RMTnews International

The culture beyond borders

Rencontre avec les musiciens, Louis-Alexandre Nicolini et Gérard Mortier

image_pdfimage_print
Share Button

 

Il m’est arrivé à penser à des paysages.

 

Rencontre avec les musiciens, Louis-Alexandre Nicolini et Gérard Mortier.

 

 

DSC_8234R

De gauche à droite, Louis-Alexandre Nicolini et Gérard Mortier. (c) photo: SB

 

 

Suite au concert Duos pour 2 violons,  qu’ils ont donné le samedi 18 janvier 2014 à 17h au Foyer de l’Opéra de Marseille, les deux violonistes, Louis-Alexandre Nicolini, deuxième prix du concours de Prokofiev à Moscou et lauréat des Conservatoires de Toulouse, Reims, Metz et Aulnay-Sous-Bois et Gérard Mortier, médaillé d’or du Conservatoire d’Annecy, tous deux membres de l’orchestre philharmonique de Marseille, racontent leur lien à la musique.

 

Vous avez joué ce soir cinq mouvements de compositeurs géographiquement et temporellement très éloignés : Luigi Boccherini, compositeur italien du 18ème, Jean Martinon, compositeur français du 20ème, Amadeus Mozart, compositeur allemand du 18ème, Henryk Wieniaksi, compositeur polonais du 19ème, et enfin Béla Bartók, compositeur hongrois du 19ème. Y-a-t-il une décision de mettre en résonance un certain nombre précis de mouvements, et pour quelles raisons ?

LAN : Nous avons eu une contrainte de temps, j’ai remplacé le musicien Mathieu Latil, initialement prévu qui a eu un accident, s’est foulé le poignet et n’a pas pu venir. Donc il n’y a pas de choix particulier, si ce n’est la contrainte du temps de travail.

 

Quelle est la différence entre le moment de la répétition et la représentation ? Est-ce comme le théâtre ? Oubliez-vous complètement le public ou vous interagissez ?

GM : On sent toujours la présence du public. C’est une montée de stress. En répétition, on ne peut jamais avoir la même sensation. Cette attention particulière fait que c’est un moment spécial, qu’on ne peut avoir pendant la répétition.

LAN : On ne peut pas mieux dire. Forte heureusement qu’on n’oublie pas le public. Il permet aussi quand même, une fois qu’on est bien entré dans la représentation, il est là pour nous soutenir. Il y a un moment où on dépasse le stade de mauvais stress et on joue avec le public.

 

Vous avez joué des « Duos pour 2 violons ». Quelle est la spécificité du jeu à deux ?

GM : En musique de chambre, il y a toujours une écoute particulière avec la ou les personnes avec qui on joue. En duo, chacun peut garder sa personnalité, plus facilement que dans un quatuor, tout en restant à l’écoute pou laissez le dialogue s’instaurer.

LAN : C’est le dialogue de deux personnalités.

 

Comme dans la vie, peut-il arriver que certaines interactions subliment, d’autres éteignent ?

LAN : Bien sûr. Il y a vraiment des histoires d’affinités. Je pense que ça n’est pas pour rien que Gérard m’ait demandé à moi de remplacer Mathieu, il y a forcément des affinités. Gérard et moi avons une proximité qui fait qu’on sait qu’en trois semaines, on va pouvoir faire quelque chose.

GM : Il y a, humainement, des liens qui font que cela se passe bien.

 

Qu’est-ce qui vous a fait musicien ?

GM : Tout simplement, ce sont mes parents qui m’ont mis à la musique. Il n’y a pas eu de coup de foudre particulier. Ma mère aimait la musique, elle voulait que ses enfants fassent de la musique, nous avons tous les trois fait de la musique.

LAN : Moi j’avais des parents qui étaient et sont mélomanes et qui m’ont emmenés assez tôt à des répétitions car ils avaient accès aux répétitions d’un festival de musique de chambre. J’ai flashé sur le violon, d’abord sur le violoncelle. Puis j’ai choisi l’instrument, j’ai choisi le violon.

 

La musique, est-ce un lieu dont on ne sort pas?

LAN : Fort heureusement, non. La musique se nourrit de toutes les passions qu’on peut avoir à côté. Certains s’enferment dedans, moi, je ne pourrais absolument pas, je me nourris de tout ce que je fais à côté pour faire de la musique. Si on m’interdisait de faire toutes les passions à côté, j’arrêterai la musique. Ça n’aurait plus de sens. Également, comme par hasard, quand on écoute les grands musiciens, ceux qui ont le plus de chose à dire sur leur instrument sont ceux qui à côté vont parler de peinture, de photographie, de ballades, d’architecture, etc..

 

Combien de temps consacrez-vous à la musique quotidiennement ?

GM : Il y a le travail personnel, diffèrent du travail pour les concerts de l’orchestre. Pour maintenir son niveau et progresser, il faut travailler tous les jours. Cela dépend si on prépare un concert, on concourt, ou si on a rien du tout. Moi, je travaille trois heures minimum et six heures si j’ai un concert.

