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Incognito à Pétersbourg : frissons garantis !

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Et si le public venait voir un spectacle sans savoir ce qui se joue ni par qui ? Ne serait-ce le moyen de faire les gens découvrir ou redécouvrir l’art, l’esprit ouvert et sans attentes particulières ? Le metteur en scène Alexandre Grigoryants et l’acteur Nikolaï Baranov ont décidé de se lancer dans cette expérience en organisant deux soirées spectacle surprises dans l’atmosphère conviviale et chaleureuse de l’Art café « Chat du Cheshire ». Mise à part les informations pratiques (date, heure…), seuls les titres énigmatiques Incognito à Pétersbourg et Incognito à Pétersbourg 2 ornaient l’affiche avec une précision « spectacle pour adultes ».

Le jour J, le 17 septembre, le public curieux arrive en avance à l’Art café et remplit complètement la salle. Le spectacle commence. Nikolaï Baranov apparaît sur scène et nous présente son personnage avec une aisance naturelle : c’est un noble célibataire anglais qui collectionne et restaure les peintures. Irrésistible, drôle et inquiétant, il met son cœur à nu et nous raconte pourquoi et comment il a décidé de se venger d’une dame. Les détails et l’évolution de son histoire, présentée avec une habilité remarquable, captivent le public. Avec la même inquiétude et excitation, nous suivons la réalisation de son projet de vengeance et attendons le résultat le souffle coupé. La fin est surprenante. En une seule phrase, l’histoire prend une tournure inattendue qui plonge les spectateurs dans la réflexion et les débats. Quand enfin les applaudissements se taisent, le titre de cette histoire et son auteur nous sont révélés : Nunc Dimittis de Roald Dahl. Réaliste, psychologique et ironique, la nouvelle n’a guère perdu son actualité : les thèmes de la vengeance et du pardon, de la vexation et de la réaction qu’elle suscite sont tout aussi fraîches et pénibles aujourd’hui que cinquante ans en arrière. Un vrai régal.

Apparemment, le concept de découverte-surprise a été apprécié : la seconde soirée, le 24 septembre est toute aussi attendue et remplie. Le metteur en scène, Alexandre Grigoryants explique brièvement que cette fois-ci, il s’agit d’une composition de trois œuvres différentes, ce qui ne fait qu’accroître la curiosité du public. Mais voilà que la lumière s’éteint et nous rentrons dans le monde envoûtant de spectacle…

La salle est plongée dans l’obscurité mystérieuse et sinistre. Seule la lumière tremblante d’une bougie tente désespérément de la percer. Un homme en noir surgit lentement des ténèbres. L’ombre menaçante de sa main s’allonge sur le plafond, autoritaire et impitoyable. Affirmant sa supériorité, elle annonce et illustre les paroles de son maître. Un frisson parcourt le public lorsque sa voix calme, un peu hautaine, s’adresse à une présence mystique que l’on devine seulement. Irrévocable, ses mots glissent et ondulent comme une ombre, nous emprisonnent dans leur étreinte glaciale. Cet homme obscur est obsédé par son idée. Les yeux brillants sur le visage éclairé par la bougie, il l’expose avec passion et cruauté qui hérissent les poils. Et nous avons compris depuis longtemps que c’est un des représentants de la terrible inquisition dans toute la noirceur de sa nature horrifique. La logique dure et cruelle de ses mots soulève au fond de chacun une vague de questions qui ne tarde pas à se transformer en une vraie tempête. Les sensations sont si fortes que même le tonnerre d’applaudissements à la fin ne peut pas faire sortir de cet état émotionnel. Bouleversant, implacable, effrayant et réel, Nikolaï Baranov incarne à merveille cet Inquisiteur que le publique impressionné ne pourra sans doute jamais oublier. C’était le chapitre Le Grand Inquisiteur du roman Les frères Karamazov de Fiodor Dostoïevski.

Nikolai Baranov

Nikolai Baranov

Après un petit entracte, le style et l’humeur changent. Maintenant, la scène est inondée de lumière et le héros en tailleur « fashion » salut le public avec un sourire pétillant. Il est d’une beauté diabolique, plein d’esprit et très charmant. Éloquent, il a beaucoup d’expérience dans son métier, expérience qu’il partage très volontiers avec « la jeune génération » qui est suspendue à ses lèvres. C’est le grand maître tentateur. Avec une joie étincelante et beaucoup d’optimisme, il nous parle des meilleurs pratiques de sa profession : des formes de pensée, de conduite, d’arguments et de politiques inventés par ses collègues et par le Diable-même qui mènent les âmes humaines au péché, à la vice, et ensuite à l’enfer. Spécialiste incontestable, il nous expose toute la liste sans rien oublier – de l’ignorance à la lutte des religions entre elles. Les questions profondes existentielles apparaissent ainsi sous un autre angle, ce qui ne fait qu’améliorer leur perception par le spectateur. Le public reste très attentif et exprime ses sentiments par une ovation forte et sincère. Ensuite, on découvre l’œuvre présentée : Démo(n)cratiquement vôtre de Clive S. Lewis, auteur des célèbres Chroniques de Narnia.

Une autre petite pause et l’artiste apparaît sur scène de nouveau. Seulement cette fois-ci il n’est plus un personnage. Il est un conteur, un conteur sublime. Son récit captive et transmet à la perfection l’énergie et l’humeur nécessaires pour le rendre vivant. Et voilà que sous notre regard mental se matérialise le fonctionnaire du bureau des achats, ventes et transports. On le suit au restaurant aux plats chers et raffinés, puis à son travail… Sa journée se déroule sous nos yeux, du matin jusqu’à tard la nuit, et à travers cette routine quotidienne on voit s’ouvrir son caractère et sa vraie nature. Ce petit homme avare et faux qui se cache sous le masque socialement reconnu et déborde d’hypocrisie même devant le Bon Dieux illustre parfaitement les vices et les péchés décrits dans les parties précédentes par l’Inquisiteur et Screwtape respectivement. Une fois de plus, les applaudissements retentissent avant même que le titre de l’œuvre soit dévoilé. C’était Les melons cantaloups d’Alexandre Couprine.

Quelle superbe idée d’avoir regroupé dans un spectacle ces trois œuvres si différentes ! Elles se lient, se complètent et forment une image unie. Quant aux différences de style et de forme, elles ne font que contribuer à l’exploration encore plus profonde de la problématique. Une belle surprise. Une réussite incontestable. Bis !

Jake J.

 

Ces spectacles ont eu lieu les 17 et 24 septembre à l’Art café « Chat du Cheshire » à Saint-Pétersbourg

Rmt News Int • 30 octobre 2014


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