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Carmen séduit le Dôme de Marseille!

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Une réussite exemplaire pour un projet associatif et coopératif

Pour la deuxième année consécutive, Jacques Chalmeau et Richard Martin rélèvent le défi de l’Opéra pour tous.

Après La Flûte enchantée en 2015 et sa lecture très ésotérique, c’est par deux représentations de Carmen, les 4 et 5 juin au Dôme de Marseille, que Jacques Chalmeau et Richard Martin ont réussi à faire découvrir l’opéra au grand public.

Richard Martin et Jacques Chalmeau ont décidément le goût de l’impossible. Le très faible budget dont ils disposaient ne les a pas découragés, bien au contraire ! leur créativité et leur talent ont fait des miracles et ont permis de présenter une version originale et ambitieuse de l’opéra Carmen. Pas un instant, on songe au manque de moyens bien au contraire on assiste à un grand spectacle digne des plus grands scènes lyriques internationales.

 

Une mise en scène inventive, originale et profondément moderne

 Richard Martin a fait le choix de déplacer l’action dans le Marseille des années 1950. L’idée est très pertinente car elle ne dénature en rien l’esprit de l’opéra de Bizet tout en rendant le propos très contemporain. En appui de quelques éléments de décors scéniques, Richard Martin a fait appel à la scénographe Floriande Montardy Chérel, ainsi qu’à Patrick Andruet et au jeune vidéaste Mathieu Carvin, pour la réalisation d’images numériques nous plongeant tantôt dans l’ancienne manufacture de tabac de La Belle de mai, l’auberge de Lilia Pastias, les montagnes évoquant à l’acte 3 les calanques des Goudes et ses collines enfin l’arène finale où Carmen trouvera la mort sur un lit d’oranges. Le talent conjugué de Floriande et Mathieu fait mouche sous l’impulsion créative du metteur en scène. Le résultat est souvent bluffant, comme lors de la scène de la taverne dans l’acte II.  Les trouvailles visuelles sur les tringles des cistres tintaient sont l’un des meilleurs moments visuels du spectacle. Ce passage voit aussi la participation d’une autre artiste de talent, la danseuse Ana Perez accompagnée ici de Maria Perez. On pourra tout de même regretter le choix de l’avoir fait danser sur une table en bois, le bruit des pas couvrant parfois les voix. Enfin, la direction des choeurs et figurants tant sur le plan scénique que musical est une grande réussite: Richard Martin a le sens des mouvements de la foule sur scène. Sa mise en scène se révèle très convaincante à la manière d’un Jean-Louis Martinoty. Il offre à Carmen une dimension tragique universelle souriant à la tragédie grecque antique avec le choeur disposé à cour et à jardin et jouant lui-même le rôle du coryphée à l’acte 1. On ne lui reprochera pas ses regards avisés sur un monde actuel qui va mal: projection d’ image des boats people parallèle audacieux avec nos migrants d’aujourd’hui et le monde des tziganes d’hier à la fin de l’acte 3, la gesticulation stérile de ceux qui dirigent notre monde à travers la métaphore poétique du grand Guignol ou les estocades à la corrida, héritière des jeux du cirque sanguinaire du monde antique à travers un défilé parfaitement réglé des picadors et matadors affublés de costumes grotesques lors de la scène finale où les choristes et figurants se trouvent affublés de masques à la façon d’Enzor. Pour Richard Martin, la seule religion qui vaille est l’Art, en témoigne la procession des réformés à l’acte 1 exhibant une statue bleu façon art singulier de Thierry Herbin! On saluera aussi le très beau costume et char d’Escamillo réalisé par l’emblématique Danièle Jaqui à l’acte 4. Les costumes réalisés par des bénévoles sous les regards avisés de Didier Buroc et Gabriel Massol contribuent à cette réussite d’ensemble. Bravo!

