
L’Opéra de Marseille : Semer les graines de la culture dès le plus jeune âge
L’Opéra de Marseille est depuis plus d’1/4 de siècle un acteur majeur de l’éducation artistique et culturelle, déployant des actions ambitieuses auprès de publics très divers, des tout-petits aux personnes âgées, en passant par les élèves des écoles et les détenus. Nous avons rencontré Guillaume Schmitt, chargé de l’action culturelle, et Jean-Marc Coppola, adjoint à la culture de la ville de Marseille, pour en savoir plus.
« A Marseille, l’opéra c’est classe » : une immersion artistique pour les jeunes
DVDM : La soirée de gala du programme A Marseille l’Opéra c’est classe se déroule le vendredi 27 juin à 19h à l’Opéra de Marseille. Comment se déroule ce programme ?
Guillaume Schmitt : « Six établissements scolaires participent à cette action, quatre écoles primaires de la ville de Marseille et deux collèges. Les établissements postulent en amont pour participer au programme « A Marseille, l’opéra c’est classe » et au cours d’une commission « Ville de Marseille, Opéra, Rectorat », les établissements sont choisis en fonction de leur projet pédagogique et culturel. Ensuite, nous faisons en septembre une réunion en coordination avec les enseignants et les personnels artistiques intervenants de l’opéra. Une visite de l’opéra pour découvrir ce lieu, pour se sentir chez eux. Et à partir du mois de janvier, ils attaquent vraiment un travail d’immersion totale au sein de l’opéra avec des artistes intervenants en chant, danse et mise en scène qui les font répéter sur les ouvrages choisis en opéra et en opérette. Ils assistent à la générale de l’ouvrage sur lequel ils travaillent, à un concert pédagogique du chœur, un concert pédagogique de l’orchestre. Ils vivent une expérience d’immersion totale au sein de l’opéra de Marseille. Et ensuite, ils font en commun sur la scène de l’opéra un chant final qu’ils présentent devant les familles, parents et institutions. Et le public reprendra ce chant final en chœur pour clôturer cette soirée de gala. Les enfants développent une meilleure écoute, un meilleur respect de l’autre par la rencontre de l’autre : ça ouvre de nombreuses perspectives scolaires et sociales. »
Une ouverture à tous les publics : des EHPAD aux prisons
DVDM : Vous menez aussi des actions dans les EHPADs ?
GS : « Nous avons des actions en direction des publics empêchés, à côté des actions jeunes publics. Nous menons une politique en direction des EHPADs, mais également des maisons de fin de vie, des hôpitaux, en partenariat avec l’APHM et nous allons à la prison Les Beaumettes. Cette mission de service public que doit remplir l’opéra municipal est de permettre au plus grand nombre d’avoir accès à la culture. Nous avons donné des récitals avec nos artistes solistes du chœur, ce qui permet aussi à nos artistes d’être confrontés à la réalité de la vie, qui est la privation de liberté, la maladie, la vieillesse, la fin de vie. Il y a ensuite un échange très fort qui se fait entre les artistes et les publics présents lors de ces concerts. »
L’éveil artistique dès le plus jeune âge : « Les petits bouts à l’Opéra »
DVDM : Parlez nous des programmes Musiciens à l’école et Les petits bouts à l’Opéra ?
GS : « Les musiciens à l’école sont en direction des écoles primaires, où notre orchestre se déplace. Il y a une immersion de l’orchestre au sein de l’établissement, on va sur les lieux d’études des enfants, et nous espérons que peut-être ces concerts susciteront des vocations, l’envie d’aller au conservatoire, d’apprendre la musique, et de venir à l’Opéra visiter cette maison qui est inscrite au cœur même de la cité. Cette année, la nouveauté c’est l’action en direction des crèches de Marseille, « Les petits bouts à l’Opéra », avec une immersion en chant et danse. Pour le chant, avec une artiste intervenante et nos artistes solistes du Chœur, Jean-Michel Musical et Pascal Bonnet du Perron, ils feront un travail sur tous les sentiments qu’on peut retrouver dans la voix, la peur, la colère, la tristesse, la joie et apprendront une petite comptine qu’ils chanteront avec nos artistes dans le grand foyer de l’Opéra. Pour la danse, Christophe Roméro proposera un éveil au corps. »
L’engagement politique pour la culture : la vision de Jean-Marc Coppola
DVDM :Quel est votre point de vue sur ces actions, et notamment sur l’importance de l’accès à la culture pour tous, dès le plus jeune âge ?
