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Féminin étrange et préjugés

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Avignon off « Féminin étrange et préjugés », le nouveau spectacle de Natacha Amal au Théâtre du Roi René

Du 8 au 30 juillet 2011, Natacha Amal présente son nouveau spectacle qu’elle a écrit et co-mit en scène avec Olivier Werner. Auprès d’Edouard Collin, Natacha Amal signe un spectacle d’une rare intelligence où la femme tantôt « désirée, haïe, complexée » est mise en scène dans une représentation hautement féminine ! Textes classiques à l’appui, l’actrice joue les femmes classiques qui, finalement, sont toutes des femmes modernes.

Qu’on se le dise, Natacha Amal est une comédienne du classique. Elle a débuté sa carrière au théâtre dès sa sortie du Conservatoire Royal de Bruxelles, en interprétant les plus grands auteurs classiques : de Shakespeare à Molière en passant par Racine et son célèbre « Phèdre ». Plus tard elle s’essaye aux pièces plus modernes et joue dans « Panique au ministère » (2009) auprès, déjà, d’Edouard Collin, puis dans « Milady » adaptée par Eric–Emmanuel Schmitt où elle tient le rôle principal (2010). Elle s’essaye même au cinéma sous la direction, notamment, de Tonie Marshall (Pentimento) et d’Ariel Zeitoum (Une femme très très amoureuse) qui en feront leur muse. Mais c’est à son premier amour, le théâtre classique qu’elle revient cette année à Avignon pour le plus grand plaisir de ses fidèles ! Et c’est sans compter le talent de celui qui fût déjà son partenaire dans « Panique au ministère », l’excellent Édouard Collin, que l’actrice signe un retour apprécié. Ce jeune comédien de 24 ans n’en est pas à son premier coup d’essai, et pour cause il a d’ores et déjà tourné dans plusieurs films sous la direction de Renaud Bertrand (les irréductibles) ou encore de Jame Huth (Hell-phone). Parallèlement à sa carrière au cinéma, Édouard Collin touche aussi aux téléfilms en interprétant notamment le rôle de Vincent dans « Marie Humbert l’amour d’une mère » réalisé par Marc Angelo qui reçut le Grand prix du festival de Luchon en 2007. Mais le comédien connaît aussi les planches puisqu’il joua dans plus de cinq pièces et notamment dans « Panique au ministère » au côté de Natacha Amal.

Que dire des retrouvailles des deux acteurs si ce n’est « génial » ? Parce que dans cette pièce les deux acteurs excellent. Tantôt femme, tantôt homme les comédiens s’amusent à inverser les rôles, à jouer des hommes pour Natacha, à interpréter des femmes pour Edouard. Et c’est toute la réussite de leur jeu. Amener les spectateurs à ne plus voir deux comédiens travestis parfois, mais deux personnages bien vivants, partageant avec nous une scène de leur intimité. Dans un décor réfléchi où un simple sofa, un pupitre, une coiffeuse et un paravent habillent la scène, les comédiens se changent sur scène, sautent d’un personnage à l’autre, changent leur perruque, fardent leurs joues de poudre blanche, masquent leur visage, toujours devant un public attentif et réceptif. Et tout cela au son d’une radio un peu vieillit où l’on peut entendre des extraits de pièces ou romans parfois anciens, parfois modernes comme avec la voix de Marilyn Monroe qui nous raconte ses « Fragments ». Le décor, ancien, tout en velours n’est pas sans rappeler les anciens salons, et plonge le spectateur dans une atmosphère classique parfaite pour la pièce. Et le théâtre du Roi René participe pour beaucoup à la justesse de l’atmosphère et du décor grâce à ses grandes voutes et ses vieilles pierres qui rajoutent au caractère ancien de la pièce.

Mais si le décor est efficace, le choix des costumes l’est tout autant. Les comédiens presque toujours habillés dans les tons de rouge qui rappellent le velours, passent des pantalons larges à de larges robes aux épaules étoffées (souvent portées par Edouard) qui permettent aux acteurs de passer d’un personnage à l’autre en toute simplicité. Pour se vieillir ou se travestir les perruques donnent à Edouard et Natacha d’autres visages et on y croit dur comme fer ! Leur visage poudré de blanc, leurs yeux maquillés, entourés de noir, leur donne un visage aux traits presque unisexe qui rappellent une époque révolue où tous se fardaient le visage de blanc, homme comme femme.

Mais tout cela n’est qu’artifice face au jeu de ces deux excellentissimes comédiens ! Elle, formidable prouve à tous que le classique est décidément bien son jeu de prédilection. Drôle dans son interprétation de Nicia (rôle masculin) dans un extrait de la « Mandragore » de Machiavel, étonnante dans l’extrait d’ « Othello » de William Shakespeare, Natacha Amal s’approprie les rôles masculins comme personne. Tout comme les rôles féminins où elle est touchante et juste. La voix droite et affirmée, elle semble « être » ses personnages et emmène le public avec elle dans une réalité pas si différente ou du moins pas si lointaine. Quant à Édouard Collin, il émeut le public à chaque apparition. Touchant, émouvant et fragile il incarne les femmes avec une subtilité et une justesse presque incroyable quand on sait combien il est difficile d’être femme. De sa voix jusqu’à son visage, tout devient doux, tendre et meurtri dès qu’il devient « elle ». Dans « Othello » il joue divinement bien Desdémone qui, femme humiliée par son mari à cause de ses soupçons, se retrouve à terre impuissante face aux fausses accusations de son époux. Dans les rôles masculins, il excelle aussi, devenant tout à coup plus grave et plus imposant, plus mâle que jamais. Les deux comédiens sont aussi drôles qu’émouvants et interprètent chaque extrait avec plus de sincérité et de modernité que jamais. Leur regard et leur interprétation moderniste, ré-actualisent les textes classiques qui, finalement, ne sont pas si obsolètes au regard de notre société. Parce que les textes choisis parlent des femmes d’hier et d’aujourd’hui et du regard que l’on porte sur elles.

Entre le passé et le présent, il n’y a finalement qu’un pas car déjà, les femmes rusées et malignes pouvaient être traitées de « putain » et considérées comme des sorcières envoûtantes, comme elles pouvaient être belles et sages, capables de tout par amour, parfois naïves, parfois auteurs, parfois victimes, mais toujours femmes. Femme, être éternellement incompris mais qui suscite depuis toujours, tout le plus grand intérêt des hommes.

Courez voir ce spectacle riche et intelligent magistralement interprété par deux comédiens qui mériteraient d’être applaudis par une salle comble à chaque représentation. C’est tous les jours à 18h50 au Théâtre du Roi René, n’attendez plus !

Clémence Borodine

avignon off 2011

Rmt News Int • 28 juillet 2011


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