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The culture beyond borders

De la complexité du sentiment amoureux féminin

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Portrait de Femme
De Michel Vinaver
Mise en scène Anne-Marie Lazarini
Avec Jocelyne Desverchère (Sophie Auzanneau), Bruno Andrieux, Jacques Bondoux, Gérald Chatelain,
Cédric Colas, David Fernandez, Claude Guedj, Sylvie Herbert, Isabelle Mentré, Michel Ouimet
Du 6 au 10 avril
Au TNM La Criée (petite salle) Quai Rive Neuve
Rencontre avec Michel Vinaver, auteur dramatique, romancier, critique
le jeudi 8 avril après la représentation
A 20h sauf le mardi et mercredi à 19h
Durée : 1h30
Réservation au 04 91 54 70 54

Places à gagner pour chaque représentation, appelez nous au 0662341507

« Portrait de Femme » retrace le procès d’une jeune étudiante en médecine, Sophie Auzanneau, accusée par les instances judiciaires d’avoir assassiné Xavier, son ex-amant (sur le point de se marier), avec préméditation, par cupidité et orgueil. Cette « ravageuse » aux multiples liaisons et au caractère étrange et complexe, présentée comme un monstre par l’accusation du fait de sa liaison avec un docteur allemand sous l’occupation (elle était infirmière dans un hôpital allemand) et de sa compassion pour une mère infanticide (à laquelle elle lègue ses biens), sera condamnée par les Jurés, chargés de comprendre la raison de son acte meurtrier, aux travaux forcés à perpétuité. La défense à la décharge de l’accusée tente en vain de convaincre les jurés de son instabilité mentale afin d’atténuer les circonstances de son acte odieux et irréversible : intervention d’experts en psychologie, témoignages de sa logeuse, récit de son enfance entre un père froid et une mère déboussolée, rappel de la mort de ses frères, déclarations amicales et tendres sur la fragilité de la femme sous sa carapace d’indifférente… Hélas, rien de tout cela ne suffit à calmer la clameur du public, rumeur bourdonnante symbolisée par un fatras de bruits étouffés de cuivres aux graves discordants.

Cette création, inspirée d’un fait divers s’étant déroulé au début des années 50, joue sur le récit non chronologique des faits ayant poussé Sophie au meurtre (crime passionnel ou punitif d’un amant qui l’avait désavouée ou acte exécuté de sang froid par un être au cœur sec ?) à la façon d’un récit cinématographique avec de nombreux sauts dans le passé (flashbacks). La mise en scène s’articule suivant les différents plans de scène, espaces savamment organisés :

– l’avant scène : côté jardin, pour le récit des tourments de Sophie –en avant, sa chambre/en retrait, une armurerie avec une collection de revolvers dans une vitrine en plexiglas ; milieu de scène, pour ses amours avec Xavier -un bar ; et côté cour, pour le meurtre –en avant, un bureau/en retrait, un poirier, symbole de la maison parentale de Sophie ;
– bords de scène, côté jardin pour les acteurs-public de ce procès intervenants à titre de témoins ;
– fond de scène pour le lieu du procès, ce tribunal d’une hauteur démesurée (où trônent l’« accusateur », le président et le procureur) avec en contre bas deux prétoires (côté jardin, les témoins ; côté cour, les accusés)

Ce dispositif scénographique permet d’attirer l’attention du spectateur sur un carré de scène s’éclairant lorsque se déroule une action, voire offrir au public la possibilité de suivre plusieurs actions se jouant simultanément, en même temps ou à des temporalités différentes. Ce dispositif n’est pas sans rappeler la façon dont sont incrustées, à l’image, des scènes parallèles dans les films actuels. Le parti pris de mise en scène n’est ici pas inintéressant même s’il a tendance à perdre le spectateur, peu habitué à ce genre de construction théâtrale.

L’intérêt de la déconstruction temporelle (façon puzzle) réside en ce qu’elle montre combien la recherche de la vérité est épineuse et tortueuse, comment une analyse minutieuse de faits complexes peut aboutir à de nombreuses digressions discursives dans un procès ou ailleurs. Jusqu’à perdre le juré dans les méandres de faits sans rapport direct avec le crime jugé, un effet pervers savamment orchestré par les avocats qui permet de manipuler un jury sans trop de difficulté (ex : le portrait de Sophie brossé par le procureur, la présentant comme une mante religieuse cupide et arriviste ; voire le discours de l’avocat de Sophie s’adressant plus à l’affect qu’à la raison). Ce qui nous amène à nous demander si l’intérêt de ce spectacle –outre la description de la complexité de l’âme féminine ; par ailleurs, nous nous prenons d’empathie pour ce personnage paumé et exalté, bizarre et cruel, – ne réside pas tant dans le démantèlement du processus judiciaire du procès et la dénonciation de ses perversions. Le jury juge-t-il réellement en son âme et conscience ? Et aujourd’hui, si un tel procès avait lieu, la sentence ne serait-elle pas aussi sévère même si les jurés seraient potentiellement moins sensibles aux arguments visant à caractériser Sophie de « Collabo » ? La question reste en suspens…

Peu de lumières (tamisés et claires), peu de musique, quelques sons enregistrés, un jeu sobre et compassé, des costumes simples, un décor gris, autant d’éléments plongeant le spectateur dans une atmosphère pesante qui, hélas, ne peut s’empêcher de laisser poindre un sentiment de lenteur, mêlée d’ennui, ou plutôt d’impatience. Car même si nous sommes tenus en haleine par ce procès effrayant (notamment en ce qui est des préjugés sexistes véhiculés par l’accusation qui déshumanise complètement cette femme lorsqu’elle parle avec violence « du bain de sang, bain de mensonge » que sont son témoignage et sa vie dissolue, terrible incitation insidieuse du public à la haine vis-à-vis de la coupable), la réalisation manque de souffle et de dynamisme. Les acteurs, dont la diction est de bonne facture, manquent de tonus et leur jeu est par trop réservé. Néanmoins, la comédienne qui incarne Sophie, « ce tigre qui ne sait vers quel endroit bondir » (dixit son amant, le docteur allemand fort bien interprété), « cette femme qui va vers et contre l’autre » (pour reprendre les mots de Xavier, campé avec grande justesse), est touchante d’humanité et de fragilité sous ses dehors revêches (« un jour, je te tuerais pour simplifier » avait-elle dit à son amant, bien avant le meurtre, dans un éclair de lucidité inquiétante). Une prestation saluée avec enthousiasme par un public enchanté. DVDM

(c) photo Marion Duhamel

Rmt News Int • 7 avril 2010


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