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The culture beyond borders

Scaramouccia de la Cie Prisma Teatro

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Texte et mise en scène Carlo Boso

Vu le 17 juillet à la CONDITION DES SOIES 13, rue de la Croix 84000 – Avignon / durée : 1h40

Commedia dell’arte ou café-théâtre masqué pour français en recherche d’exotisme italianisant ?

Nous avions eu tant de bons échos de cette création dont c’est le 4ème Avignon off qu’au hasard d’un tractage efficace nous nous sommes décidées à assister à une des représentations proposées au théâtre de la condition des soies d’autant plus que ce soir-là le spectacle se jouait à 20h30. Hélas quelle ne fut pas notre déception au sortir du théâtre ! Non pas que le spectacle soit complètement inintéressant ou tout simplement raté, loin de là… A entendre les rires et applaudissements du public, leurs compliments et félicitations,  il serait exagéré de dire cela.

En effet…

Comme dans tout spectacle de commedia dell’arte, les personnages de cette création se moquent des puissants (ici, le Juge). Sont également critiqué.e.s et dénoncé.e.s les politiques actuel.le.s : les références au croquemort Christine Lagarde, au libertinage de DSK, ou encore aux dérives de la Macronie sont bien amenées et fort justifiées. La trame du récit amoureux respecte la complexité propre au canevas base de la commedia avec ses contrariétés, malentendus, quiproquos, rebondissements rocambolesques, combats épiques (avec ses duels à l’épée ou en éventails) et son final heureux (vive les mariés !). Ici, nous avons le personnage principal : Scaramouche qui tente de démêler tous ces imbroglios. C’est un Don Juan fanfaron fraichement revenu de la guerre : il drague tout ce qui porte robe, y compris Zerbinette, et fait preuve d’une fourberie sans égal, volant sans vergogne l’or de chacun, poussant Pedrolino à voler le tapis persan du Juge sous son nez, tirant à chaque fois les marrons du feu. Puis, nous avons Lucrezia, la fille du juge, amoureuse du Baron ; ce dernier hésite entre elle et Isabella, une courtisane, puis dans un retournement de situation, se bat en duel avec le jeune Cinzio, amoureux de Lucrezia. Cette dernière voudra en venger la soi-disant mort. Quant au pitoyable Juge, il amoureux d’Isabella, elle-même amoureuse du Baron qu’elle tentera de sauver de la mort, condamné qu’il a été par le Juge à la peine capitale. Sans oublier l’amour qui unit nos deux serviteurs, Zerbinette et Pedrolino.

Néanmoins…

De nombreux éléments intégrés au canevas base pêchent par facilité et certains gags sont vus, revus et archi revus : citons ici la scène de Rose et Jack sur le ponton du Titanic, la chanson de Quasimodo de Notre Dame de Paris, l’imitation de Johnny Halliday et de son Ah que je t’aime, voire la vie en rose de Piaf…  pour ne donner que ces exemples parmi tant de reprises de chansons de variétés archi connues et d’imitations de scènes de blockbusters usées jusqu’à la corde depuis 20 ans. L’ennui vient ici de l’absence de nouveauté dans le choix des reprises ou imitations. Serait-ce un manque d’idée ou d’imagination ou bien un choix réalisé sciemment pour s’attirer les grâces du public en provoquant chez lui le rire par des références incontournables, reconnues immédiatement par ce dernier ? Hélas, à force d’user de cet artifice, ce clin d’œil appuyé ne convoque qu’une complicité complaisante d’un spectateur pré-conditionné à s’esclaffer à des gags bien rôdés et non un rire franc. Avouons que le procédé peut apparaître grossier et lourd tant il tend à s’éroder au fil du temps.

De plus, un manque notable d’homogénéité sur le plateau est à relever, à l’exception de deux comédiens : Giacomo Bisceglie est Pedrolino, excellent zanni grimaçant et sautillant, dont le jeu est un sans-faute, et Estelle Gaglio-Mastorakis incarne une Zerbinette savoureuse avec justesse et précision de jeu. Les autres comédiens n’ont pas fait preuve ce jour-là d’un talent époustouflant : certains ayant tendance à perdre leur masque au sens figuré bien entendu, d’autres ne correspondant pas forcément au « type » du personnage, voire encore avaient du mal à se concentrer sur l’action en cours en tant que spectateurs de l’histoire, regardant le public, à l’affût du moindre rire ou sourire qui se dessinerait sur les visages du premier rang,  ou nonobstant toute interaction réelle avec le spectateur à certains moments cruciaux où ils étaient en bord de scène.

Ces deux défauts majeurs nous poussent à dire que le spectacle a été « surclassé » en termes de qualité par un public conquis d’avance par un genre théâtral spécifique (ici, la commedia dell’arte très en vogue chez nous) et le nom d’un metteur en scène : Carlo Boso ! Certes, n’est pas Carlo Boso qui veut : la reconnaissance de son travail tant par ses pairs que par les spectateurs est méritée. Cependant, aux vues de cette création, nous pouvons nous interroger sur l’implication du maestro himself dans la direction d’acteur et la réalisation du spectacle. Il faut dire à décharge qu’il a de bien nombreuses créations au compteur chaque année et qu’une année ne fait que 365 jours ! Alors, a-t-il donné quelques indications de jeu, de comique de situation ou de répétition ou a-t-il suivi le travail de ses élèves de bout en bout ?

Pourquoi cette interrogation, vous demanderez-vous ? Il faut savoir que de nombreux spectacles se revendiquent d’un metteur en scène connu afin de donner une caution de référence ou un gage de qualité à une jeune création et ceci pour que le public vienne assister aux représentations en nombre : on n’attire pas les mouches avec du vinaigre, n’est-ce pas ? Et avec la concurrence impitoyable qui règne dans le Off avignonnais, ce procédé est hélas monnaie courante ! Il est par ailleurs tacitement accepté par tous, et il se servirait à rien de le dénoncer si ce n’était la déception de voir un spectacle se revendiquant du genre de la commedia dell’arte -qui en a l’apparence, le canevas, les masques et les costumes, les personnages et le plateau avec ses musiciens en live-, sans pour autant en avoir la force comique : certaines plaisanteries ne jouant pas sur le comique de situation ou la répétition (à l’exception des interventions de Pedrolino, voire la scène du vol du tapis entre autres) tombent à l’eau et parfois, quelques coups de bâtons se révèlent plus efficaces que des allusions à des clichés éculés (cités plutôt).

In fine, bien que de nombreux ingrédients de la commedia dell’arte soient présents, nous ne pouvons parler ici de commedia dell’arte et nous qualifierions plutôt ce spectacle de café-théâtre* masqué pour français en recherche d’exotisme italianisant. Et cela est bien dommage. DVDM et PL

*sans médire du café-théâtre dont l’origine était populaire à l’image de la commedia dell’arte mais surtout en ce sens que ce spectacle est par trop « français » avec ses défauts très français.

Rmt News Int • 2 août 2019


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