 

Une distribution digne des plus grandes scènes lyriques

             Si la distribution homogène était de qualité, il faut reconnaître que Luca Lombardo l’a survolé. Au-delà de sa technique exceptionnelle, c’est par la perfection de sa diction qu’il s’est vraiment démarqué. Présenter un opéra en français à un public non averti nécessite que le texte soit toujours clairement audible. La présence du ténor Luca Lombardo, l’un des meilleurs de son temps, est un luxe. Son investissement scénique et son timbre solaire en font un Don José d’exception. Il vient de triompher à Nuremberg après Nice dans le rôle très exigeant d’Éléazar de la Juive d’Halévy! En effet, si vocalement l’ensemble des interprètes a été au rendez-vous, rares sont ceux qui ont pu se faire comprendre du public. La sonorisation des voix, indispensable dans un lieu comme le Dôme, a posé un autre problème, celui de la spatialisation. Elle fut globalement mal gérée. Côté interprétation, il nous faut particulièrement saluer le baryton Cyril Rovery qui a campé un Escamillo éblouissant en parfait goujat voulu par Richard Martin. Cyril Rovery en possède la voix et le charisme nécessaires. Il est sans nul doute l’un des Escamillo français avec lequel il faudra compter sur les scènes nationales et internationales dans l’avenir. Si Marie Kalinine est Carmen vocalement et scéniquement, on peut lui reprocher une diction aléatoire pour nous combler et un zeste de sensualité sur le plan scénique. Il en est de même pour la jeune soprano arménienne Lussine Levoni qui possède pourtant une voix somptueuse. Sa Micaela nous fait songer parfois à celle de Leontina Vaduva à ses débuts. Dans les seconds rôles, signalons l’excellent Moralès de Benjamin Mayenoble et la Mercédès idéale de Sarah Bloch.

 

Une version digne d’intérêt

               L’autre intérêt majeur de ces représentations était la version de Carmen proposée par Jacques Chalmeau qui, soit dit en passant, a mené parfaitement la Philharmonie Provence Méditerranée ici enrichie de quelques étudiants de musique en fin de cycle de conservatoire. Le chef d’orchestre a réalisé une nouvelle édition critique de Carmen, chez Sources of Music. L’histoire éditoriale de cette oeuvre est très complexe. Dès 1875, l’éditeur Choudens réalise une première publication, dans une réduction pour piano et voix, réalisée par Bizet lui-même, mais qui ne respecte pas intégralement la version présentée lors de la première, avec par exemple la suppression de l’air de Moralès.  En 1877, le même éditeur est à l’origine d’une nouvelle version, cette fois-ci orchestrée. Le compositeur Ernest Guiraud est chargé de transformer les dialogues en récitatifs, selon la volonté de Bizet. Cependant, il est décidé d’y ajouter plusieurs pièces tirées d’autres œuvres vocales de Bizet, et de supprimer certains passages. C’est cette version qui va devenir la référence au XXe siècle. En 1964, le musicologue Fritz Oeser tente de reconstituer les intentions premières de Bizet d’après plusieurs manuscrits, mais on lui a reproché de proposer une version pré-scénique de Carmen. Quant à Jacques Chalmeau, il tente de reconstituer au plus près l’opéra tel qu’il fut imaginé par Bizet pour la première du 3 mars 1875. Jacques Chalmeau  réintègre par exemple l’air de Morales et redonne à Mercédès et Frasquita leur tessiture originelle. Les différents manuscrits ne permettent pas, hélas, toujours de trancher entre les divers essais réalisés par Bizet, et il s’agit parfois plus d’interprétations que de certitudes. Quoiqu’il en soit, la proposition de ce dernier est cohérente et caractéristique de l’art de Bizet. Si l’intérêt historique et intellectuel est évident, le résultat n’est pas toujours convaincant artistiquement, les récitatifs de Guiraud ayant, d’après moi, réellement bonifiés l’œuvre.

Au final, malgré ces quelques bémols, le pari du duo Martin/Chalmeau est largement atteint et leur collaboration est promise à un grand avenir. Cette année, le soutien de l’Opéra de Marseille ne fut pas négligeable, et on espère que d’autres partenaires vont s’associer à ce magnifique projet d’Opéra pour tous à travers l’Opéra Studio Marseille Provence. Il est en effet indispensable que, chaque année, une nouvelle œuvre lyrique soit offerte au public marseillais et à tous ceux qui souhaitent faire leur premier pas dans un univers qui est tout sauf élitiste ! Une aventure saluée par une standing ovation longue et chaleureuse par un public conquis. On en redemande…

 

Charles Romano

 

(c) photo jean barak

 

 

 

 

Rmt News Int • 29 juin 2016


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