Raymond Vidil: une triple passion pour le transport maritime, la culture et Marseille
Entretien avec Raymond Vidil, Président de Marfret.
Diane Vandermolina: parlez-nous de Marfret ?
Raymond Vidil : Marfret (Marseille Fret) a été créé par mon père en 1951. J’ai créé la ligne régulière en 1987. Je suis président du groupe, mon fils Guillaume est directeur général. Mon activité maritime est très prenante: une journée d’armateur se déroule dans le monde entier. On est exposé quotidiennement aux impacts géopolitiques et climatiques sur notre activité (sécheresse, conflits…) et aux réalités du monde entier (30 pays, une centaine d’escales). On a participé à de grands projets industriels, comme la construction d’une raffinerie de sucre au Soudan. C’est une richesse formidable, une ouverture sur le monde et sur d’autres cultures. Cette ouverture sur le monde m’a permis de rencontrer des artistes et de visiter des musées dans différents pays. Le transport maritime, c’est changer de lieu, mais surtout changer nos pensées, notre façon de voir.
Diane Vandermolina: Comment est né votre goût pour l’art ?
Raymond Vidil : C’est assez tardif. Il est né d’un apprentissage lors de la création du collectif Mécènes du Sud, il y a plus de 20 ans. À l’époque, on voyait dans l’aide à la création contemporaine un levier d’activité pour notre ville, plus qu’un intérêt personnel. Pour moi, en tout cas, c’était ça. On s’est inspirés du rayonnement international créé par la galerie Pellat (même si c’est un peu ancien pour vous). Mécènes du Sud, c’est un collectif d’acteurs économiques qui se mobilisent pour aider les artistes émergents de notre ville. On critique souvent Marseille, on lui reproche un certain côté brouillon, un individualisme, un manque de solidarité. Mécènes du Sud est l’exact contraire : une mobilisation collective pour soutenir les artistes contemporains marseillais. En agissant collectivement, on a pu faire des dons très significatifs, contrairement aux dons individuels qui ont peu d’effet de levier. Petit à petit, en rencontrant les artistes dans leurs ateliers, ce goût pour l’art s’est forgé. C’est un monde différent du nôtre qui est plus fonctionnel, avec des statuts, des résultats, des process.
Diane Vandermolina: Comment aidez-vous les acteurs culturels à dépasser les enjeux actuels ?
Raymond Vidil : Chez Mécènes du Sud, on aide les artistes, pas les acteurs culturels. On les soutient dans leur phase émergente. On est cependant bien placés pour observer les besoins des acteurs culturels, et chacun de nous s’y implique individuellement. En tant qu’entreprise, on accompagne aussi certains acteurs culturels (cinéma, théâtre…) par le mécénat. J’ai beaucoup plaidé pour un mécénat PME impliquant, avec un engagement spécifique sur un projet identifié, afin que l’entreprise puisse s’investir concrètement. Il faut des contreparties pour impliquer les salariés : participation aux spectacles, découverte des métiers, échanges avec les metteurs en scène… Il y a beaucoup de similitudes entre un metteur en scène et un chef d’entreprise. On peut même inviter les clients et fournisseurs de l’entreprise au théâtre. Il faut distinguer le mécénat institutionnel (grands organismes financiers) du mécénat PME. Pour les PME, il faut un mécénat qui ait du sens pour l’entreprise et ses salariés, idéalement en se regroupant en collectif. Le mécénat n’est pas facile, il faut de la persévérance et un accompagnement, comme celui qu’on a eu grâce à la directrice de Mécènes du Sud.
Diane Vandermolina: Vous collectionnez les œuvres d’art ?
Raymond Vidil : Je suis plus impliqué dans le mécénat que dans la collection. Mécènes du Sud n’est pas un club de collectionneurs, mais un club de mécènes. Les dons aux artistes sont choisis par un comité artistique indépendant, sans contrepartie d’œuvre. On privilégie les artistes de notre région. Je suis plus un amateur qu’un collectionneur. Les artistes sont pionniers, ils sont aux avant-postes des idées et des mouvements. Ils sont notre radar de longue distance.
Diane Vandermolina: Vous avez écrit un livre sur l’entreprise familiale ?
Raymond Vidil: Oui, « Le chemin du monde », il y a dix ans. Il traite du rôle des armateurs et des transporteurs maritimes, qui sont des géographes. On montre le monde du point de vue de la mer, une vision différente de la géographie terrestre. La planète aurait dû s’appeler la mer, pas la terre. Notre activité chez Marfret (principalement le conteneur) est essentielle à l’économie nationale.
Diane Vandermolina : Votre entreprise est-elle impliquée dans des initiatives écologiques ?
Raymond Vidil : Oui, absolument. Nous sommes très sensibles à la question de l’environnement. Depuis des années, nos mécaniciens constatent l’augmentation de la température de la mer, ce qui est crucial pour nous car on utilise l’eau de mer pour refroidir nos machines. Nous avons fait des progrès énormes en matière de réduction de consommation et des émissions des navires, bien plus importants que ce qui se fait à terre. Malheureusement, ces efforts ne sont pas assez médiatisés. On est souvent accusés de pollution par les riverains qui voient un panache de fumée sur un bateau de croisière, et on nous accuse de polluer la mer, alors que c’est souvent la terre qui est la source principale de pollution. Tous les navires de nos armateurs sont équipés pour le traitement des rejets à quai. On a divisé par deux la consommation de nos navires et on fait des progrès considérables sur toutes les émissions. Il y a 6000 porte-conteneurs dans le monde, et à Marseille, sur ces 6000, on en a 10, tous équipés pour le traitement des rejets. Il faut faire attention à la manière dont on parle de notre métier et de ces sujets. L’objectif zéro carbone en 2050 nous impose de transformer les navires, de trouver d’autres modes de propulsion, de tester le vélique, de modifier les coques. Nous investissons dans des technologies innovantes pour mieux les comprendre et les intégrer à la construction de nos futurs navires.
Diane Vandermolina: Quel est votre rapport à Marseille ?
Raymond Vidil : Mon rapport à Marseille est né de mon activité maritime et portuaire, qui représente l’histoire et l’économie de la ville. Ce métier m’a ouvert sur le monde et sur d’autres cultures. Pour moi, la culture n’est pas un argument parmi d’autres pour Marseille, c’est L’argument faîtier. Bien sûr, il faut aussi s’occuper de la propreté, de l’accueil, de la sécurité… mais la culture doit être l’argument principal de son rayonnement et de son attractivité. La vie culturelle marseillaise est riche, notamment grâce au titre de Capitale Européenne de la Culture en 2013. Cet événement a été une révélation, un tournant, mais la ville a manqué de persévérance pour pérenniser cet élan sur le long terme même si on a fait une réplique de MP2013 avec MP2018 Quel Amour !
Diane Vandermolina: Quelle est la notoriété de Marseille dans le monde ?
Raymond Vidil : Elle s’est améliorée, notamment grâce à l’événement de 2013. Il faut persévérer sur la culture, sur cet amour pour la ville, cet amour pour la Méditerranée. Marseille possède des atouts formidables : son cadre naturel, son port, son aéroport, son secteur de la santé… Il faut la voir de haut, de loin.
