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The culture beyond borders

Madonna della Grazia par l’Ensemble Il Caravaggio, label Klarthe

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La religion chrétienne, que l’on croie ou non au divin, a son côté le plus humain, le plus quotidien, dans l’image de Marie. L’humanité du christianisme s’incarne, sur terre, dans l’indubitable figure universelle de la Mère et l’enfant, image la plus pure de l’amour et, son fils mort entre les bras, Mater dolorosa, mère douloureuse, image de l’humaine douleur. Pourtant, théologiquement, l’Église des hommes, patriarcale, résiste à asseoir officiellement la Mère, même la Vierge, auprès du Père et du Fils : le dogme de l’Immaculée Conception n’est proclamé qu’en 1854 et celui de l’Assomption, qui lui reconnaît une montée au ciel en corps glorieux sans attendre l’Apocalypse des corps corrompus, ne sera finalement défini qu’en 1950.

 Longue attente de Marie, mais la dévotion des hommes l’avait depuis toujours réunie au Ciel avec son Fils sans attendre cette consécration tardive de l’Église masculine, et l’avait installée d’emblée au cœur de la liturgie catholique, malgré les mises en garde dogmatiques sur ce dévoiement de puissance du Père et du Fils, dangereusement centré sur la Mère, menaçant d’être divinisée, adorée en déesse, abusivement « Mère de Dieu », qui est incréé, dans une sorte de religion sentimentale parallèle. Le Moyen-Âge avait connu un culte marial intense. Mais c’est surtout la Contre-Réforme, dans son combat contre le refus de la médiation mariale par les protestants, qui en multiplia la représentation plastique, poétique, musicale.

Je me permets ce rappel, d’un de mes livres sur le Baroque, pour saluer ce premier mais très beau disque de l’ensemble Il Caravaggio,  Madonna della grazia, ‘Madonne de la Grâce’, qui n’est pas exactement un CD religieux, mais un hommage, au-delà du sacré de la Vierge, au profane des donne, aux dames, toutes gracieuses, aux femmes, même grasses, grosses, sans doute comme la belle Cicerenella, la lavandière ou la tragique Lombarde, dans cette série de chants et chansons savantes et populaires, d’auteurs connus ou anonymes du Baroque.

On peut écouter comment Guilhem Worms, basse, et Anna Reinhold, mezzo, abordent les premières strophes du Stabat mater, le texte médiéval de Jacopone da Todi, mis en musique par Giovanni Felice Sances (ca 1600-1679) au nom espagnol sans doute italianisé (plage 1).

Ce sens dramatique du texte, mais sans forcer sur le pathos, est l’une des réussites de ce CD. Les deux chanteurs ont de solides voix qu’ils savent plier tant aux souples vocalises du chant baroque qu’à la rude franchise et aux couleurs populaires, mais jamais vulgaires, des chants anonymes. Les instruments baroques, à cordes frottées ou pincées, plus un orgue, sont d’un grand raffinement pour les morceaux sacrés, comme dans la remarquable Suave melodia instrumentale d’Andrea Falconieri, et l’on fait un bond contrasté de genre avec les pittoresques instruments populaires des musiciens profanes anonymes, ainsi dans la tarentelle de Madonna della Grazia qui donne son titre au disque.

Il y a joie et humour dans l’interprétation piquante et picaresque du baryton Robin Summa, accompagné du voisinage bavard, bruyant et brouillon du  chœur pour de savoureux couplets, gaillards et paillards, pleins d’allusions, sur la belle et bonne Cicerenella, son coq, sa poule, son tonneau, dans le tourbillon de la veine et verve volubile napolitaine, étourdissante (plage 9).

Sur un simple bourdon de vielle à roue, c’est toute une angoissante atmosphère qui est créée, augmentée par la sombre voix de Guilhem Worms, qui fait les questions et réponses d’un faux dialogue dramatique, invite à souper de l’amant à la femme adultère, gênée par son mari, à laquelle il propose tout simplement, pour simplifier le problème, de le tuer. Mais l’enfant, témoin silencieux de la trame criminelle, avertit le père qui inverse le drame, tuant de son épée l’infidèle meurtrière (plage10).

        L’ensemble Il Caravaggio est formé de Camille Delaforge, Clavecin / Orgue et direction, des chanteurs déjà nommés et de six instrumentistes baroques. Il prend nom du surnom de Michelangelo Merisi da Caravaggio, en français le Caravage, le turbulent et génial peintre à cheval sur les XVIe et XVIIe siècles. En accord avec les décrets du Concile de Trente, le Caravage inaugure et illustre, après les Carrache, le retour humain, réaliste, chaleureux, coloré, après la peinture élégante mais un peu déshumanisée, symbolique et froide du maniérisme. Et ce disque bien nommé à mon sens, illustre bien ce que j’ai écrit du Baroque, tête dans les étoiles, mais pieds bien sur terre, comme la colonne dite salomonique, la colonne torse exemplaire du Baroque (qui ne naît pas avec elle), qui rive la terre et le ciel, dans une quête éperdue, une vis sans fin.

Je vois justement une autre preuve de ce Baroque où l’humain et le divin se mêlent, ou ne font qu’un au fond, dans la désormais fameuse berceuse de Tarquinio Merula (1595-1665), la nanna. « Il est temps de dormir », chantonne une mère, n’importe quelle mère à son enfant en le berçant, mais sa gorge se noue, la voix s’angoisse jusqu’à se déchirer : c’est la Vierge qui sent, pressent les larmes futures pour son enfant voué à la douleur. Image musicale dramatique de toutes ces peintures de Vierges à l’Enfant toujours mélancoliques,  pressentant, ressentant déjà les douleurs futures de la chair, même divine, de leur chair. La voix si humaine d’Anna Reinhold sonne et résonne en nous, tendrement et douloureusement (plage 13).

Benito Pelegrín

Madonna della Grazia  Ensemble Il Caravaggio Label Klarthe

RCF : émission N°517  de Benito Pelegrín : podcast sur le site www.rcf.fr  Semaine 12

Rmt News Int • 7 juin 2021


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