et connaissances.

Elle use certes d’un langage fleuri lorsqu’elle décrit « le Petit Jésus, (…) rose comme un cochon de lait avec son petit bicounou » ou évoque le chichi frégi (« pour se manger le chichi, il faut avoir la gargamelle bien accrochée », un double sens qui n’a pas échappé au public venu ce soir-là), voire le vent (quand il y a un « zef à décorner un cocu », on a « la favouille qui siffle »). Néanmoins, en dehors des tafanaris et pétadous ou autres raies, le texte regorge de belles expressions : sur les jupes courtes et serrées des cagoles qui laissent voir « la nature et le fondement » (on pense à Courbet et à son origine du monde) et de moments forts poétiques, notamment le final lorsqu’elle relate avec délectation et joie infinie leur sortie sur le quai du port, entre femmes (ses amies poissonnières), avec un bon rosé et des victuailles à gogo (« la méditerranée entière dans l’assiette »), une journée rien que pour elles, où elles peuvent savourer des instants de pur bonheur, un bonheur simple souvent oublié, à regarder la mer, à papoter ou à pêcher. Et là réside un des tours de force de l’auteure : arriver à rendre poétique une langue somme toute pas très châtiée.

Entre émotion et rire

Au-delà du rire provoqué par le texte savamment écrit, l’émotion est présente tout le long du spectacle : la voix d’Honorine se teinte d’émoi lorsqu’elle raconte que son père faisait tourner le « bacalao » autour du lampadaire et que tous trempaient le pain à l’ombre de la morue quand ils n’avaient rien à manger. Ou encore quand elle raconte par deux fois son chemin de croix à la bonne mère avec ses pois chiches crus (surtout, pas cuits !) pour demander à la maman de Jésus d’exaucer son vœu : tomber enceinte et sauver sa fille de la fièvre ! La pauvreté, la débrouille, la persévérance, l’espoir, la solidarité et la bonne humeur même dans l’adversité, voire l’autodérision : c’est aussi ça Marseille et ses habitants. Ici, nul misérabilisme, nul apitoiement sur soi, nulle rancœur, mais toujours une joie d’être vivant, certes teintée de tristesse parfois, mais un franc parler et un être franc qui méritent d’être applaudis et qui nous touchent. Car Honorine, elle est humble, bonne enfant, émouvante et vraie.

Edmonde Franchi avec un panel d’expressions diverses offre une incarnation d’Honorine plus vraie que nature : usant de quelques interactions avec le public (lorsque cherche le mot œcuménique, « il y a cul et nique mais c’est pas vulgaire »), elle s’appuie sur une mise en scène sobre où les ruptures de rythme sont bien pensées, arrivant à propos, par exemple, lorsqu’elle s’interrompt pour aller à son banc renseigner le client ou interpeller sa fille. Le rythme ne faiblit pas de bout en bout et le temps s’écoule à la vitesse d’une déferlante, porté par le jeu d’acteur éblouissant d’une comédienne à la diction claire qui n’en fait pas trop, ni pas assez !

Un grand bravo pour cette ode à Marseille, aux Marseillais, avec leurs grands travers et petites vertus, qui font sourire (on rit souvent de bon cœur de nos imperfections dans ce spectacle) et qui, certes, peuvent agacer mais quoi, au moins, on ne se prend pas (trop) au sérieux même si à Marseille, on aime bien faire « comme si »! DVDM

Rmt News Int • 22 octobre 2016


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