RMTnews International

The culture beyond borders

Exposition au Théâtre Toursky d’André Robèr

image_pdfimage_print
Share Button

Ce diaporama nécessite JavaScript.

 

A l’occasion du 50e anniversaire du CIRA, le Centre International de Recherches sur l’Anarchisme, André Robèr, artiste et poète chaleureux, a répondu à l’appel du Théâtre Toursky, en exposant quelques toiles dans ses locaux.

 

Parler de « quelques toiles », c’est rien de le dire ! André Robèr expose à proprement parlé, des sacs postaux faits de toiles de jute épais, qu’il récupère, découpe et maroufle sur du bois. De prime abord, l’aspect de ces toiles est brut : il s’emploie à utiliser des matériaux du commun et fuit tout support noble. Il juge que les toiles achetées dans le commerce sont tous simplement sans vie, fragiles et sans reliefs. En effet, à la manière de l’artiste italien matiériste des années 50, Alberto Burri – qui récupère des sacs de grains envoyés par les Etats-Unis, dans le cadre du plan Marshall – André Robèr éprouve le besoin de « dompter le sac », d’en faire son propre support d’expression. La toile est à la fois une forme, une couleur brute et une texture. Le sens même de la définition du « tableau » est ici renouvelé.

 

Certes, il semblerait que la forme préconçue du sac limite l’artiste dans ses gestes. Or, ce n’est pas le cas puisque le cadre est ouvert et laisse ainsi libre cours à l’imagination du spectateur. Pourquoi avoir coupé la tête du protagoniste de la toile intitulée La Main dans le sac ? Pourquoi pas ! Et heureusement ! Imaginez le regard de ce personnage, vicié par le plaisir d’enfouir sa main dans l’appareil génitale de sa douce ! Remarquez que le sac est à la fois support et matière à jeu de mot… N’oublions pas que nous avons affaire à un poète ! Par ailleurs, les cadres sont succincts et semblent résignés à maintenir une toile qui se débat sous ses plis apparents. En effet, même si la bienséance empêche le visiteur de poser les doigts sur la toile, le regard suffit à en percevoir les reliefs et aspérités. La vue supplante le toucher.

 

Ces effets de matière sont sans conteste dus aux matériaux et aux outils qu’il emploie pour les apposer sur la toile. Alors que Pierre Soulages a fait du brou de noix, son matériau de prédilection, André Robèr utilise du goudron à l’eau, huilé, de la peinture acrylique, le tout travaillé dans un empâtement irrégulier, presque foisonnant. Notre artiste fuit les aplats, il semble effleurer la toile à certains moments, puis l’attaquer à coups de brosses pour délimiter avec plus de précision, les contours de ses figures.

 

André Robèr utilise des tonalités organiques, comme liées à la matérialité même de la terre : des couleurs de cendre, des couleurs boisées, des couleurs de vigne et de continent. Ne sentez-vous pas l’attachement de notre artiste à sa terre natale, l’Île de la Réunion ? Par ailleurs, le contraste coloré entre la forme et le fond est faible. Il ne laisse apparaître que quelques éléments pour former la physionomie caricaturale des personnages. Ce fond goudronneux constitue l’unique relief de la toile, la seule profondeur possible à l’œuvre. Il s’emploie parfois, voire rarement, à utiliser des couleurs beaucoup plus stridentes, saillantes pour mettre en exergue l’action des figures. Je bande et alors : on voit tout, on sait tout, quoi de plus explicite ? La composition est ainsi claire : deux voire trois personnages se mêlent à la rugosité de la toile. Elle est ainsi peu chargée en motifs, mais témoigne d’un fort potentiel expressif.

 

Ces corps ne sont ni humains, ni bestiaux, ils sont comme polymorphes. Ils pourraient se détacher de la toile, tels des sculptures qui s’élèvent de la terre. André Robèr opère un travail de renégociation de l’effigie humaine, par le traitement de la matière picturale, qui demeure malléable et plastique. Certaines silhouettes sont comme spectrales et l’artiste semble faire appel aux fantômes d’une civilisation passée pour aboutir à cette esthétique si particulière. En effet, les visages sont dépeints comme des masques. A titre d’exemple, la figure de la toile Juste offerte s’érige, telle la Vénus d’un peuple autochtone. Cet aspect n’est pas sans rappeler l’esthétique des masques africains et des œuvres issues de l’art primitif. Le masque est avant tout un outil qui sert à exprimer les sentiments. Comment parler de masque expressif sans évoquer Le Cri d’Edvard Munch, réalisé en 1893, œuvre manifeste de l’expressionnisme de la fin du XXe siècle ?

