Avignon off 2025 : Des fleurs pour Algernon
Une claque matinale signée William Mesguich
Il y a des artistes dont la présence vous habite longtemps après la tombée du rideau. William Mesguich en fait partie. Après avoir été bouleversée par sa sublime interprétation dans “Gauguin– Van Gogh”, véritable pépite pour ma part de ce Festival d’Avignon, je tenais à revenir pour ne pas passer à côté de cette autre proposition : “Des fleurs pour Algernon”, adapté du roman de Daniel Keyes. Un tout autre genre, une autre matière à explorer… et pourtant, encore une fois, la magie a opéré.
Ce matin-là, dans la douce effervescence d’un Avignon qui s’éveille sur des affiches éparpillées par le mistral qui souffle sur ce dernier jour de festival, je suis entrée dans la salle curieuse de découvrir comment William Mesguich allait s’approprier ce texte si fort, si sensible, si intelligent. Dès les premières secondes, j’ai été estomaquée. Happée, littéralement, par cette atmosphère de tension, cette densité dramatique qu’il installe en quelques postures, en quelques regards, assis simplement sur un petit tabouret a l’avant-scène, et interprétant, avec son talent, les différents protagonistes de l’œuvre. Tout part de là. De cette simplicité jaillit une richesse d’authenticité et de jeu fascinantes.
William Mesguich ne joue pas. Il incarne. Il est. Traversant les personnages comme s’ils l’habitaient tour à tour, sans jamais les survoler. Tout est là, dans le regard, dans les postures, dans les infimes variations de voix. Son visage même semble muer à vue, comme si chaque protagoniste et personnalité laissait une trace, une empreinte éphémère, mais sincère. Son interprétation de Charlie, personnage principal de l’histoire, est d’une justesse bouleversante, allant de la naïveté candide à une lucidité tragique avec une fluidité et une pertinence qui serrent la gorge.
Et puis il y a ce timbre. Cette voix, reconnaissable entre mille, malgré les tonalités qui changent selon les personnages, capable d’autant de nuances que de silences. Chaque intonation semble pensée, ciselée, portée par une intention précise, mais jamais démonstrative. On sent un comédien au service du texte, du sens, du cœur, des tripes.
Il y a quelque chose de profondément humain dans ce seul en scène. Un souffle de compassion, une réflexion sur l’intelligence, la différence, la solitude. Et William, en funambule sensible, nous emmène avec lui là où le texte veut nous mener : au cœur de l’âme humaine, dans ses grandeurs et ses failles.
La musique originale de Jean-Christophe Marti, interprétée au piano par Amélie Stillitano et aux percussions par Raphael Simon, présents en arrière scène en filigrane, derrière un rideau de cordelettes, accompagne d’abord le spectacle avec une discrétion presque souterraine, soulignant subtilement la tension psychologique qui traverse l’œuvre. Mais très vite, on réalise que William Mesguich, par la seule force de son jeu habité, suffit à faire vibrer toutes les cordes sensibles du récit — au point que cette présence sonore, bien que délicate, pourrait presque paraître superflue tant William emplit seul tout l’espace émotionnel.
Ce n’est pas une simple performance d’acteur à laquelle j’ai assisté ce matin-là. C’était une expérience. Une rencontre. Un moment suspendu où le théâtre retrouve son essence : nous bouleverser, nous éveiller, nous transformer.
Valérie Blaecke
Crédit photo : Isabelle Simon
Vu au Théâtre du Roi René Avignon



Vous devez être connecté pour poster un commentaire.