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No, No, Nanette à l’Odéon

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Broadway sur la Canebière

 Dans sa belle programmation d’opérettes, d’opéras-bouffes, d’opéras-comiques, de comédies musicales, le Théâtre de l’Odéon présente le chef-d’œuvre du jeune compositeur (26 ans) Vincent Youmans : NO, NO, NANETTE, sur un livret d’Otto Harbach et Frank Mandel, paroles Otto Harbach, Irving Cæsar. No, no, Nanette est tirée d’une pièce de théâtre d’Emil Nyitray et Frank Mandel: My Lady Friends, créée en 1919, à Broadway.

La création mondiale a eu lieu à Boston le 20 avril 1924. Création française à Paris, Théâtre Mogador, le 29 avril 1926. Plus de 300 représentations les premières années, à New-York, ensuite, des succès fulgurants, des chansons reprises dans tous les pays, dans tous les styles. Période effervescente à Broadway, heure de gloire des comédies musicales. 

Vincent Youmans et George Gerswhin sont nés la même année, en 1898! Gerswhin est en pleine gloire (Rhapsody in Blue, Concerto en fa…). Les mélodies de Gerswhin et Youmans découlaient des influences du Jazz «naissant» et de ses multiples palettes: Blues, Boogie, Ragtime, New-Orleans, Dixieland… Jelly Roll Morton et Scott Joplin sont aussi contemporains du jeune Armstrong. Les chansons Tea for Two, I Want to Be Happy étaient donc composées sur des standards d’écriture issus des différentes influences et composantes du Jazz, sans oublier l’influence des Gospels, et les apports du Call and Response dans Tea for Two.

 No, No, Nanette est basée sur une alternance de mélodies simples, efficaces, sur des rythmes syncopés liés intimement au Jazz mais des clins-d’œil au Classique aussi avec ces nappes de cordes, chères à Gershwin et Youmans.

Scène incontournable du spectacle marseillais, l’Odéon est riche par sa diversité, à l’image de la ville. Des opérettes de Vincent Scotto, Francis Lopez, Jacques Offenbach… aux comédies-musicales ayant triomphé à Brodway, les passerelles sont multiples.

Le titre No, no, Nanette! (Non, non, Nanette!), rappelle les invectives récurrentes dans le livret, car Nanette, jeune orpheline de 16 ans, qui vit chez ses parents adoptifs milliardaires, le couple Smith, n’en fait qu’à sa tête et veut voler de ses propres ailes. Ce sont trois couples: Jimmy et Suzanne Smith, Billy et Lucille Early, Tom et Nanette, Pauline, la femme de chambre des Smith, et trois amantes imprévues: Betty, Winnie, Flora. Tout ce petit monde se croise, s’aime, se dispute, se réconcilie.

Tous les ingrédients sont réunis dans une œuvre enlevée adaptée plusieurs fois au cinéma et mondialement connue par ses deux chansons emblématiques: Tea for two et I want to be happy, petits bijoux mélodiques et rythmiques qui subiront des transformations, adaptations, pendant toute l’œuvre grâce au talent des musiciens de l’orchestre de l’Odéon.

Interprétation

Jimmy Smith est l’excellent Rémy Cotta, belle gueule de crooner américain, à la Clark Gable: la voix est de qualité, homogène, percutante, belles couleurs. Le jeu est très séduisant, entre l’amateur de jolies femmes (trois amantes se déclarent et répondent, en même temps à ses faveurs!) et le mari pris dans ses contradictions, toujours très juste et bon danseur.

Son épouse, la si peu coquette Suzanne, qui n’éprouve aucun intérêt pour le luxe, est jouée par Elisabeth Aubert, très à l’aise scéniquement, piquante, ironique ; Suzanne supporte ce mari inconstant et volage qui paie maîtresses et avocat pour reconquérir sa bien-aimée. Les très belles interventions vocales d’Elisabeth Aubert dans les ensembles font regretter l’absence d’air véritable pour cette soprano lyrique très présente.

Billy Early, l’avocat, Fabrice Todaro et sa femme Lucille, Julie Morgane, dépensent sans compter et profitent sans honte de la fortune de leurs amis Smith. Jimmy aura bien besoin de son ami avocat lorsqu’il se retrouvera empêtré entre sa femme légitime et ses trois maîtresses. Fabrice Todaro est comme un poisson dans l’eau dans cette production dynamique, bon chanteur, voix agréable, belle projection, danseur expérimenté, rompu aux charmes et aux difficultés de nombreuses opérettes déjà interprétées.

Julie Morgane joue une épouse craquante, espiègle qui vit dans le rêve et le cocon d’un mari au standing surfait. Mais elle décide de quitter ce dernier quand les trois amantes de Jimmy accusent, en fait, Billy.

