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Retour sur les POC 2015 (1)

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Festival POC 2015 à Marseille : Gabi Wagner et Alexandra Scemama, deux noms à retenir.

 

Lors de l’édition 2015 du POC (Portes Ouvertes Consolat), près de 60 ateliers d’artistes ouvraient leurs portes pour la diffusion et la promotion des Arts plastiques. Parmi ce rassemblement hétéroclite, mêlant toutes les conceptions de l’art, deux artistes se sont particulièrement demarquées : Gabi Wagner et Alexandra Scemama.

 

Depuis 2006, l’association Portes Ouvertes Consolat (POC) a pour objectif le développement et l’animation culturelle du quartier des « Hauts Canebière » autour de la promotion et de la diffusion des Arts Plastiques. Concrètement il s’agit de rendre plus accessible la création contemporaine à travers des expositions régulières et l’ouverture des ateliers de pratique artistique. La tâche est d’autant plus difficile que le grand public a encore une opinion extrêmement négative de l’Art contemporain. La raison en est simple : les artistes de l’après 1945 sont progressivement tombés dans ce contre quoi les avants-gardes s’étaient battues : les poncifs. Pour eux, être «contemporains» se résume souvent à être provoquant,et pour cela ils se contentent en général d’avoir recours à la vulgarité la plus primaire. Heureusement, il existe encore des artistes qui ont quelque chose à dire de constructif notamment deux présents parmi les 60 ateliers ouverts pour l’édition 2015 du POC (9-11 octobre). Il s’agit de Gabi Wagner (gravure, photographie) et Alexandra Scemama (sérigraphie, peinture). On peut déjà les saluer d’avoir fait partie des quelques artistes à avoir vraiment joué le jeu des «portes ouvertes», proposant une véritable intéraction aux visiteurs, là où beaucoup d’autres se contentaient seulement d’ «ouvrir leurs portes». Esthétiquement parlant, on peut aussi les rapprocher en ce qu’elles illustrent cette célèbre formule de Maurice Denis (1870-1943) : « Se rappeler qu’un tableau, avant d’être un cheval de bataille, une femme nue ou une quelconque anecdote, est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées. » (Art et Critique, 1890)

Gabi Wagner

Diplômée de l’Ecole des Arts appliqués de Saarbrucken et de l’Ecole des Beaux-Arts de Marseille, Gabi Wagner pratique la gravure contemporaine depuis plus de 20 ans. Artiste graphique et photographe, son atelier ressemble à un laboratoire de recherche. Elle y combine de façon expérimentale différentes techniques (collage, eau-forte, aquatinte, digiprint), matériaux (cire, fil de fer, papiers) et supports (cuivre, zinc, plexiglas, CD, brique de lait) . Dans la réalisation de ses oeuvres elle laisse libre cours à la matière et à l’imagination dans de petits tableaux où dominent des formes géométriques fondamentales qu’elle décline en toute fantaisie, mais aussi des motifs naturels tel que le poisson. Son imagination et son sens de la composition sont renforcés par sa maîtrise du coloris. En effet, loin de se limiter comme la majorité des graveurs classiques au noir et blanc, voire à des dégradés de gris, Madame Wagner élargit sa palette aux couleurs les plus vives dont elle sait exploiter toutes les qualtiés expressives.

Malgré sa grande expérience, elle a su garder la fraîcheur d’une artiste qui débute, cette envie de découvrir, d’expérimenter, de ne jamais se répéter ou comme elle le dit elle-même : «Je travaille sans projet, au hasard, et les couches successives créent des couleurs et des structures surprenantes». Les thèmes principaux de son travail artistique concernent les effets de transparences et les jeux de lumières. Le résultat en est des oeuvres abstraites aux fortes qualités décoratives. Techniquement parlant, si elle maîtrise parfaitement les méthodes de la gravure classique, elles réalisent avant tout des estampes originales et uniques. Combinant techniques anciennes et contemporaines (parfois crées pour l’occasion) dans une même oeuvre, son acte de création se veut surprenant et inattendu : «Cette improvisation sur l’oeuvre se construit en temps réel et est réalisée par l’intermédiaire de matériaux courants détournés de leurs usages (papier calque, du scotch, du fil de cuivre, de la gaze médicale, etc…)».

Outre la qualité de ses oeuvres, Gabi Wagner se démarque par une générosité exceptionnelle : outre un accueil particulièrement chaleureux, elle proposait aux visiteurs de son atelier rue Léon Bourgeois une série de démonstrations de gravure. Le public, très nombreux d’ailleurs, a pu ainsi découvrir chaque étape de la réalisation d’une estampe, de la gravure de la matrice à l’impression. Son sens du partage, et sa grande pédagogie, elle le met aussi en oeuvre toute l’année dans des stages de formation à la gravure pour tous niveaux (détails sur gabi-wagner.blogspot.fr.)