Jean Marc Coppola : « Cela correspond à ma vision de la culture, l’éducation artistique et culturelle dès le plus jeune âge, de 0 à 12 ans, incluant les crèches municipales et les écoles primaires. J’y tiens particulièrement car il s’agit d’éveiller les sens des enfants, de leur faire découvrir l’art sous toutes ses formes : musique, danse, chant, arts visuels… et de les confronter aux autres, à leur environnement et aux livres, en les emmenant dans les bibliothèques et les musées. Et bien sûr, à l’opéra ! Amener 300 bébés de 2-3 ans à l’Odéon pour Pierre et le Loup peut sembler fou, mais leur réceptivité était incroyable. On ne peut pas mesurer précisément l’impact de telles actions, mais je suis convaincu de leur importance. Mme Marinopoulos, qui a rédigé un rapport en 2019 sur l’EAC, m’a fait remarquer la surprise de certains parents, même ceux de milieux favorisés, lorsqu’on leur suggère de raconter des histoires à leurs bébés. Ces programmes bénéficient aux enfants, aux parents (qui ressentent une certaine fierté), et contribuent à la démocratisation de l’accès à la culture, car cela permet à des familles qui ne franchiraient pas le seuil de l’Odéon ou de l’Opéra de découvrir ces lieux. C’est pourquoi je m’investis dans des programmes comme « Orchestre à l’école » et « Opéra à l’école ». Je suis souvent étonné par la curiosité et les connaissances musicales déjà présentes chez certains jeunes. Ces actions forment les spectateurs de demain, mais surtout permettent l’épanouissement personnel par la découverte artistique. Il ne s’agit pas uniquement d’éveiller des vocations, même si cela peut arriver, mais surtout de confronter les enfants à un environnement culturel auquel ils n’ont pas forcément accès. Je pense aussi aux bibliothèques et aux livres : de nombreuses familles n’ont pas de bibliothèque à domicile, et emmener les enfants dans ces lieux les familiarise avec la lecture et l’écriture. Tout cela fait partie intégrante de ma mission. Je considère ces actions comme des missions de service public essentielles. »
DVDM : Quels sont les moyens mis en œuvre par la ville de Marseille ?
JMC : « Nous y consacrons d’importants moyens publics, contrairement à de nombreuses autres collectivités qui ont réduit leurs investissements dans la culture, notamment dans les opéras. À Marseille, l’opéra est quasiment entièrement financé par la ville, complété par les recettes propres et une subvention de l’État (430 000€ sur un budget de 27 millions d’euros). La Région et le Département n’apportent aucun financement. Bien sûr, la ville est confrontée à des contraintes budgétaires, mais l’art de la politique consiste à trouver des solutions aux problèmes apparemment insolubles. Pour ma part, je refuse que la culture soit la variable d’ajustement. Je ne veux pas réduire ses moyens, car on ne sait pas ce qui nous attend demain. Mon expérience à la tête du CREPS Provence-Alpes-Côte d’Azur (1999-2006) m’a montré les conséquences désastreuses de la baisse des moyens de l’éducation populaire. En 2002, j’avais prédit que cela serait une bombe à retardement, et Boris Cyrulnik l’a confirmé en 2017 en parlant d’un recul de civilisation. La culture n’est pas seulement un divertissement, c’est un outil d’épanouissement et d’émancipation humaine. »
L’Opéra de Marseille, grâce à son engagement et à l’investissement de la ville, s’affirme comme un lieu d’épanouissement artistique et culturel pour tous, démontrant l’importance de l’accès à la culture pour le développement personnel et le progrès social. Ces initiatives inclusives sont un modèle inspirant pour les institutions culturelles. Elles prouvent que la culture est un bien précieux, un droit fondamental pour tous, et un puissant levier de développement humain.
Propos recueillis par Diane Vandermolina
Crédit photos : Souad Boumiz
En une, crédit photo: Christian Dresse.
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