Marc-Antoine Charpentier / Philippe Hersant
Marc-Antoine Charpentier Messe à quatre chœurs sous la direction d’Olivier Schneebeli
Philippe Hersant Cantique des trois enfants dans la fournaise sous la direction de Sofi Jeannin
Maîtrise de Radio-France, Les Pages, les Chantres et les Symphonistes du Centre de musique baroque de Versailles
Un CD Radio France
Voici un très beau CD, issu d’un concert, qui unit, dans la ferveur, la grandeur et l’émotion, une œuvre ancienne et une création contemporaine qui en calque respectueusement les moyens musicaux en un miroir somptueux. Mais il faut d’emblée saluer le concert, c’est-à-dire le projet concerté entre la Maîtrise de Radio France dirigée par Sofi Jeannin , superbe chœur d’enfants et les Pages, les Chantres, choristes plus âgés, et les symphonistes, les instrumentistes du Centre de musique baroque de Versailles dirigés par Olivier Schneebeli. L’œuvre moderne est Le cantique des trois enfants dans la fournaise de Philippe Hersant (1948) une commande de 2015 de Radio France au compositeur, nourri de musique baroque, dont nous avions ici même salué les somptueuses Vêpres de la Vierge, sa maîtrise des voix et son maniement des instruments, ici anciens.
De Marc-Antoine Charpentier (1643-1704), si l’on connaît les postes qu’il a occupés auprès des grands, on ne sait pas grand-chose de la vie. Mais il a laissé une œuvre abondante et variée. Après la rupture de Lully et Molière, il collabora avec ce dernier et on lui doit la musique du Malade imaginaire. Après la mort du tyrannique Lully, qui régnait sur l’art lyrique dont il avait obtenu l’exclusif et abusif monopole du roi, Charpentier put enfin écrire deux opéras, un mythologique, Médée, et l’autre, une tragédie biblique, David et Jonathas, considérés comme deux chefs-d’œuvre aujourd’hui mais peu considérés en leur temps. Le disque nous en propose cette grandiose Messe à quatre chœurs dont on ignore même si elle fut donnée, quand elle fut composée, même s’il semble probable que ce fut autour de l’année 1670 à son retour d’Italie, centre alors de la modernité musicale, de Rome précisément, par les proportions adaptées à ce désir de grandeur et de majesté de la Cité des papes après la Contre-réforme.
Les monuments religieux ont toujours obéi à une architecture symbolique, est/ouest pour les entrées et sorties, naissance et mort. Héritée de la longue basilique romaine laïque, la structure de l’église chrétienne, lui ajoutant deux bras perpendiculaires, lui donna la forme d’une croix. Ce qui permit, comme à Venise, et on le voit chez Monteverdi, de placer deux chœurs face à face de se répondre, dans une spatialisation stéréophonique du son, de la musique. Dans cette messe, ce qui suppose des moyens, Charpentier place quatre chœurs, géométriquement spatialisés, un à chaque branche de la croix, enveloppant l’auditeur, le croyant, de la musique, de la messe, de ces voix qui se répandent, se répondent, dont il devient un point émotionnel central. Voici l’effet qu’il en tire avec cette pureté des voix d’enfants surgissant aux quatre extrémités, pour entonner le Gloria : PLAGE 4
Le procédé d’écriture de l’œuvre répond à une précise architecture de ses parties : chaque chœur propose, expose un thème, un autre répond, un dialogue se crée, de plus en plus serré jusqu’à une fusion de tous en un dans la concorde du son et du sens. Ainsi, l’Incarnation, Et incarnatus est, fond toutes les voix dans l’ineffable, ce qui ne peut se dire mais se chanter, du miracle du Dieu fait homme. Mais écoutons l’autre miracle, crucial, du Dieu mort ressuscité, Et resurrexit, où, sur l’émerveillement extasié du chœur unanime, comme une auréole de grâce flottent les voix des enfants : PLAGE 10
Le cantique des trois enfants dans la fournaise de Philippe Hersant, délibérément inscrit dans la tradition assumée de la musique baroque, dont il maîtrise les codes, ne démérite pas de ce modèle qui aurait pu paraître écrasant. À la différence près d’un cinquième groupe choral de trois jeunes garçons solistes, Hersant utilise le même effectif vocal et musical et adopte la même disposition spatiale : quatre chœurs de dix-huit chanteurs, accompagné chacun d’un quatuor instrumental (violons, violes, anches et cuivres anciens) également répartis aux quatre points cardinaux de la géométrie de Charpentier.
Il a mis en musique un poème en vers octosyllabiques (huit pieds) d’Antoine Godeau (1605-1672), évêque de Grasse, tiré du chapitre 3 du Livre de Daniel, qui narre le miracle de trois enfants juifs refusant de se prosterner devant Nabuchodonosor, roi de Babylone, et jetés pour cette insulte, dans une fournaise. Les trois martyrs, bénissent Dieu, invoquent les anges et chantent, dans un sens assez rare dans la poésie française de ce temps, la beauté du monde, des astres, des éléments et des créatures. Un ange les arrachera au feu.
Écoutons avec quelle poésie et quelle sobriété de moyens le compositeur, dans la strophe qui évoque les mers et les eaux du ciel, semble mêler les ondes liquides et l’ondoiement des flammes, à quoi s’ajoute la torsade baroque de la voix : PLAGE 19
Voici les « perles brillantes et liquides, nourriture des fleurs », pluie ou rosée, dans cette délicate musicalisation : PLAGE 21
Nous quittons cette œuvre séduisante, si poétique, par cette sorte de gloria des enfants miraculés : PLAGE 27
Benito Pelegrín
Marc-Antoine Charpentier / Philippe Hersant
Marc-Antoine Charpentier Messe à quatre chœurs
Philippe Hersant Cantique des trois enfants dans la fournaise
Maîtrise de Radio France, Les Pages, les Chantres et les Symphonistes du Centre de musique baroque de Versailles
Un CD Radio France
RCF. Émission N°579 de Benito Pelegrín 13/01/2022