RMTnews International

The culture beyond borders

Kathia Buniatishvili : l’amour de la musique en partage!

Share Button

L’amour de la musique, l’amour des compositeurs, l’amour du piano, l’amour des sons, l’amour des gens, l’amour de signer des autographes, de prendre des photos avec le public (des centaines de selfies après le concert)… Quelle générosité! Quelle allure! Quel engagement! Quelle noblesse! Quelle classe!

Grande robe noire satinée qui s’étale au dos, comme un immense voile tapissant la scène, contrastant avec des jambes de feu, visibles, cheveux noirs ébène, bouche écarlate et pour faire taire les ragots et les remarques parfois déplaisantes de certaines critiques, Kathia Buniatishvili, les yeux fermés, tête vers le ciel ou penchée vers le piano, est là pour la musique… avant toute chose! Une lascive exigence et l’envie de nous abandonner avec elle.

La Gymnopédie n°1 d’Erik Satie est devenue un tube (cinéma, publicité…) que le compositeur marginal de l’Ecole d’Arcueil n’avait certainement pas prévue! Mentor du Groupe des Six, opposé à Wagner et Debussy, Satie cultive un retour à la simplicité, par des pièces courtes, ironiques, cyniques, hiératiques, empreintes d’une grande volonté de dépouillement et souvent tournées vers le passé. Trop de notes tue les notes. Il faut dire l’essentiel en un coup de crayon. « Après la franchise bariolée de Stravinsky, autre franchise toute blanche. Satie invente une simplicité neuve. L’air transparent déshabille les lignes. La douleur ne grimace pas.» (Jean Cocteau).  La pianiste prend un tempo très lent pour dessiner chaque contour, les accords-pédales sol/ré, espacés de la main gauche, résonnent sans exagération pour poser une main droite, simples noires à peine effleurées; à la reprise du thème, pas plus d’effets, des vibrations discrètes. L’exquise Kathia se perd, en rêvant, sous la voûte du Parc du château de Florans pour habiter, habiller son Steinway: pur bonheur!

Le Prélude en mi mineur opus 28 n°4 de Frédéric Chopin permet à la pianiste géorgienne de libérer un romantisme puissant. Legato magistral du début, noires sur les quatrièmes temps presque arrêtés pour poser le premier temps de la mesure suivante, et des accords en accompagnement d’une grande mobilité harmonique. Dans la deuxième partie, un crescendo et un accelerando prenants, d’une grande inspiration. Le Scherzo n°3 en ut dièse mineur opus 39 est une cavalcade rageuse des deux mains, doubles croches en homorythmie; sur le thème B, la pianiste déroule de grands arpèges descendants, gouttes de pluie d’une belle fluidité, sur des accords de style choral, croisements très définis. Buniatishvili domine les traits innombrables de virtuosité.

Respiration avec la célébrissime Aria de la Suite pour orchestre n°3 en ré majeur BWV 1068 de Jean-Sébastien Bach. La ronde liée, suspendue, libérée par les doubles croches, puis de nouveau freinée, étirée par une blanche aérienne, soutenues par la basse continue, transposée ici au clavier seul, sur les croches lourées, en octaves, est d’un effet saisissant. Kathia Buniatishvili s’étale certainement un peu trop et retient ces croches pulsées, dans un rubato légèrement anachronique, mais les croches de Bach, Lully, Purcell, Haendel…étaient-elles si régulières?

Deux pages encore très connues de Franz Schubert, comme une envie de prendre des risques mais de les montrer différemment: Impromptu n°3 en sol bémol majeur opus 90 et Ständchen D. 957 dans un arrangement de Franz Liszt. L’Impromptu N°3 n’est pas une œuvre d’une grande difficulté technique, mais il faut faire ressortir le caractère «cantando» (chantant) de cet Andante et la polyphonie des trois voix : le chant principal et les arpèges à la main droite, sur l’accompagnement en accords, en rondes, de la main gauche. Ce que réussit à merveille la pianiste, sur des pianissimi irréels, intimité prenante avec l’ami piano, un Steinway & Sons si complice.

