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Gang-a-tsui Theater « Le Passage à Lo-Jin »

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Pièce adaptée du Tome 1 de la Trilogie Taiwanaise de Shih Shu-Ching.

A 13h05 jusqu’au 28 juillet – Relâches : 10, 17, 24 juillet  AU THEATRE DE LA CONDITION DES SOIES 13, rue de la Croix 840000 – Avignon /Réservations +33 (0)4 90 22 48 43 /Tarifs : Abonné 11 €/Plein tarif 16 €/Enfant (moins de 12 ans) 8 €/ Jeune abonné.e 12/25 ans – 22/28 juillet 10 €

Metteur en scène : Yu-Dien CHEN

Avec CHAN Fu-Hsuan (rôle de Wu Chiu) ;  CHEN Yan-Xi (rôle de Yi-Chun) ; LIAO Jia-Huew (rôle de Hsu Ching) et WEI Mei-Hui (rôle de Chen San)

Oeuvre originale: Shu-Ching SHIH/Adaptation: Ming-Lun WU

Musiciennes : Chia-Wen CHEN, Yu-Ning LIAO, Hsiao-Ying CHEN

Photo de HUANG Wan Chen  黃婉甄© Centre culturel de Taïwan à Paris

L’histoire (à lire avant de voir le spectacle)

Le personnage principal, Hsu Ching, est acteur d’opéra traditionnel de l’école du « jardin des poiriers », populaire dans le sud de la Chine tant à Canton qu’à Quanzhou dans le Fujian, berceau du Liyuan (un type de théâtre chanté, dansé et parlé qui a failli disparaitre, très populaire à TW, à la gestuelle délicate, né au 12è siècle). Ce genre d’Opéra s’accompagne de musique nanguan (vents du sud) dont les instruments principaux sont : la flûte droite, le luth piriforme du sud (dit pipa), le er xian et le san xian.

Hsu Chin incarne une Dan, personnage féminin du Liyuan, dans la scène du parapluie laissé de la pièce « le miroir aux litchis » (un classique du genre) : ici, il joue le personnage de Yi-Chun, la servante de Wu-niang courtisée par Chen San, un jeune lettré. Il est remarqué par Wu Chiu, un commerçant de Lo-jin tombé amoureux de lui, qui l’envoie dans un bordel pour qu’il apprenne à satisfaire les hommes et devienne son gigolo, mais il tombe amoureux de A-wan, une jeune actrice, qu’il reverra plusieurs années après lorsqu’il reviendra une troisième fois à Lo-jin sans oser se faire reconnaître de la jeune joueuse de nanguan, honteux d’avoir passé sa vie à faire le gigolo pour de riches puissants.

Photo de HUANG Wan Chen  黃婉甄© Centre culturel de Taïwan à Paris

Des thématiques fortes et actuelles

Le Passage à Lo-jin raconte une histoire d’amour impossible entre Hsu Ching, un acteur d’opéra fameux pour son rôle de Dan, venu du Fujian, et une jeune femme de Lo-jin, A-wan devenue courtisane à laquelle il ne se dévoile jamais. L’action se situe au 19ème siècle,  dans une ville de Taïwan alors rattachée à la Chine, une ville dont sont dévoilées les splendeurs et les misères au fil du récit. Ce dernier aborde les thématiques du genre (Hsu Chin : est-il homme ou femme ?) et de la sexualité (entre ses relations homosexuelles plus ou moins choisies et son amour hétérosexuel : quelle est sa sexualité?).

Yi-Chun, le personnage de la jeune femme dans l’Opéra Liyuan (avec, chez les femmes, à l’instar de A-wan, la contrainte d’avoir les pieds bandés qui induisent une façon particulièrement belle mais fort douloureuse de marcher), quand elle est incarnée par Hsu Chin, pose la question de la soumission de la femme à l’homme dans une société taïwanaise patriarcale, soumission à laquelle Hsu Chin lui-même doit se plier en tant que gigolo de Wu Chiu qui l’oblige à s’habiller en femme dans sa vie quotidienne, en dehors du théâtre.

