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PORTRAIT DE BÉATRICE URIA-MONZON

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Dans le cadre de sa saison méditerranéenne MP13, l’Opéra de Marseille présente donc, en première création sur notre scène, une nouvelle production de Cléopâtre, ledernier opéra de Jules Massenet. Et cette reine d’Égypte historique, mythique et légendaire, est incarnée, et de quelle intense et charnelle façon, par la mezzo-soprano Béatrice Uria-Monzon.

 

Il suffirait à ceux qui ne la connaîtraient pas, pour ébaucher un portrait de Béatrice Uria-Monzon, d’une peinture, d’un tableau, d’une photo : il n’y aurait qu’à la voir, la regarder et tout serait dit en ne disant mot. Elle est d’une remarquable beauté. Mais en rester à la beauté physique de la personne serait faire injure à sa personnalité en l’enfermant dans le cliché, ou le cadre pictural, d’un personnage : femme et belle. Et tais-toi, bien sûr.

 

 

Mais cette belle femme-là, il n’y a pas qu’à la regarder, il faut l’écouter : elle parle, et bien, elle joue  et chante, très, très bien : le talent, l’art —et il n’y a pas d’art sans travail— viennent couronner le don de la nature. Béatrice Uria-Monzon est donc un ensemble unique sur scène d’une présence qui donne sens, sensualité, corps et voix, aux personnages qu’elle incarne. On fera donc grâce, on s’épargnera les clichés qui la poursuivent pour la décrire, grande et belle brune hispanique « à la peau mate », on évitera cet « œil noir », ce regard « de braise », dont on la gratifie à longueur d’article depuis qu’elle a redonné vie, de saisissante façon, à Carmen, en l’arrachant à tous les oripeaux d’une tradition caricaturale, qu’on a parfois tendance à lui faire endosser personnellement, comme si le personnage s’était emparé de sa personne.

 

 

Elle a certes apporté à ce rôle non seulement son physique séduisant, mais sa subtilité séductrice, le physique sublimé par l’intelligence, le corps, par l’esprit : beauté plastique, mais noblesse de l’allure, mise à distance par la figure, l’espièglerie de ce nez mutin, le sourire, l’ironie, de cette Carmen « toujours railleuse » qui, si elle se prend au tragique, ne se prend pas forcément au sérieux.Voici ce que j’en écrivais dans une critique :

 

« Dire de Béatrice Uria-Monzón qu’elle est Carmen semble un pléonasme : couleur de la voix, finesse et intelligence de la gitane aristocratique par nature, beauté hiératique et souriante, démarche naturelle de reine, elle en incarne la dignité au-dessus de toute contingence du monde vulgaire. »

 

En effet, avec elle, nul grossissement du trait sur scène, rien qui pèse ou pose, nul effet de hanches, de seins ni de sons poitrinés de façon vulgaire.On aura reconnu la fameuse habanera dont peu de gens connaissent que Bizet l’emprunte à son ami espagnol, le compositeur Sebastián Iradier, maître du genre, professeur de musique de l’Impératrice Eugénie. D’autres passages de l’opéra sont inspirés, bien sûr par la rythmique du folklore espagnol et le prélude du dernier acte de Manuel García, le célèbre compositeur, chanteur et professeur de chant tout aussi espagnol, père de la Malibran, image mythique de la diva romantique, et de Pauline Viardot García, tout aussi grande chanteuse et muse de nombre de compositeurs français. Bref, Carmen, l’Opéra le plus joué au monde est français par ses auteurs, Mérimée et Bizet, mais espagnol par son sujet et son inspiration.Alors, est-ce un hasard si Béatrice Uria-Monzon, ce magnifique produit d’une hybridation franco-espagnole, en est une incarnation qui s’est imposée comme naturellement dans le monde entier sur les plus grande scènes ? On compte, parmi les meilleurs Carmen de notre temps, Victoria de los Ángeles et Teresa Berganza qui en renouvela le personnage à Edimburgh. Mais ce sont deux espagnoles chantant un opéra français nourri de musique d’Espagne, poissons dans l’eau dans la part hispanique de leur culture, mais mal à l’aise parfois dans la francité, surtout lorsqu’on use la partition originale avec les passages parlés de l’opéra-comique qu’est cette œuvre. Béatrice, par contre, habite l’opéra dans ses deux dimensions, par le style français si particulier qu’elle maîtrise admirablement, et par sa dimension hispanique. Elle est la plus françaises des cantatrices et la plus espagnole des chanteuses françaises.Car elle a l’Espagne au cœur, et comme une blessure aussi. Sa voix vibre un peu en évoquant ce père chéri et admiré, le peintre Antonio Uria-Monzón (1929-1996) dont elle porte fièrement le nom. Enfant, il a vécu de plein fouet la guerre civile, voyant son père assassiné sous ses yeux, et, adolescent, il subit le franquisme. En 1952, il quitte l’Espagne avec un ami, riches simplement d’un âne et de leur peinture, grâce à laquelle ils vont vivoter d’abord, puis vivre enfin. Puis c’est le mariage dans le sud-ouest avec une française de cette région proche de l’Espagne. Enfance heureuse de Béatrice dans une grande famille de cinq filles et un garçon, bercée, enflammée par les rythmes espagnols. Une Carmen très personnelle, dont Béatrice, ayant approfondi le personnage nous révèle aussi que cette femme qui clame son droit à la liberté, qui meurt en proclamant sa liberté, est tout de même enfermée dans «des idées étroites et arrêtées, presque caricaturales. » Et, en effet, n’est-ce pas Carmen qui, malgré un excès de féminisme même libertaire, est enclose dans la réalité du machisme qu’elle ne remet pas en cause, dans la soumission fatale à un destin auquel elle ne tente pas d’échapper ? Subtile lecture de cette fine interprète, passée par l’Histoire de l’Art, qui approfondit ses personnages par la lecture dans la vie monacale, le sacerdoce qu’est le chant, la grande solitude du chanteur passant de l’hôtel au théâtre, avec la nostalgie et le souci de sa famille, dans l’exigeante discipline de la forme requise par la performance sur la scène.Loin des clichés mondains des divas en Rolls dans des palaces de rêve et des somptueuses réceptions. Elle, qui a incarné des reines, des princesses, mezzo o soprano, Didon, Cléopâtre, Amnéris, Santuzza, Chimène Eboli, Tosca, etc, de retour à ses racines de sa terre d’Agen, tête dans les étoiles et pieds sur terre, va faire ses courses seule à Auchan. Car à notre époque, dans notre société faite par les hommes pour les hommes, une femme, fût-elle une diva même la plus féminine du monde, est souvent obligée, surtout quand qu’elle se retrouve seule, de jouer l’homme et la femme au foyer conjointement, sinon conjugalement.

 

 

Ainsi, Béatrice de retour chez elle, n’hésite, pas, à user de la tronçonneuse, à conduire le tracteur, à veiller et surveiller sa propriété, ou, superbe Walkyrie, à chevaucher quelquefois sa moto pour courir à une répétition à l’opéra. Bien que la prudence l’ait contrainte à renoncer à ce moyen de locomotion, si utile dans les villes, mais émotion ou commotion inutile pour ceux qui l’attendent : dans la jungle de l’asphalte, le danger rôde pour une héroïne d’opéra plus que sur une scène tragique.BP

 

Rmt News Int • 15 juin 2013


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