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A la découverte de comédiens d’exception

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Cette année, le Off accueille en divers théâtres des comédiens exceptionnels, parmi eux, citons Jacques Weber, Jean-Paul Farré, Jean-Claude Drouot ou encore François Clavier… Ces comédiens de grand talent ont exhumé pour le plaisir de nos oreilles de grands textes classiques, voire des œuvres modernes inspirées de grands classiques théâtraux.

Lear et son fou

A 15h30, le théâtre des Carmes présente une des dernières œuvres de feu André Benedetto, le créateur du Off : ‘Lear et son fou’, une variation contemporaine autour du personnage du ‘Roi Lear’ de Shakespeare (durée 1h45). Surnommé Li par son fou, bien nommé Fo, le vieux roi aux portes de la mort, possédé par la fureur, accablé de douleur, revisite son passé avec gouaille et fantaisie, désespoir et colère, accompagné et soutenu de et par son fidèle compagnon d’infortune. Le texte aux envolées tantôt drôles tantôt tragiques est d’une écriture soignée –en ce qui est du travail sur la musicalité du phrasé : de consonances en allitérations, de jeux de mots en résonnances, l’auteur use et abuse des figures de style. Hélas, même si l’idée de présenter un roi schizophrène au bord d’Alzheimer, incarné avec brio par un comédien à l’énergie débordante, à la présence sublime, et au charisme indéniable, affublé d’un second, bavard bouffonnant de sincérité et d’amour pour son maitre fort justement interprété par Serge Le Lay, est fort intéressante, le récit de ce roi déchu et désœuvré, fossoyeur de son propre malheur, se perd en digressions souvent inutiles, notamment les références au monde moderne, interférant parfois mal à propos, devenues aujourd’hui une mode chez les auteurs contemporains. Ceci est bien dommage : le texte tire en longueur et la direction d’acteur dont l’esthétique se rapproche du théâtre pauvre ne parvient pas en dépit de l’offrande faite par les comédiens à en ôter les atermoiements. Néanmoins, la prestation des artistes sur scène est à souligner, avec une mention spéciale pour Jean Claude Drouot dont la diction est d’une clarté et justesse rares. La mise en scène, quant à elle, toute en nuance, a pour décor une roulotte en bois, emplie des reliquats d’une vie sur le fil de l’errance– un masque, un tonneau, une peau de bête…- signé Sandrine Pelloquet.

MEMOIRES D'OUTRE-TOMBES

A 17h30, à peine le temps de se rendre au Chêne Noir pour y découvrir un montage exquis des ‘mémoires d’outre-tombe de Chateaubriand’ incarné merveilleusement par Jean Paul Farré, seul en scène dans ce monologue d’une durée d’une heure trente. Point de temps mort, un choix de textes issus des 3600 pages des mémoires du poète libéral monarchique opéré avec intelligence et subtilité par Jean Luc Tardieu, une sobriété dans la mise en scène de facture classique, et un décor touffu de souvenirs éclectiques et hétéroclites, fort bien utilisé. Jean Paul Farré devient cet homme de lettres vieillissant, diplomate de haut rang déchu de ses fonctions pour avoir osé dire ce qu’il pensait, ministre d’état à l’ironie mordante adoré des révolutionnaires pour ses éclats polémiques, grand amoureux proche de Madame Ricamier chez qui il tint salon, dévoilant à nos oreilles toutes ouïes l’envers de l’histoire française et son grand amour pour sa femme. Son portrait assassin de Napoléon est fort jouissif – au cours des guerres qu’il a mené il y a eu beaucoup de morts ‘mais rassurez vous sa santé est bonne’-, sa chronique sur les Rois d’avant et après la Restauration et autres figures de son temps telles Talleyrand ou le Pape, cinglante… Ce récit animé par la seule ferveur du comédien rend son souffle poétique au magnifique texte de Chateaubriand et donne envie au curieux de le (re)découvrir. Un beau travail d’acteur pour une création toute en finesse évitant les poncifs sur un auteur de génie à l’autodérision savoureuse. Tout simplement passionnant et délicieux.