D’imbroglios en imbroglios, de quiproquos en quiproquos, tout va finir par s’arranger. Lucille apprend la vérité, en parle à Suzanne. Les trois récupèrent un chèque confortable de Jimmy et assurent finalement à Suzanne que Jimmy n’aime qu’elle! Et qu’elle ferait mieux maintenant de devenir plus coquette et dépensière. Conseil qu’elle s’empresse de suivre. Billy et Lucille se réconcilient aussi, grâce au chèque remis par Jimmy à son ami avocat ayant géré les transactions amoureuses de l’ami séducteur.

Mister Smith vit en grand mégalo séducteur, et désire imprimer une nouvelle Bible de Jerusalem. Mais à force de se brûler, de dédommager l’un et l’autre, l’une et l’autre, il y laisse des plumes, entre ses goûts de luxe et les frais d’avocat (qui se comptent en millions de dollars) pour étouffer ses conquêtes. Imprimer la Bible de Jerusalem, le challenge de sa vie, devient plus en plus improbable: Si ça continue, je vais l’imprimer en papier recyclé Et, plus tard: Je crois que ce sera en papier journal. L’effet est très drôle.

Ah Pauline, la femme de chambre, qui n’en peut plus de répondre au téléphone, de passer l’aspirateur (!), est la merveilleuse Marion Préïté, très belle voix, chaude, engagement impressionnant vocalement et scéniquement.

Nanette est la pétillante Agnès Pat’. Orpheline, recueillie par les Smith, Nanette a beaucoup d’ambition et cherche un amant moderne et fortuné. Son amoureux, Tom, est l’élégant Julien Salvia, voix de velours au très beau legato, beaucoup de classe, de sensibilité et un magnifique danseur. Ils se déclarent dans un duo passionné Pourquoi dire à la rose que je t’aime, il vaut bien mieux te le dire à toi (Orignal: I’ve Confessed to the Breeze). Agnès Pat’ est remarquable de justesse vocale et scénique, ses interventions sont passionnées, brillantes. Et c’est une merveilleuse claquettiste.

On retrouve le magnifique I Want to Be Happy (Je veux être heureux) qui va inonder le théâtre de toutes ses modulations, rythmiques, mélodiques, harmoniques: moments magiques! L’amour étant au centre de l’intrigue, Youmans se plaît à décliner de mille façons, ce standard qui deviendra un tube planétaire.

Travail remarquable d‘André et Christian Mornet dans ces approches stylistiques diverses, pour donner des couleurs différentes selon les interprètes qui s’approprient cette chanson. Relayés par l’excellent band de la fosse. Tout le monde peut être heureux, mais moi je ne le suis que si tu l’es toi aussi... claque dans tout le théâtre.

Et quand les danseurs-chanteurs reprennent l’air, avec toute la troupe, version claquettes, c’est jubilatoire! On retrouve l’énergie des films hollywoodiens, comme Chantons sous la pluie (Singing’ in the rain) de Stanley Donen et Gene Kelly, avec les magiciens Gene Kelly, Debbie Reynolds, Donald O’Connor. Et que dire du funambule Fred Astaire et son duo légendaire avec Ginger Rogers, le «dancing couple» de la comédie-musicale hollywoodienne. On se pince à l’Odéon, un air US envahit le haut de la Canebière.

Mais Nanette est heureuse de fuir la maison familiale avec Jimmy pour s’aérer à la mer (Acte II, la villa de Jimmy à Paris-Plage!) car Tom, pourtant si romantique, n’est pas très marrant.

Réalisation

Quand Maud Boissière, chorégraphe-danseuse, libère sa merveilleuse troupe, dont elle fait partie, c’est un déchaînement éblouissant qui s’offre à nos yeux. La troupe des dix danseurs est remarquable: engagés, dynamiques, puissants et aériens à la fois.

Des rythmes endiablés pour accompagner, entre autres, la danse mythique de l’époque, le Charleston, en solo, duo, ou en groupe. Les dix solistes et les dix danseurs de l’Odéon s’en donnent à cœur-joie. Du hot Jazz, du swing musical aux déplacements incessants du poids du corps d’une jambe à l’autre, pieds tournés vers l’intérieur et genoux légèrement fléchis, ou des envolées par couple avec la souplesse des soulevés. Arabesques et balancés qui donnent d’incroyables tableaux. Les sauts, les ports sont vraiment de qualité. Le deuxième acte qui s’ouvre sur la villa de Jimmy à Paris-Plage (Atlantic City en 1924) est un tableau féerique, très coloré, de baigneurs type 1920, les dames aux rayures verticales, les hommes aux rayures horizontales. Imitation d’une mer immense avec une toile avant scène: Peach on the Beach. Idée lumineuse.