LAN : Lorsque nous sommes sur une période, nous arrivons vite à cinq six heures d’instrument par jour.

 

Quelles sont les rencontres qui ont marquées votre parcours ?

GM : J’ai beaucoup aimé le dernier, Stvetlin Roussev.

LAN : Je pense que le dernier professeur que j’ai eu également qui m’a beaucoup marqué. En même temps, ils sont tous plutôt important. J’ai eu la chance de travailler avec Robert Papavrami, qui m’a transmis des méthodes de l’instrument qu’il était grand temps que j’apprenne. En même temps, le professeur avec qui j’ai débuté a permis à tous les autres professeurs, avec la base saine qu’elle m’avait donnée, de pouvoir ajouter ce que chacun pouvait m’apporter. Pendant des années, j’ai travaillé avec Jean Lenert, qui était professeur au Conservatoire de Paris. C’est une personnalité marquante. Le dernier c’est Miroslav Roussine, c’est particulier car c’est un élève direct de David Oïstrakh. Il a pu me donner alors que j’étais déjà presque professionnel, ce que nous appelons les « trucs de scène », les petites choses de l’école Russe qui est la très grande école du violon, qui a quand même sorti de grands prodiges. Partager cette pédagogie, c’est quelque chose d’extraordinaire, j’en ai tiré beaucoup d’enseignement. Ça m’a permis de stabiliser beaucoup de choses dans mon instrument, ça a été d’une aide considérable.

 

Êtes-vous toujours sensible à l’univers sonore, y compris en dehors de l’opéra et les lieux dédiés à la musique ?

LAN : Non. C’est évident qu’il y a certaines choses du quotidien qui nous marquent et qui après ressurgissent quand on est sur scène. De là à dire qu’on est vigilant en permanence, pas du tout. Ça n’est pas une nourriture sonore. C’est autre chose. C’est la vie. On peut être à certain moment, lorsqu’on découvre et écoute un enregistrement, on peut être marqué par une sonorité, et essayer d’aller chercher ça, un petit peu, on n’arrive jamais vraiment à copier. On peut être attiré par telle sonorité plutôt qu’une autre, et cela évolue au fur et à mesure de notre vie de musicien.

 

Quelle est la nourriture d’un musicien ?

GM : Pour moi, c’est tout simplement bien être, faire ce que j’aime faire y compris dans le domaine non musical. Ce bien être se ressent dans la musique.

LAN : Toutes les petites épreuves qu’on peut avoir à traverser, toutes les joies, ce sont des choses qui ensuite ressortent dans notre instrument. On ne retraverse jamais complètement, mais en tout cas, le souvenir des états qu’on a traversé à ces moments, aller les chercher. Ça peut être la perte de quelqu’un, ça peut être une rupture, la déception vis à vis d’un artiste qu’on a suivi pendant des années. Tout cela est plutôt instinctif.

 

De quoi vous nourrissez-vous ?

LAN : Ça m’est arrivé de penser à des paysages en jouant, et du coup d’essayer de retranscrire ce qu’on a vécu en regardant un paysage comme ça. Quand je joue, je visualise le paysage.

GM : Certaines musiques rapprochent de certains paysages, pour bien sentir la musique, il faut avoir l’image. Par exemple, le concerto pour violon de Sibelius me ferait penser à une forêt avec du brouillard. C’est tout ça qui fait qu’on peut avoir un son spécifique, un vibrato, guider la phrase d’une certaine manière pour faire ce qui fait que la musique nous touche.

LAN : Ou un paysage de Norvège, où il fait froid, quelque chose d’un peu figé.

 

Quelle est la place de la musique et de l’opéra dans la société ?

LAN : La place de la musique, en France, n’est pas assez importante. Et c’est bien regrettable, parce que c’est quelque chose qui est une pratique collective qui permettrait à de nombreux enfants d’acquérir beaucoup de méthodologie, beaucoup de rigueur, tout en se faisant plaisir. Ce sont des choses qui dans la vie peuvent être précieuses. La pratique d’un instrument demande de la rigueur. La place de la musique devrait être au cœur d’une société en tant que moyen d’apprendre à vivre ensemble. C’est une formidable langue universelle. C’est bien dommage qu’il y ait de telles barrières entre la musique classique, particulièrement l’opéra qui est considéré comme un art élitiste.

 

A vous écouter, il semble que vous avez chacun, des teintes, des couleurs personnelles.

LAN : C’est vrai. C’est une histoire pas tant de compositeur sinon de timbre d’instrument. Dans un concert, on va aller vers ce qu’on sait faire le plus possible. Notre personnalité va nous guider. Effectivement, je suis peut-être plus dans la recherche de quelque chose de chanter, de moins virtuose.

GM : Ce n’est pas ce qu’on fait le plus facilement qui nous plait le plus à écouter. Par exemple, j’aime Chostakovitch, c’est très profond, il faut avoir un gros son, un son rond, chaud, ce n’est pas forcément où j’excelle le plus mais c’est là qui me touche le plus.

 

Propos recueillis par  SB

 

Rmt News Int • 4 mars 2014


Previous Post

Next Post