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Henri Tomasi, l’intégrale pour violon en première mondiale

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L’intégrale des œuvres pour violon, d’HENRI TOMASI, par Stéphanie Moraly, violon, l’Orchestre Symphonique de la Garde Républicaine dirigé par Sébastien Billard, et Romain David, piano. Un CD Naxos

Malgré le frein de la pandémie, en 2021, cinquantenaire de la mort et 120e anniversaire de la naissance d’Henri Tomasi, sinon tout ce qui était programmé, de nombreux événements ont commémoré et célébré l’homme et l’œuvre, en France, Marseille, en Corse, à Paris, et à l’étranger. Certains des hommages ont pu avoir lieu. Et nous rendons hommage à ce disque qui nous offre enfin ses œuvres complètes pour violon. C’est donc une première mondiale.

Faut-il présenter encore le grand compositeur, l’un des plus grands et des plus prolifiques de son temps, Henri Tomasi (1901-1971) ? Marseillais d’origine corse, né à la Belle-de-Mai. Quatre ans plus tard, il habite Mazargues, alors un village où son père, facteur, est muté. Celui-ci l’élève plutôt sévèrement. Le père est flûtiste amateur. Henri en hérite, sinon une fortune, au moins l’amour de la musique. À Marseille, grandiose port alors ouvert sur le monde, Porte de l’Orient, comment un gamin, un jeune homme, dont les racines sont dans une île, ne rêverait-il pas de mer, de voyages, lointains, comme le Marius contemporain de Pagnol ? Il désire être marin. Mais il va voguer et voyager par la musique. Il fait ses études musicales à Marseille puis à Paris, au Conservatoire, en compagnie de son ami, le futur grand violoniste Zino Francescatti, né à Marseille un an après lui. Tomasi est « Grand Prix de Rome » en 1927. Il ne va cesser de composer. Il devient un chef d’orchestre réputé, au service de la musique des autres, et de la sienne, nourrie de toute cette expérience orchestrale et d’une connaissance précise des instruments.

Son œuvre, est immense, répétons-le : elle couvre tout le vaste champ orchestral, et le large éventail interne des pupitres, des instruments de l’orchestre, l’ensemble du spectre sonore et les parties, les composantes, toute la palette des couleurs. Il a écrit pour violon, guitare, alto, basson, trompette, saxophone, sans oublier piano, et orchestre naturellement ; ses Fanfares liturgiques pour ensemble de cuivres de 1944, sont toujours jouées avec succès dans le monde entier.

Il s’est intéressé au patrimoine musical local, laissant des œuvres provençales, des mélodies corses, il s’est essayé à tous les genres musicaux, dont de puissants opéras (Don Juan de Mañara, Sampiero corso, L’Atlantide, qu’on a eu le privilège trop lointain de voir à Marseille), des oratorios comme le poétique Retour à Tipasa, sur le texte d’Albert Camus (1966), Le silence de la mer, sur le roman de Vercors où la musique est la transcendance du texte littéraire ; il est l’auteur de grandes fresques symphoniques et vocales (Symphonie du Tiers-Monde, Chant pour le Viet-Nâm, Requiem pour la paix, et, très singulier, son jeu scénique symphonique L’Éloge de la folie d’après l’œuvre satirique de l’humaniste Érasme.

D’une inspiration aussi libre que son esprit, il compose à l’écart des modes musicales de son temps, tout en restant pleinement enraciné et déchiré dans son époque si trouble, entre deux guerres mondiales et des guerres coloniales, il en dénonçant les injustices et les violences. Son œuvre manifeste l’angoisse, ces ombres terribles, mais aussi une lumière de la Méditerranée de l’humanisme hérité de l’Antiquité civilisatrice. Même consacré à la seule musique pour violon de Tomasi, ce CD témoigne de cette veine, de cette source méditerranéenne.

Ainsi, le premier opus du CD, est un concerto pour violon de 1962, Périple d’Ulysse, inspiré de la Naissance de l’Odyssée, un roman de Jean Giono. Il fut créé par le grand violoniste Devy Erlih, commanditaire et dédicataire, en 1964, avec l’Orchestre national de France. Ce concerto est suivi de Capriccio, une pièce de 1931 révisée en 1950, violon et orchestre, dont nous écoutons un extrait du deuxième mouvement, l’Andante, une pure ligne du violon qui se lamente sur les pleurs obstinés scandés par les larmes graves de l’orchestre : PLAGE 6

À part ce Capriccio et le Poème pour violon et piano, nous avons en effet, dans ce CD une sensible inspiration méditerranéenne, le Chant hébraïque, le Chant corse, Paghiella, Sérénade cyrnéenne (« Sérénade corse »), dédiée à Zino Francescatti et même la Tristesse d’Antar, la douce mélopée orientalisante sur un héros maudit par sa couleur de peau, tiré du Roman d’Antar, un texte arabe mêlé de vers situé dans la Syrie préislamique du VIe siècle, qu’on croit par erreur épopée du XIIe siècle. Aussi célèbre dans les pays arabes que les Mille et Une Nuits, transmis oralement. Ici, violon et piano s’unissent en une dramatique montée d’angoisse : PLAGE 9 

On ne résistera pas au Chant corse de 1932 que Tomasi aimait au point de l’arranger pour divers instruments (clarinette, cor, violoncelle, hautbois, violon, et très en faveur aujourd’hui dans les concerts, celle pour saxophone alto). Nous écoutons un extrait de la
version pour violon et piano, instruments amoureusement unis en toute douceur lumineuse par la violoniste Stéphanie Moraly, qui règne forcément dans toutes les pièces du CD, et le pianiste parfaitement en harmonie de Romain David. Chant berceur et rêveur dont nous écoutons quelques mesures : PLAGE 11 

La dernière œuvre pour violon et piano du CD est Paghiella, appelée aussi « Sérénade cyrnéenne », c’est-à-dire ‘Serénade corse’, Cyrnos étant le nom grec de la Corse. La paghjella est un chant polyphonique traditionnel corse, qu’on a l’habitude d’entendre de nos jours par des groupes corses. Cette pièce est dédiée à son ami d’enfance, le violoniste marseillais Zino Francescatti. C’est vivant, vibrant, virtuose, avec des accents, me semble-t-il, hispaniques : après tout, l’Espagne n’est pas étrangère à la Corse, qui lui doit sa tête de Maure et, ce que l’on ignore en général mais qu’on sait quand on est philologue étudiant les influences*, la forme poétique du quatrain octosyllabique assonancé aux vers pairs à la façon du romance castillan, comme les voceri. Nous quittons ce beau disque sur son rythme enlevé : PLAGE 12 

Benito Pelegrín

* Travaux de ma compagne Jeanne Battesti, corse et hispaniste, avec laquelle je participais aux travaux du Centre d’Études corses de l’Université de Provence, avec des colloques sur l’île.

 

Rmt News Int • 22 octobre 2022


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