
Jacqueline Régis : Une vie dédiée à l’art, à la culture et à Marseille
« Je suis une serial entrepreneuse »
Jacqueline Régis, 79 ans, née à Tunis en 1946 dans une famille de six enfants, d’un père italien naturalisé en 1949 et d’une mère française, est Marseillaise d’adoption depuis 1961. Enfant, son père l’emmenait tous les jeudis dans une pâtisserie où « on n’avait droit qu’à un seul gâteau » puis au théâtre. « Là, je me suis dit : quand je serais grande, j’aurais une pâtisserie et un théâtre. »
Les événements de Bizerte ont précipité un départ urgent de Tunisie. « On a tout laissé derrière nous, une très belle vie, notre argent, nos affaires, notre maison familiale au bord de la mer à La Marsa. On arrive en France dans un HLM, mon père a dû travailler comme pompiste, mais il y a toujours eu de l’amour et on n’a pas souffert. On a tous beaucoup travaillé et fait de belles études car mon père nous a inculqué cette idée : on ne sait jamais ce qui peut arriver. Et à mes enfants aussi, je leur ai dit de faire un métier, mais qui leur plaise parce qu’il n’y a pas de sot métier ».
Après un bac littéraire au lycée Perrier, des études de droit et de science politique, elle s’oriente vers la médecine après sa rencontre avec son premier mari. Elle ouvre brièvement un cabinet médical de rééducation orthoptique pour enfants avant de racheter la pâtisserie chocolaterie, Amandine, en 1978. Récemment divorcée, elle y rencontre le père de sa fille : Maurice Mistre. « Il faisait des gâteaux agrémentés d’une sérigraphie personnalisée pour ses clients. Parmi ces derniers, ceux réalisés pour Edmée Santy s’appelaient « les Santy ». » Ensemble, ils créent les Arsenaux en 1980. » Jeanne Laffite avait la librairie, nous le restaurant-salon de thé et les salles d’exposition. «
» Ma vie est faite de rencontres et tout ce que j’ai réalisé, c’est grâce aux rencontres. «
En 1985, elle trouve au 59 cours Julien une ancienne manœuvrerie qu’elle transforme en théâtre privé de 200 places, L’Avant-Scène, où elle présente 42 spectacles jusqu’en 1992. Elle y accueille Samy Frey et, en 1988, Serge Rezvani, auteur de la chanson de Jules et Jim de Truffaut, qui lui écrit deux pièces, Jusqu’à la prochaine nuit et Na. En 1992, Jack Lang lui propose de reprendre le Théâtre Récamier à Paris. « Hélas, le nouveau ministre, Jacques Toubon, a préféré que cela reste la salle de répétition de la Comédie-Française. »
Par la suite, elle s’associe avec le réalisateur et producteur Franck Appréderis pour produire des films d’auteurs, via Avant-Scène Production, pendant 15 ans, avec une filiale à Bollywood. Elle faisait alors les allers-retours entre Marseille et Paris. Entre 1997 et 2000, à la demande de Jean Mangion, elle créé le Centre de Design Marseille Provence au 6 avenue de la Corse qu’elle co-dirige avec Antoine Lazerges. « Les gens passaient et disaient : c’est un centre de signes pour les aveugles. Le design était peu connu. J’ai exposé les œuvres de Mathieu Lehanneur avant qu’il ne soit le designer de la Flamme Olympique.»
Atteinte de deux cancers (de la thyroïde et du sein), elle laisse la place à son assistant en 2014 avant de tout vendre un an plus tard. Une fois en rémission, « je ne suis pas quelqu’un qui va se reposer, alors je me suis dit : je vais créer des galeries d’art contemporain et de design avec un côté chocolaterie. » En 2018, elle fonde la Boutique du Chocolat Galerie d’art contemporain et de design, Aurore, sis 7 rue Edmond Rostand. Elle souhaite passer la main à sa fille, Pauline Mistre, juriste fiscaliste, qui dirige la boutique Mistre ouverte en 2021 à Vauban. Une troisième boutique devrait bientôt ouvrir dans le 8e arrondissement.
« Adolescente, j’aimais beaucoup Marseille : cela me rappelait mon enfance en Tunisie et je trouvais qu’il y avait un cosmopolitisme dans la ville, non seulement au niveau des religions, mais aussi culturellement : quand on accueille des gens d’ailleurs, ça apporte quelque chose à la ville, et les Espagnols, les Italiens, les Arabes ont tous apporté quelque chose à la ville. Là où l’effervescence culturelle a vraiment été visible, ça a été en 2013 et j’essaie d’y contribuer à mon niveau. »
Après le Covid, elle a édité en 2023 un livre hommage à sa ville d’adoption ‘1000 photos pour Marseille’. Ce portrait architectural de la ville se présente comme « un vagabondage poétique, parcours hiératique effectué au centre-ville, sur le littoral, dans la campagne environnante, en architecture avec des images de l’intime, images de rues, impressions colorées douces-amères atemporelles. » Il a été réalisé pendant le confinement : « il n’y avait personne, avec les 5 photographes, on a fait le tour de la ville. C’était très agréable ».
Passionnée de cuisine, elle invitait 8 à 10 convives à ses repas mensuels, notant ses recettes dans un carnet. « Il s’appelait : Devine qui vient dîner ? et je racontais une histoire avec chaque recette ». Sa rencontre avec un photographe culinaire lui a donné l’idée de faire un livre de ses recettes revisitées par 24 chefs étoilés, 18 cuisiniers et 6 pâtissiers. Parmi eux : Hélène Darroze, Coline Faulquier, Hugues Mbenda et Alexandre Mazzia. Sortie prévue en septembre. « Georgiana Viou n’a pu y participer, elle retourne chez elle au Benin mais il y aura peut-être une surprise, j’attends la réponse d’un autre grand chef » glisse t’elle énigmatique.
« J’ai réalisé tous mes rêves »
« J’ai vécu une vie très enrichissante sur le plan professionnel, avec de superbes rencontres, mais catastrophique sur le plan personnel : j’ai été entourée par la maladie. Ma fille née en 1986 a eu un cancer des ovaires à 20 ans, son père est mort d’un cancer et mon fils de 50 ans est décédé il y a deux mois d’un cancer du poumon au stade 4 ». Elle souhaite aujourd’hui s’occuper de ses petits-enfants.
Propos recueillis par Diane Vandermolina
Bon à savoir :
Vernissage de la prochaine exposition Domitia de Sylvie Serres à la galerie Aurore le 17 juin à 18h.
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.