Photo de HUANG Wan Chen  黃婉甄© Centre culturel de Taïwan à Paris

Interprétation

Ici l’interprétation du comédien LIAO Jia-Huew (rôle de Hsu Chin) avec son dodelinement subtil de la tête, ses déplacements délicats et sa gestuelle précise est époustouflante : avec une incroyable véracité, il devient femme sur le plateau dès lors qu’il revêt des habits féminins. Son jeu de regard évaporé et sa gestuelle très marionnettique telle celle d’un pantin désarticulé quand il est forcé par son amant de rester habillé en femme, sont d’une précision magnifiques : ils dévoilent la chosification de la femme mais sont également révélateurs de ce trouble intérieur qui tiraille Hsu Chin et de son questionnement qui perdure jusqu’au moment où il remet enfin ses habits d’homme et redevient un homme car «c’est l’habit qui fait l’homme ou la femme ».

LIAO Jia-Huew fait ainsi preuve d’une très belle qualité de jeu et de chant, ses mouvements sont précis et justes, gracieux et délicats. Chaque comédien de cette création porte avec conviction et justesse leur personnage : ils maîtrisent le style de jeu et de chant particulier que requiert ce type d’opéra, également celui du jeu théâtral plus contemporain.

Avec une mention spéciale pour CHEN Yan-Xi, l’interprète d’A-wan (également de Yu-Chi), magnifique dans la scène du parapluie, mais aussi dans ses scènes avec Hsu Chin : la douceur de ses gestes, la finesse de son jeu et la subtilité de son interprétation nous ravissent. L’ensemble du groupe est néanmoins homogène et la troupe de Nanguan qui accompagne en live le spectacle nous régale de sa performance musicale. Les amateurs du genre en auront pour leurs yeux et leurs oreilles.

Photo de HUANG Wan Chen  黃婉甄© Centre culturel de Taïwan à Paris

Réalisation

Cette pièce est fort complexe et mêle théâtre dans le théâtre : la mise en abîme fait écho par transposition aux questionnements de la société actuelle. Le choix de décors dépouillés et de costumes plutôt classiques permettent de rendre le propos intemporel et dans la mesure où le texte porte une parole politique, en défendant les exclus et minorités (femmes, acteurs, petites gens), on peut y lire en filigrane une critique de l’attitude actuelle de la Chine envers TW, la Chine exerçant une pression sur TW pour que le gouvernement reconnaisse une seule Chine, considérant TW comme une province de Chine et non un Etat souverain.

Hélas, pour qui ne connaît pas l’œuvre de l’auteure, la mise à la scène du texte manque de clarté : les premières scènes où sont jouées en regard la scène du parapluie (le fil rouge du spectacle) par des personnages différents (côté jardin, A-wan dans le rôle de Yi-Chu et Chen San incarné par la comédienne-chanteuse WEI Mei-Hui, côté cour Hsu Chin dans le rôle de Yi-Chu et Chen San incarné CHAN Fu-Hsuan qui joue aussi le rôle de Wu Chiu) jettent un flou sur le déroulé de l’histoire.

La ligne de démarcation entre la réalité de la vie de Hsu Chin (son rapport avec Wu Chiu et A-Wan quand il est hors plateau) et la représentation théâtrale de la scène du parapluie (quand Hsu Chin incarne Yi-Chu sur scène) présentés côté cour n’est pas évidente au premier regard. D‘autant plus que plusieurs scènes se déroulent en simultanée de chaque côté du plateau, avec, en son centre, des surtitres traduisant les échanges. Des surtitres de chaque côté de la scène précisant les différentes scènes jouées eurent été plus judicieux : cela eut permis une meilleure compréhension de l’histoire.

Photo de HUANG Wan Chen  黃婉甄© Centre culturel de Taïwan à Paris

Un problème de dramaturgie semble être au cœur de cette difficile appréhension de la pièce et c’est bien dommage car du point de vue du jeu et du chant, de l’interprétation musicale et théâtrale, des décors et des costumes, la qualité est là et nous avons à faire à une troupe indéniablement talentueuse.

Diane Vandermolina

Crédit photos HUANG Wan Chen  黃婉甄© Centre culturel de Taïwan à Paris

Retrouvez notre reportage sur la pièce :

Shih Shu-Ching, auteure féministe de « la trilogie de Hongkong » puis « la trilogie de Taïwan » nous parle des thématiques de la pièce : la question du genre et de la sexualité, l’oppression de la société patriarcale et de l’homme sur la femme, et le rapport entre la Chine et Taiwan. Chen Yu-Dien, le metteur en scène, insiste plutôt sur l’aspect politique de la pièce.

Interview Diane Vandermolina/Vidéo Paola Lentini

Remerciements à : SHEU Ling-Ling pour avoir servi d’interprète pour les interviews des artistes du spectacle Le Passage à Lo-jin.

Rmt News Int • 11 juillet 2019


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