Durant le POC 2015, alors qu’elle présentait elle-même plusieurs de ses oeuvres, allant du format «Ticket de métro» aux estampes de près d’un mètre, sa générosité s’est à nouveau illustrée par la mise à disposition d’une salle pour l’exposition de ses principaux élèves, permettant par la même occasion de juger de la qualité de son enseignement. On retiendra principalement le travail de Martine Ayasse qui, de manière très novatrice, enrichie ses estampes par le collage d’une partie des matrices (en brique de lait), apportant ainsi plus de relief et de matérialité à l’oeuvre. Dans la lignée de son excellent professeur, elle fait une place importante au coloris et se démarque par l’utilisation d’exceptionnels pigments naturels rapportés d’un voyage en Inde. On retrouve cette même maîtrise du coloris chez une autre artiste ayant marquée ce festival.

Alexandra Scemama

Formée à l’Ecole des beaux-arts de Biarritz puis de Rennes, Alexandra Scemama est une jeune peintre et sérigraphe à l’origine du concept d’ «art pop minimal». Concrètement, elle cherche à associer deux courants artistiques pourtant opposés : le Pop art et l’art minimaliste. Partant toujours de formes florales, qu’elle stylise en les simplifiant et en les répétant sur la toile, elle aboutit à des oeuvres très décoratives mais aussi qui profitent de tout ce que cette forme a de symbolique : «Je crois que la beauté est universelle et n’a pas de frontières . La fleur est pour moi le symbole de cette universalité, de cette intemporalité même» dit-elle.

Pour l’aspect «pop», on pense inévitablement aux Flowers (1965) d’Andy Warhol. D’ailleurs, comme ce dernier, elle associe dans ses oeuvres peinture et sérigraphie mais aussi décline le sujet en de multiples variantes de couleur et de format différents. Mais là où elle se démarque, c’est par son synthétisme (l’aspect «minimal») qui donne à ses oeuvres leur caractère universel mais aussi puissament décoratif.

Au-delà de ses deux sources avouées, il est impossible de ne pas faire de rapprochement avec l’Art nouveau, courant artistique qui s’est épanoui au tournant du XXe siècle. Les formes de la nature, notamment la flore champêtre, y étaient traitées de manière stylisée. Mais contrairement à l’art pop minimal qui vise un certain synthétisme des formes, ces artistes en exagéraient les courbes jusqu’à obtenir une esthétique fournie, parfois même étouffante. Comme une représentation de la nature sauvage, les formes de l’Art Nouveau se voulaient souples, ondulantes et asymétriques. La vision de l’art d’Alexandra Scemama se rapproche particulièrement de celle d’un des principaux artistes de l’Art nouveau : Emile Gallé. Ce dernier affirmait que le décorateur peut lui aussi être symboliste en recourant à la Nature et que cette éloquence doit témoigner d’une certaine distance vis-à-vis du modèle observé pour le doter de cette abstraction sans laquelle l’oeuvre d’art ne peut exister. Mais pour lui, le phénomène d’abstraction qui vivifiera l’oeuvre d’art ne peut se développer qu’une fois acquise la connaissance profonde de la constitution du modèle végétal…on ne sera donc pas étonné d’apprendre qu’Alexandra Scemama a fait des études de biologie avant de se tourner vers l’art. Ces ressemblances permettent de comprendre que l’Art contemporain ne doit pas chercher à tout prix à s’opposer à l’Art ancien de manière presque doctrinaire. La créatrice de l’art pop minimal en est la preuve : malgré ses points communs avec Emile Gallé, William Morris ou encore Andy Wahrol, elle propose un style parfaitement novateur.

Plus concrètement, lors du festival POC, Alexandra Scemana s’est illustrée par la pratique de la sérigraphie dans l’atelier de Tristan Kissourine, 8 rue delille. Elle y a réalisé une grande fresque murale intitulée Envolée pop! où elle allie le dynamisme de traits graphiques à la douceur d’un chromatisme floral. En parallèle du festival, et jusqu’au 30 octobre, elle expose plusieurs de ses toiles dans les locaux du théâtre Toursky et notamment sa dernière oeuvre, le somptueux triptyque En avant!, qui marque déjà une évolution notable et intéressante de son approche artistique (visible sur alexandrascemama.com)

Une artiste à suivre de très près.

 

Charles Romano

Rmt News Int • 2 novembre 2015


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