 

Outre les visages emblématiques des toiles d’André Robèr, les ânes, les poissons, les langues déliées et autres phallus passent difficilement inaperçus. En effet, l’érotisme est fortement présent et constitue un élément majeur de cette série de toiles. Certains motifs sont évocateurs. C’est le cas par exemple du poisson, symbole de fécondité, de fertilité, qui est devenu un leitmotiv dans les œuvres d’André Robèr. L’âne quant à lui, représente plutôt l’ignorance, l’incompétence et pourquoi pas l’érotisme également, au regard de ses attributs. La langue aussi, habituellement discrète, est un motif récurrent. Les toiles Je bande et alors et La Main dans le sac, sont sans doute les œuvres les plus érotiques de la série. La langue ainsi déliée symbolise à la fois le plaisir sexuel, mais aussi le langage, l’un des outils d’expression du poète. L’artiste troque son pinceau, contre sa langue, sa peinture, contre ses mots.

 

Difficile d’ignorer cet aspect lorsque l’on sait qu’André Robèr se bat pour la liberté du langage, défend ses racines créoles et a visiblement éprouvé le besoin de s’exprimer, à sa manière, suite aux vertigineux attentats contre Charlie Hebdo. A cette occasion, il réalise une série de cinq toiles « post apocalyptiques » intitulées Le Jour d’après, bien plus noires et macabres que les autres. Barnett Newman, au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, disait que beaucoup d’artistes choisissent de « repartir à zéro, de peindre comme si la peinture n’avait jamais existé. » Que faire après un tel cataclysme ? Faut-il continuer ? Se battre ? Se taire ? La réponse semble claire et ces toiles, à valeur cathartique, exaltent deux valeurs fondamentales dans l’art et plus généralement, la vie d’André Robèr : la liberté et l’expression. André Robèr ou comment vider son sac.

 

André Robèr est un homme de contrastes. Ces « gribouillages enfantins » traduisent la pensée d’un homme qui interroge le langage, la sexualité, l’animalité. Les langues se délient, les silhouettes se dessinent et les phallus se tendent. Il mêle ainsi à la fois le monde de l’enfance, avec ses formes incertaines – évoquant parfois l’esthétique picassienne – et le monde de l’adulte, avec ses angoisses quotidiennes. A travers des motifs simples, André Robèr délivre des messages forts. Certaines de ses œuvres incarnent aussi le paradoxe entre la douceur de la poésie – A Cheval nous montre une silhouette voluptueuse rappelant sans équivoque la célèbre photographie de Man Ray, Le Violon d’Ingres, réalisée en 1924 – et l’agressivité, la férocité, l’animalité de certains actes.

 

Jean Dubuffet, précurseur de l’art brut, perçoit l’authenticité du message de l’art, dont l’enfant est déjà capable, et ce en dehors de toute connaissance et savoir-faire. André Robèr est tel un nouveau-né de l’art, lorsqu’il se découvre une passion pour la peinture. En effet, alors qu’à première vue ses œuvres présentent des similitudes avec l’art brut – ces productions d’écorchés vifs, sans culture artistique et sans technique – notre artiste insiste sur son appartenance à une mouvance expressionniste. Pourquoi ? Dans un premier temps parce qu’il s’est forgé une culture artistique solide, qu’il a appris des techniques de travail, mais aussi et surtout grâce au potentiel expressif de ses œuvres. Après tout, ne pourrait-on pas évoquer un André Robèr symboliste ? Y a-t-il un symbole à ces couleurs? Déploie-y-il un langage à travers la palette choisie? Car il s’agit bien là d’une palette, dans sa matérialité la plus concrète. Notre poète a plus d’un tour dans son sac !

 

Cela dit, pourquoi vouloir à tout prix stigmatiser un artiste ? En sommes-nous encore là, au XXIe siècle ? André Robèr est un type cool, un militant anarchiste qui a soif de liberté. Dans sa revue Art et Anarchie, il démonte l’art contemporain, décolle les étiquettes ! Par définition, l’anarchisme, c’est le refus de l’autorité, de la hiérarchie. Les anarchistes prônent un état libertaire dans lequel les hommes sont égalitaires et libres de s’émanciper au sein d’une coopération harmonieuse. Chacun est son propre dictateur. André Robèr est son propre dictateur, en ce sens qu’il commande son pinceau, choisit ses matériaux, refuse de se plier à « l’huile sur toile tendue sur châssis ». Il serait bon d’envisager un militantisme anarchiste dans sa politique, mais aussi dans son art.

 

Et hop, l’affaire est dans le sac !

 

 

 

Carmela SCARCELLA

 

Exposition à découvrir jusqu’à la fin du mois de novembre sur les cimaises du hall du Théâtre Toursky

 

Rmt News Int • 15 novembre 2015


Previous Post

Next Post