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Œuvres de François Couperin – Suites Royales

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Par Claire Gautrot, viole de gambe,  et Marouan Mankar-Bennis, clavecin, L’Encelade 

         La critique se plaît à reconnaître la qualité musicale, musicologique, des livraisons du label L’Encelade, spécialisé dans la musique baroque. Mais il me plaît, personnellement, de signaler la recherche esthétique de la présentation de ses albums, dont la beauté visuelle, picturale, anticipe favorablement le plaisir musical. Le Baroque, dans un rêve d’art total, est une intégration de tous les arts et, en cette qualité de spécialiste qu’on me prête en la matière, j’estime devoir signaler les réussites en ce domaine, dues à une intelligente recherche artistique d’une équipe de graphistes, qui contribuent aussi à l’agrément de l’œil comme les preneurs de sons à celui de l’ouïe, au confort d’écoute.

         Voilà donc une remarquable photo, évoquant subtilement les tableaux baroques par un cadrage en diagonale suivant la courbe asymétrique en bois doré d’un canapé sur laquelle sont posés les interprètes en buste, devant, derrière, en contraste clair et sombre. Un couple en belle tenue de soirée. Sur fond ombreux, au second plan, lui, fine moustache élégante, en costume et nœud papillon bleu, appuyé au dossier du somptueux canapé rococo, bois doré et velours ou soie damassée rouge sombre, surplombant le siège sur lequel, la dame, en légère robe en dentelle gris perle, mollement adossée, cheveux défaits sur une épaule, bras alanguis, d’une main abandonnée, tient ou caresse le violoncelle de miel dont le manche repose sur son giron.

La photo du livret montre le couple sous un angle plus large, à peine bougé en attitude sauf la dame, légèrement affalée, langoureusement renversée sur le coin du divan, les yeux levés au ciel du plafond et, semble-t-il, d’un pied un peu las, ôtant la chaussure de l’autre, peut-être la pantoufle d’argent sinon de vair, qui ombre une partition dans l’intérieur et surface métallique du CD. Un couple mondain rentrant du concert ou du bal, dans la lassitude amoureuse du bonheur récent de la musique visualisée par la troisième personne : le violoncelle omniprésent. Deux autres photos des deux interprètes, malheureusement en noir dans le livret, dans le cadre somptueux de la Galerie Dorée de la Banque de France, murs et plafond dignes de Versailles. La courante, de la Première suite de 1728, qu’ils auraient dansée pourrait expliquer, à trop les répéter dans les suites de danses avec d’autres rythmes vifs, la belle fatigue de la dame de la photo (plage 3)

Tout le Cd est consacré à François Couperin (1668-1733). On le surnommait « le Grand » pour le distinguer car il était de l’illustre dynastie de musiciens. Il fut compositeur, organiste, claveciniste.

Tout jeune, on lui donne la charge de titulaire de son père à l’orgue de Saint-Gervais. Il sera aussi l’un des quatre organistes de la Chapelle royale en entrant au service de Louis XIV. Mais alors qu’il est considéré comme le meilleur claveciniste de son temps, il n’obtiendra jamais le poste de claveciniste du roi, alors qu’il est chargé de la musique de sa chambre, plus intimiste que celle qui se déployait en grand dans l’opéra ou la chapelle de Versailles.

Son œuvre comprend de nombreuses pièces, instrumentales et vocales, à destination profane ou religieuse. On retient notamment ses messes pour orgue, ses Leçons de Ténèbres pour le Mercredi Saint, ses sonates et ses Concerts royaux, titre qu’il donne plus tard, en les publiant entre 1713 et 1730, à la musique qu’il composa et joua pour Louis XIV vieillissant tous les dimanche pour les « petits concerts » de sa chambre. Dans sa préface, il dit avec fierté que c’est le plaisir qu’en eut le roi, mort en 1715, qui fait qu’il les offre maintenant au public et les appelle « Concerts royaux ». C’est une musique, dit-il dans sa préface, qui convient non seulement au clavecin, mais à divers instruments, même à vent comme la flûte et le hautbois, au basson, et naturellement à cordes frottées comme le violon et, ici, la viole.

On écoute, comme surprenant un duo amoureux, cette chaude et sensuelle conversation entre la voix grave et engageante de la viole et les frémissements craintifs, pincés ou coquets du clavecin tiré de la « Gavotte » du Troisième Concert Royal de 1722 (plage 13).

Suit, maintenant, en contraste, cette « Musette » que Couperin demande de jouer « naïvement » pour cette musique faussement campagnarde où le flot voluptueux de la viole coule comme un miel onctueux délicatement arrosé par l’écume d’argent du clavecin qui glousse de plaisir, le nôtre  (plage 14).

Dans les préfaces de ses quatre livres de clavecin, Couperin priait les interprètes, de respecter à la lettre ses partitions, sans ajout ni omission.  Si dans ce qui relève encore de la traditionnelle Suite de danses il alterne, le vif et le lent, le gai et le grave, il donne d’infinies nuances : « Gracieusement sans lenteur », « mesuré sans lenteur », « « gayment », « gravement, », « lentement, » « légèrement »,  « Musette : « Naïvement »,  « Noblement sans lenteur », « très viste », « tendrement ».

Homme bien de son temps à cheval sur deux siècles, il entre dans une période rococo plus galante et moins pesante. Après les lourdeurs et pesanteurs grandiloquentes des fastes compassés d’un Versailles crépusculaires, même s’il y travaille toujours, sa musique, même qualifiée de royale, en est déjà loin : elle en déserte ses immenses galeries, préfère l’intimité heureuse de la chambre, puis des salons en ville, les formes légères et brèves en art.  C’est toute l’esthétique, je le répète, l’éthique du plaisir. Ses pièces courtes, assurément, sont de sortes d’aphorismes musicaux à la touche rapide dirait-on en terminologie picturale, qui sera plus tard en faveur dans la peinture galante des Boucher, Fragonard, Tiepolo.

 Disque par le goût, le talent, l’élégance, vraiment « royal », avec les variations obsédantes, comme un souci qui ronge aussi les fronts couronnés, de cette « chaconne » du Troisième Concert Royal  (plage 15)

Benito Pelegrín

Rmt News Int • 17 mai 2021


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