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Le Roi des Rats – avignon off 2016

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Cie Loba/Annabelle Sergent

Au Grenier à Sel, du 6 au 27 juillet (excepté les 11, 18 et 24), à 10h55

Jeune public dès 8 ans/ durée : 55 minutes

Conception et interprétation Annabelle Sergent/écriture Annabelle Sergent & Vincent Loiseau

Mise en scène Hélène Gay

Création lumière Erwan Tassel/création sonore Régis Raimbault & Jeannick Launay/création costume Thérèse Angebault

Collaboration artistique Titus & Eve Ledig

Après « Bottes de prince et bigoudis », librement adapté de Blanche-Neige, et « P. P. les p’tits cailloux », libre adaptation du Petit Poucet, Annabelle Sergent revisite la légende du « Joueur de Flûte de Hamelin », un récit remontant au Moyen Age germanique, popularisé par les frères Grimm, dans un seul en scène où le jeu d’acteur et la création son et lumière sont premiers.

 

Une légende urbaine revisitée

 

Avant d’interpréter le personnage-narrateur de Mily adulte et enfant, la comédienne Annabelle Sergent nous rappelle en prologue la fameuse légende du joueur de flûte d’ Hamelin : en 1284, un joueur de flûte ensorcela les rats qui grouillaient dans la ville ainsi que tous les enfants  qui disparurent, « s’effacèrent », en une nuit. Longtemps après, tous les habitants de la nouvelle ville bien nommée New Hamelin, construite sur les ruines de l’ancienne, se souviennent encore de cette légende.

La narratrice laisse place à une enfant de 10 ans, Mily : le spectateur découvre alors le lieu de ralliement de la bande à Joss, ami de la petite fille, peu bavard, vivant avec sa grand-mère « courant d’air » dans une maison biscornue. Il s’agit de la rue sans tambour, avec son gros sens interdit ! C’est seule rue ayant échappé à l’extension frénétique de la ville avec ses buildings et ses commerces envahissants, ses usines en surproduction, ses gens pressés, ses décibels, et son maire obèse (surnommé le Grand Burger), papa autoritaire d’un des deux amis de la petite Mily, Harold, un bavard impénitent s’amusant à faire peur à ses amis. Et pour cause, il se serait passé des choses terribles dans cette rue!

Un jour, arrive un rat, adopté par Joss et baptisé Muzo. Puis des milliers de rats, ces créatures supposées maléfiques porteuses de la peste et craintes de tous, envahissent la ville, causant d’innombrables dégâts et menaçant de pénurie alimentaire la ville prospère, au grand désespoir des habitants et du maire qui, paniqués, tentent vainement de se débarrasser des rongeurs : c’est la ratpocalypse. Le jeune Joss, aidé de son fidèle Muzo, et ses amis découvrent dans les égouts de la rue sans tambour une flûte cachée dans un tissu brodé. La portant à sa bouche, Joss en joue, charmant à son tour les rats qui disparaissent vers la rivière. Seul reste Muzo, son compagnon. Félicité par le Maire, il ne sera pas moins exclu de la ville, le Maire brisant la flûte en deux, craignant que Joss, le charmeur de rats, ne les fasse revenir à New Hamelin.

C’est à ce moment du récit que la jeune Mily récupère la flûte dont elle deviendra le maître. Et de tous les enfants de quitter la ville à la recherche de Joss, sous le commandement de Capitaine Mily qui a su rallier à sa cause toutes les bandes…  A leur réveil, les adultes découvrent avec effroi une ville sans enfants, comme si la légende se reproduisait encore une fois… Dans cette réécriture de la légende où Annabelle Sergent questionne la place de l’enfance et des enfants dans nos sociétés individualistes d’abondance, les enfants reviendront à New Hamelin après 7 jours et 7 nuits. Mily adoptera une rate, Muzette, et remettra la flûte à sa place !

 

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Un seul en scène interprété avec brio

 

Sur un plateau entièrement nu, revêtue d’un costume rappelant Dickens et le 19ème siècle anglais, avec son bonnet bleu et son manteau grisâtre recouvrant en partie un pullover bleu et un pantacourt foncé, façon gavroche, la comédienne interprète plusieurs personnages : elle est la narratrice du prologue, puis elle alternera au fil du spectacle, les deux narratrices que sont Mily, adulte de 40 ans se souvenant de cet événement ayant marqué sa ville et son enfance, et Mily, enfant de 10 ans, également personnage – et héroïne-  de ce récit, qu’elle interprète avec brio, occupant tout l’espace scénique.

Dotée d’une belle présence, énergique et généreuse sur scène, la comédienne deviendra également, tour à tour, Joss et Harold, ainsi que la pléiade de personnages du récit dont le maire obèse qu’elle imite avec délectation, modulant sa voix et arque boutant son corps dans des postures adéquates, donnant ainsi corps avec précision et justesse aux différents personnages qu’ils soient enfants ou adultes (à noter ses mimiques délicieuses lorsqu’elle incarne la petite Mily). Le travail de direction d’acteur est ici remarquable ainsi que l’interprétation de la comédienne : cette dernière joue habilement avec les lumières projetant des ombres de part et d’autre de la scène, notamment lorsque Mily se retrouve avec ses deux amis dans la rue sans tambour ou lorsqu’elle rencontre les autres bandes d’enfants.

Les jeux de lumière recréent ici adroitement la ville de New Hamelin avec ses découpes de taille et de forme différentes, dispersées à plusieurs endroits de l’avant-scène du plateau, signifiant la ville industrielle avec ses rues perpendiculaires et ses bâtisses rectangulaires, à l’image de « Dogville » de Lars Von Trier. Accompagnées d’effets de fumée envahissant l’espace du fond de la scène, à l’image d’une invasion de rats, et usant de douches de lumière verte, éclairant la joueuse de flûte au centre, rappelant que nous sommes dans une légende, les lumières en véritable partenaire de jeu ponctuent tout du long et fort intelligemment le récit à la judicieuse mise en abyme. La création sonore  (avec ses voix murmurées, ses sons de cloches, ses bruits de rats) vient souligner et rythmer les temps forts de la narration.

Le texte, quant à lui, fourmille d’idées, d’images et de jeux de mots savoureux : il se révèle très bien écrit, usant d’un vocabulaire plutôt recherché, ce qui peut le rendre plus difficile à entendre pour des enfants de 8 ans. Néanmoins, il mêle ingénieusement  poésie et humour, à la façon de Miyazaki, caricaturant adroitement l’étroitesse d’esprit des habitants et du maire de la ville affamés de richesses (le récit du repas gargantuesque donné par le maire est très jouissif).

In fine

 

Se découvre en pointillé une critique de la société de (sur)consommation individualiste et du capitalisme outrancier qui fait oublier aux adultes la place réelle de l’enfant, ici méprisé et malaimé, nous interrogeant en ricochet sur la notion d’enfant roi. Néanmoins, cette création laisse poindre l’espoir d’un monde plus solidaire, grâce à l’action des enfants de cette légende urbaine revue et corrigée, partis à la recherche de leur ami, et la crainte que leur disparition a inspiré aux adultes. DVDM

© Photos Emmanuel Ligner

Rmt News Int • 23 juillet 2016


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