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Retour d’Avignon 2025 – Clap de fin

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Échos d’une vie passée, ce que la lumière ne montre pas, dans les interstices

Le Festival d’Avignon s’achève, et avec lui ce sentiment si familier d’avoir vécu hors du temps, dans une bulle suspendue, où la réalité se tient à distance. C’est un vertige doux-amer, celui que je connaissais déjà lorsque, danseuse, je quittais la scène après les tournées qui me faisaient arpenter le monde, les valises pleines de fatigue et d’exaltation, de frissons encore chauds. Je connais bien cette sensation.

Je l’ai éprouvée mille fois après les tournées. Après les saluts, les coulisses vidées, les projecteurs éteints. Un plateau qui redevient nu sous l’agitation des techniciens et régisseurs plateaux. On rentre, mais on n’est plus tout à fait la même. Quelque chose de soi est resté sur scène. Suspendu à un regard, à un souffle, à un frisson partagé.

On tente alors d’amorcer un atterrissage le plus doux possible. On revient dans un quotidien qui semble terne, plus terre à terre, après le tumulte du spectacle, des émotions partagées, des rencontres humaines et artistiques. Un retour assez brutal, comme une chute dans un réel trop sec.

Avignon m’a ramenée à cette intensité là. Cette exaltation profonde, presque physique, de vibrer à l’unisson avec des artistes portés par le même feu intérieur. Cette envie viscérale de transmettre, d’émouvoir, de faire réfléchir, de semer un peu de lumière et d’optimisme, à défaut de pouvoir transformer les failles de notre société. Avignon a ravivé cette part de moi qui ne s’éteint jamais vraiment. Cette part exaltée, brûlante, exigeante. Ce feu intérieur que peu voient, que peu cherchent à comprendre. Car le monde des artistes est un monde à part. Beau, mais facilement solitaire. On y vibre fort, on y vit fort. Trop, parfois.

Mais comment vivre autrement ?

Ce feu, cette brûlure intérieure, est souvent recluse. Peu comprennent ce besoin d’exaltation constante, cette quête de sens à travers l’art. Cette manière d’aimer avec urgence, de vivre avec intensité, de penser en dehors des cadres. Ce monde intérieur si riche qui ne demande qu’à être partagé, mais que peu cherchent à explorer vraiment. Ce sentiment d’être souvent à part, au milieu des autres.

J’aime les êtres passionnés et exaltés. Ceux qui laissent transparaître leur monde intérieur. Ceux qui, par un geste, une parole, un silence, déplacent en nous quelque chose. Ceux qui, par leur art, nous tendent un miroir du monde, parfois déformant et poétique. Qui nous incitent à regarder autrement, à questionner, à creuser, à ressentir. Ces âmes sont rares. On ne les croise pas à chaque coin de rue. Pas même toujours parmi les artistes.

Car l’art, parfois, se pare un peu trop d’égo et de narcissisme, et, ce faisant, peut devenir mur plutôt que passerelle. Et c’est dans ces moments-là que je me réfugie dans les livres, dans les mots de leurs auteur.e.s qui, eux aussi, cherchent, questionnent, dévoilent, transfigurent, relient. Et nous invitent à consentir au monde. C’est là que je retrouve une forme de vérité nue, de partage sincère, d’élan vers l’autre.

Parmi les rencontres précieuses de ce festival, il y a eu celle, marquante, avec William Mesguich . Un artiste au talent incandescent, habité, généreux. J’ai aimé croiser ce feu rare. Un cœur sur scène, un souffle dans les mots, une âme quasiment à nu.

Il m’a bouleversée. Par son jeu. Par ses mises en scène. Par sa manière de faire résonner notre héritage commun comme une musique vive, brûlante, actuelle. Il m’a parlé comme on parle sans mots. Son jeu, ses mises en scène, sa manière de convoquer notre patrimoine littéraire avec une telle intensité émotionnelle m’ont bouleversée. Je me suis laissée entraîner, sans artifice, dans des voyages intérieurs puissants. Il incarne cette humanité profonde et passionnée que je recherche chez autrui et que je trouve dans l’art et chez certains artistes.

Je repars remplie. Et un peu vide, aussi. Mais c’est le propre de l’art, non ?

Il nous élève. Il nous consume. Et il nous laisse, à la fin, plus humains. Plus riches. Plus seuls. Mais plus vivants. Il me reste de ce festival une nostalgie lumineuse. Et ce besoin, toujours, de créer du lien, du sens, de l’intensité. À travers la scène, les mots, les regards. Je poursuis mon chemin, avec l’art comme boussole.

Valérie Blaecke

Crédit photo : Valérie Blaecke

Rmt News Int • 29 juillet 2025


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