De nouveau Chopin avec la  Polonaise en la bémol majeur opus 53 et la Mazurka en la mineur opus 17 n°4. Les Polonaises de Chopin sont des chants de résistance pathétique mais plein d’espoir aussi devant la répression russe (1830). C’est le cri d’un compositeur exilé devant sa Pologne martyre. Cette Polonaise dite «Héroïque» est, ici, un jet libérateur.  Buniatishvili montre la fougue du premier thème, comme une danse victorieuse qui s’étend sur tout le clavier, magistrale interprétation, puis la deuxième partie, marche froide de soldats de plombs (russes et polonais!) puis un final époustouflant! La Mazurka est, par moment, plus acide, âpre; la pianiste en fait ressortir les harmonies complexes avec génie; les sons se perdent dans la nuit étoilée de la Roque d’Anthéron, superbe.

Le cadeau continue avec Les Barricades Mystérieuses de François Couperin, compositeur baroque français. Troublante Kathia Buniatishvili qui déteste nous installer dans un confort sonore, stylistique précis, et nous invite à ce voyage, de nouveau en monde baroque. 1717: Deuxième Livre de Pièces de clavecin du grand claveciniste français. Plongée polyphonique exceptionnelle, la pianiste donne tout, semble nous regarder, nous tendre la main pour venir dans son monde si riche. Le Prélude et fugue en la mineur BWV 543 de Bach, dans une transcription de Franz Liszt, pour clôturer ce beau mariage entre Baroque et Romantisme: toute la richesse du contrepoint, le croisement des voix, tableaux mélodiques et rythmiques fabuleux. La Fugue, poursuite d’un désir, d’une sublimation, voix qui se tuilent, est d’une intensité étonnante; l’artiste se penche vers le piano, s’abandonne, c’est terriblement érotique, sensuel et majestueux.

Le récital se termine par l’un de ses compositeurs préférés: Franz Liszt: Consolation n°3 et la transcription par Vladimir Horowitz de la Rhapsodie hongroise n°2. Dans la Consolation, le chant, très bel canto de la main droite sur l’accompagnement en triolets main gauche, est magnifique, chaque ligne est une invention sonore, palettes variées d’un peintre. La Rhapsodie explose, après un départ assez mécanique, véritable danse hongroise, sons de cloches rappelant l’incontournable Campanella (cf Les Grandes Etudes de Paganini) du compositeur hongrois! Même virtuosité, déchaînement titanesque: triomphe! Public debout et sous le charme!  

Kathia Buniatishvili revendique cet esprit de liberté, son amour de la France, de Paris, sa double nationalité en étant la preuve: cette soif de culture, d’ouverture est, chez elle, un devoir. Engagée dans de multiples projets (concert caritatif en faveur des réfugiés syriens pour le 70ème anniversaire des Nations Unies, concert «To Russia with love» pour les Droits de l’Homme, en Russie, participation avec le Groupe Coldplay pour l’album: «A Head Full of Dreams»…), c’est une artiste épanouie: engagement, rigueur, passion la guident sans cesse et son apparence extérieure est une audace complémentaire, au service, toujours, de la musique, de la musicalité. Elle nous invite naturellement à participer à cette féerie des sens et des sons, sans tabous, sans manières, avec élégance. Tout donner, sans réserve. Présence sensuelle, émouvante, physique et mentale, désirs et projections sans limites, sans concessions.

En bis, Le Clair de lune de Claude Debussy, IIIème Pièce de La Suite Bergamasque, est la plus belle des révérences. Charisme incroyable pour cette pièce si connue que tous les jeunes pianistes veulent jouer, dès qu’ils sortent des premières années d’études. Hommage, de nouveau à la musique française de la pianiste franco-géorgienne, qui semble flotter et nous avec. De la musique baroque à la musique moderne, un parcours éclectique, de Bach à Satie, tout le talent, la fougue, la musicalité, l’exquise sensualité de la sublime Kathia Buniatishvili.

Khatia Buniatishvili: «Sur scène, je me donne complètement, je m’abandonne les yeux fermés, je deviens immatérielle…»

Ce jeudi 5 août fut irréel, immatériel. Ce concert restera dans les annales du Festival International de piano de la Roque d’Anthéron.

Yves Bergé

Jeudi 5 août 2021/ 21h00

Festival International de piano de La Roque d’Anthéron

Auditorium du Parc Florans

http://www.festival-piano.com/fr/accueil/bienvenue.html

Récital de piano:  Kathia Buniatishvili

Satie – Chopin – Bach – Schubert- Couperin – Liszt

Crédits photos: Valentine Chauvin ©

Rmt News Int • 6 août 2021


Previous Post

Next Post