OUVERTURES ÉCLATANTES DE MARSEILLE-CONCERTS
Avec Pierre Génisson, clarinette et David Kaddouch, piano au Palais du Pharo samedi 20 septembre puis RYAN WANG, RÉCITAL DE PIANO Les 24 Préludes Frédéric Chopin dimanche 28 septembre au Foyer Ernest Reyer de l’Opéra.
Marseille-Concerts avait frappé les trois coups éclatants de sa nouvelle saison dans la belle salle La Major, nichée dans le palais aérien du Pharo, embrassant à vol d’oiseau tout le port et la rade de Marseille, avec un duo bouleversant qu’on dirait voix et piano tant la clarinette humaine de Pierre Génisson, soupirs, murmures, longs souffles confidentiels fondus dans un infini de silence, puis éclats tristes ou joyeux, nous fait vibrer sans vibrato, dialoguant avec le piano attentif, toujours amical, de David Kaddouch, qui répond, appelle, interpelle comme en une intime conversation, front à front sans affrontement, duo jamais duel, qui passe par toutes les phases et phrases amicales d’un échange, de la confidence presque de bouche à oreille, du babil complice, souriant, aux facéties de vocalises comme des rires ou des blagues. On aurait le sentiment de surprendre, un peu indiscrètement, un dialogue entre copains si leur générosité ne nous invitait, sinon à y prendre place, à partager leur bonheur de courir et discourir ensemble.
Un moment arraché au temps.
Ce miracle se poursuivit pour le second concert, ce rendez-vous devenu rituel des dimanches à 11 heures au foyer Ernest Reyer du joyau Art Déco de notre Opéra, une heure pour un programme dévolu à un compositeur, confié à un artiste, ce jour-là, le tout jeune Ryan Wang, dix-huit ans, dont on peut dire, sans risque, que les fruits passeront les promesses des fleurs.
Les 24 Préludes, op. 28, furent publiés par Frédéric Chopin, à Paris en 1839, dédiés à son proche ami et élève Camille Pleyel, par ailleurs compositeur, l‘héritier de la dynastie institutionnelle de facteurs de pianos fondée par son père Ignace. Chopin les considérait comme les « nec plus ultra » du piano.
C’est Camille Pleyel qui, en 1838, expédie un piano de sa marque à Majorque où Chopin se trouve avec George Sand dans l’incommode Chartreuse froide de Valldemosa, séjour tempétueux, où le couple d’artistes, insolite, suspect, est rejeté par les habitants, craignant la contagion de la tuberculose qui mine le pianiste. C’est dans ces conditions difficiles que Chopin peaufine et termine ce cycle de Préludes commencé en 1835.
Selon un schéma inspiré du Clavier bien tempéré de J.S. Bach, ce recueil parcourt toutes les tonalités majeures et mineures dans l’ordre d’une tonalité majeure suivie de sa relative mineure, en suivant le cycle des quintes (Do majeur/ la mineur ; Sol majeur, mi mineur, etc.). À lire le programme, dans l’ordre de l’alignement des préludes, on peut constater que les 24 sont apparemment groupés par trois dans une alternance canonique de mouvements vifs enserrant un lent, ou l’inverse, à l’exception de deux séries de trois Préludes (10, 11, 12) et (16, 17, 18) tous de rythme vif.
Le mot « prélude » est généralement compris comme un prologue, un préambule, une introduction à une autre œuvre. Il n’en est rien ici. Ce sont des tableautins, des miniatures, certaines ne dépassant pas la minute, indépendantes, chacune expression d’une atmosphère propre, autonomes en technique et couleur d’une grande variété d’écriture, de la virtuosité extrême à la simplicité mélodique la plus épurée. Aucun prélude, par ailleurs, ne suit une structure fixe, chacun semblant explorer librement ce que nous recevons comme une idée, une méditation, ou ressentons comme une émotion, nostalgie, joie, angoisse, en tous les cas, une atmosphère différente interprétée par notre humeur, une sensibilité éveillant la nôtre.
Nous voyons entrer sans façons ce long jeune homme, frimousse enfantine, aux yeux rieurs, à l’abondante crinière d’ébène, toison en touffe sur le front qui battra sa mesure à la mesure du tempo des œuvres, qui lui donne, malgré le costume noir rigoureux, la dégaine sympathique d’un héros juvénile de bande dessinée.
Il l’est, à coup sûr, du piano, grand volatile noir à l’aile déployée, qui semble n’attendre que lui pour s’envoler et nous élever avec lui vers des sommets d’extase et nous plonger dans des abîmes d’émotion. Il n’édulcore pas des allégros parfois aigres et douloureux. Il creuse des graves profonds, fait ruisseler les gammes, dans un vertige virtuose, il fait jaillir, étinceler des aigus cristallins, des jets d’eau de lumière qui semblent auréoler sa chevelure brune, couronner sa mèche rebelle qui danse, indomptable, sur son front.
Sans maniérisme, il caresse les touches qui le lui rendent de caressante et touchante manière. Ses attaques sont franches, fulgurantes, d’une fougue virile d’un jeune homme en devenir qui balaie les miasmes maladifs et geignards des caricatures d’un Chopin fragile voué à la suavité savonneuse de jeunes filles lors d’un goûter de thé, tâtant, tâtonnant timidement un piano de salon pour agrémenter la gourmandise sucrée de vieilles demoiselles.
Plus deux bis, en complément à son programme, il avait ajouté les fameuses variations juvéniles de Chopin sur « Là, ci darem la mano… » (‘Là, nous nous donnerons la main’) le duettino séducteur où Don Giovanni offre sa menteuse main à une Zerline d’avance conquise : nous aussi lui donnons la main, les deux, pour applaudir le bonheur que ce jeune homme, séduisant sans jouer le séducteur, vient généreusement de nous offrir.
Benito Pelegrín


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