Discours de la servitude volontaire

Puis à 19h30, le choix se fait délicat : entre ‘Éclats de vie’ avec Jacques Weber et ‘le discours de la solitude volontaire’ avec François Clavier, deux spectacles fort réjouissants, il est difficile de se décider… Une petite trotte vers le théâtre des Halles pour y découvrir un comédien magnifique dans un seul en scène incroyablement d’actualité… Et pourtant, le texte de la Boétie date de l’époque de Montaigne, c’est dire le temps qu’il s’est écoulé jusqu’à nos jours, près de cinq siècles… En dépit des changements de régime politique, la problématique de la tyrannie reste hélas encore bien vivace, qu’elle soit celle déclarée d’un despote sanguinaire et/ou monarque de droit divin ou celle qui se cache soigneusement derrière le discours républicain d’un président. L’auteur démonte avec efficacité et lucidité le mécanisme qui pousse le peuple trompé et abusé à se soumettre volontairement aux volitions d’un tyran, abdiquant toute liberté aux mains d’un seul être. Il cite Sénèque ou convoque Homère et autres auteurs de l’Antiquité. Son analyse de ‘l’habitude de servir’ prise par les peuples et de ‘la tromperie des tyrans’ n’est pas sans rappeler le texte de Pascal sur ‘le roi de concupiscence’ et ses ‘Pensées ‘dans lesquelles il explique l’origine du pouvoir pris par la force mais dont l’habitude a fait oublier l’origine contestable, voire ‘le Prince’ de Machiavel, tous deux postérieurs à la Boétie. La mise en scène de Stéphane Verrue, réduite à sa plus pure expression, met à l’honneur le texte dont il en a extrait la substantifique moelle avec simplicité – nul n’est besoin d’être homme de lettre pour en comprendre le contenu et en apprécier la langue- et le talent d’interprète de François Clavier : ce dernier se délecte et nous régale de ce texte magnifique. Crane rasé et regard azur sous une toque de moine rappelant Sean Connery dans ‘Au nom de la Rose’, regard fébrile et gestuelle possédée d’un homme mu par la passion de la transmission, le comédien est tout entier à son discours, nous le découvrant avec magnificence et générosité. Le public sort du spectacle ébloui par une prestation de haut niveau et enchanté par un texte qui réveille la conscience politique de chacun, nous offrant pour unique conseil de ne plus servir le tyran.

ECLATS DE VIE

Dans un autre registre, Jacques Weber séduit ses spectateurs avec son solo savoureux, histoire de ses ‘éclats de vie’, touchants et drôles, parsemés de textes admirables. Vêtu simplement, costard noir sur chemise blanche, crinière au vent, le regard vif et charmeur, Jacques Weber entre en scène avec une sobriété des plus appréciables, nous relatant des anecdotes d’enfance avec amusement – la scène de l’œil de veau de Courteline est fort jouissive-, son entrée au théâtre pour y rencontrer des filles, avec humour – les écoles de théâtre au contraire des lycées étaient mixtes –, mêlant à son discours des extraits de textes d’auteurs tels que Lamartine, Musset ou Claudel – sa relecture du passage de ‘l’échange’ dans lequel Lechy parle de son travail d’actrice est très belle-, chantant Rimbaud ou déclamant ‘Cyrano’ – dans lequel il a remporté un grand succès-, se jouant des textes classiques – son interprétation de la fable de La Fontaine ‘le Corbeau et le Renard’ est un pur moment de ravissement, -notamment son analyse et interprétation subtile du texte avec en prime, un clin d’œil amusé aux personnages politiques du paysage français d’aujourd’hui- sans oublier Molière, Vian, Artaud ou Duras avec sa lecture bouleversante de la nouvelle ‘le coupeur d’eau’ relatant le suicide d’une famille d’exclus à laquelle on a coupé l’eau. Une mise en scène ne laissant point échapper de longueurs, un effort de travail lumière lors de son interprétation du vieux Corneille – magnifique-, une présence généreuse en partage avec le public, une réflexion sur le monde moderne et ses aberrations écologiques, de l’émotion et du rire en cascade, tous les ingrédients sont ici présents pour offrir au public une heure trente de bonheur avec un grand Monsieur du Théâtre Français. Ce dernier donne véritablement tout son cœur au théâtre, ne se contentant pas de le dire. Bravo !

Diane Vandermolina

avignon off 2011

Rmt News Int • 25 juillet 2011


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