Puis l’arrivée rocambolesque des trois maîtresses de Jimmy: Betty (Perrine Cabassud): J’ai rendez-vous avec Jimmy, Winnie (Davina Kint): Je suis Winnie, j’ai reçu un message de Jimmy, Flora qui entonne le tube Tout le monde peut être heureux, (I want to be happy), repris en trio. Winnie cabotine avec des clins d’œil à l’opéra en lâchant ses vocalises comme des gifles : «Prends garde à toi! (cf Carmen de Bizet) ou les terribles arpèges de la Reine de la Nuit (cf La Flûte Enchantée de Mozart). Quelle puissance vocale! Les trois sont excellentes vocalement, scéniquement et apportent une vis comica jubilatoire à l’ensemble.

Et le fameux tea for two qui a fait le tour du monde! Dans une cabine blanc écru, très tendre, coussin en forme de gros cœur, Nanette et Tom se réconcilient aussi sur ces notes aériennes. Chanson basée sur un rythme répété et lancinant (noire pointée-croche) qui donne cette impression de balancement et d’avancée chaloupée : Je te vois sur mes genoux, on prend le thé à deux, on n’est que nous… (version française de ce Thé pour deux). Et tous reprennent: grandiose.

La mise en scène de Carole Clin est très vivante, percutante, pas de temps mort: on chante, on parle, on danse, on entre, on sort, on se croise, on se cache, tout est fluide, ça vit, ça rebondit sans cesse. La fin est un résumé de situations exagérées tragi-comiques, de déclarations, de réconciliations, de questionnements et de certitudes. Jimmy: Quand votre femme vous raccroche au nez, appelez donc un autre numéro!

Julie Morgane (Lucille) est une belle tragédienne, belle voix de chanteuse réaliste dans des tenues magnifiques: Je ne me sens heureuse qu’avec toi…Qui est-elle, que fait-elle, celle qui me prend mon mari, qui démolit ma vie? Tom déclare sa flamme : j’ai l’âme en peine et mon cœur s’ennuie, attendre c’est de la folie (Waiting for You). Tout s’enchaîne, se télescope. C’est un feu d’artifice.

Direction musicale

Bruno Conti, direction musicale, a fait un travail remarquable pour adapter un score très riche à la petite fosse de l’Odéon. Sa connaissance du Jazz, ses départs, ses respirations, son écoute étaient indispensables pour «tenir» l’ouvrage si riche mélodiquement et rythmiquement. Les deux pianistes André et Christian Mornet ont aussi réalisé un travail fabuleux dans les arrangements, les interprétations différentes d’une même chanson (Tea for two), avec des accents syncopés, plus martelés ou plus swing, des lignes plus mélodiques, des passages plus harmoniques, jouant subtilement sur les nombreuses modulations. A la création, le score (partition orchestrale) comprenait un orchestre symphonique et deux pianos! Évidemment, la fosse de l’Odéon n’a pas la superficie des théâtres de Broadway, la fameuse artère de Manhattan, ni de Boston.

Difficile donc d’entendre un orchestre symphonique, avec cordes, vents (cuivres et bois), percussions, ce samedi 25 mars 2023, mais nos musiciens ont su trouver un merveilleux compromis et une belle densité, par l’ajout de deux claviers numériques, l’un (Rolland) qui pose les nappes de cordes si nécessaires et le second, pilote, qui permet des additifs de bois et de cuivres. Un violon, une contrebasse, une trompette, un trombone, un saxo ténor, une clarinette, une batterie composent ce band très jazzy : dix musiciens seulement mais un résultat étonnant par le mélange des couleurs et la richesse des arrangements et des interprétations. Saluons la présence de Philippe Perathoner, pianiste de Michel Berger, Michel Sardou. Un gros travail sur le son et un remarquable résultat: ça swingue, ça percute sans cesse.

In fine

Le final en paillettes, costumes grandioses, est magnifique. Suzanne, enfin libérée, a mis sa plus belle robe de gala et peut participer à la fête dans de grandes envolées chorégraphiques : elle passe dans les bras de chaque danseur. Le public, debout et conquis, est aussi enthousiaste devant cette troupe homogène et si dynamique: instruments, chanteurs, acteurs, danseurs. Un spectacle de qualité dans ces temps moroses de l’actualité, qui fait un bien fou et nous fait revivre les grandes soirées de Manhattan.

Puisse le théâtre de l’Odéon perpétuer la mémoire de ces chefs-d’œuvre absolus de la comédie-musicale, pour que la Canebière résonne encore longtemps sur des airs de Broadway. Puisse cette jolie salle marseillaise continuer à faire le bonheur d’un public passionné et exigeant, multigénérationnel: deux gamins de 12 ans, à côté de moi, applaudissaient et riaient aux éclats. Et si les jeunes étaient aussi l’avenir du Théâtre de l’Odéon. Yves Bergé

 

Samedi 25 mars 2023

No, no, Nanette

Théâtre de l’Odéon, Marseille

Direction musicale: Bruno Conti

Mise en scène: Carole Clin

Chorégraphie: Maud Boissière

Orchestre de l’Odéon

Costumes: Opéra de Marseille

Décors: Théâtre de l’Odéon

Crédits photos © Christian Dresse

Rmt News Int • 31 mars 2023


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