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Muriel Pénicaud décrypte le futur du travail dans une BD captivante

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Travailler Demain, un roman graphique qui stimule le dialogue intergénérationnel.

L’ancienne Ministre du Travail, Muriel Pénicaud, se lance dans une aventure éditoriale originale : une bande dessinée, Travailler Demain, co-écrite avec Mathieu Charrier et illustrée par Nicoby. Ce roman graphique explore les transformations profondes du monde du travail, abordant avec intelligence et humour les défis de l’intelligence artificielle, de la transition écologique, et de l’égalité femmes hommes.

À travers l’histoire de Soraya, une lycéenne qui prépare un exposé sur le futur du travail, le lecteur est immergé dans un récit captivant qui croise des personnalités influentes et des témoignages inspirants. De Sophie Bellon à Christine Lagarde, en passant par Aurélie Jean et Isabelle Rome, des figures clés partagent leurs visions et leurs analyses.

Muriel Pénicaud explique : « J’ai choisi la BD pour rendre accessible au grand public le débat complexe sur le futur du travail. L’objectif est de stimuler les discussions sur l’IA, l’écologie et le sens du travail, à l’école comme en entreprise. »

Travailler Demain ne se contente pas de dresser un constat, il propose des pistes de réflexion et des solutions concrètes pour construire un avenir professionnel plus juste et plus durable. L’ouvrage met également l’accent sur l’importance du dialogue intergénérationnel, essentiel pour relever les défis de demain.

Elle est en signature aux Arcenaulx, cours Estienne d’Orves, le 22 mai à 16h. DVDM

 Interview de Muriel Pénicaud sur sa bande dessinée « Le Futur du Travail »

Muriel Pénicaud: À l’origine de ce roman graphique, il y a une proposition que j’ai faite à Glénat pour réaliser une bande dessinée, un doc fiction, sur le futur du travail.  Je donne beaucoup de conférences sur ce sujet, en France et à l’international, et c’est un véritable enjeu sociétal. On parle d’actualité politique et économique, mais souvent sans une vision claire.  Beaucoup de personnes, étudiants, chefs d’entreprise, salariés, se questionnent sur l’avenir.  La bande dessinée, en tant que média grand public, permet de combiner le sérieux et l’humour pour aborder des sujets comme l’intelligence artificielle, les enjeux écologiques, les aspects démographiques, et les changements dans notre rapport au travail, son sens même.  On raconte une histoire, celle de Soraya, une lycéenne qui prépare un exposé sur le futur du travail et rencontre des personnalités réelles, devenues personnages de BD, après avoir validé leurs propos.  L’histoire est légère, humoristique, mais aussi sérieuse grâce aux témoignages.

DVDM:  Ces personnes reflètent bien la diversité des acteurs du monde du travail ?

Muriel Pénicaud:  Oui, on a des patrons – Sophie Bellon de Sodexo, Benoît Bazin de Saint-Gobain, Thierry Marx – des syndicalistes – Marylise Léon, Philippe Martinez, Ron Oswald – des experts comme Aurélie Jean pour l’intelligence artificielle, des personnalités comme Christine Lagarde, et des acteurs engagés pour la diversité, l’inclusion, l’égalité femmes-hommes – Isabelle Rome, Moussa Camara, Rachel Khan, et Jasmine Manet, particulièrement engagée auprès des jeunes.  On a visé une vision à 360 degrés, car le travail nous concerne tous.  L’objectif est de donner à réfléchir, de montrer des exemples concrets.  Avec Mathieu Charlier, mon co-scénariste, journaliste et spécialiste de la BD, on est allés les interviewer. C’était amusant, car je les connaissais, et j’étais dans une autre posture que celle de ministre, intervieweuse au lieu d’être interviewée.

DVDM: Votre expérience au ministère du Travail vous a-t-elle permis d’avoir une vision plus globale et d’offrir des solutions, comme le modèle d’apprentissage continu ?  Quelles autres solutions proposez-vous face aux bouleversements et à la conciliation entre performance des entreprises et justice sociale ?

Muriel Pénicaud: C’est une bonne question, c’est le sujet de mes conférences.  Mais là, je ne parle pas, je suis scénariste, chef d’orchestre.  Cependant, j’ai travaillé sur ces thèmes longtemps, en dirigeant les ressources humaines de DADONE et comme ministre.  Cela m’a aidée à pousser les interviewés sur le fond.  La BD met en valeur des solutions, des points d’équilibre.  Par exemple, avec l’IA, les emplois de « col blanc » (finance, droit, marketing) seront conservés, ainsi que les radiologues et chirurgiens.  Mais de nouveaux métiers émergent, comme chez Sodexo ou à l’Hôpital de Montréal, très avancé sur l’IA, qui développe aussi l’humain, car le soin passe par la relation humaine.  En France, c’est difficile pour le personnel soignant. On parle de gestes techniques pour le soin. De plus, l’automatisation de la gestion de données, des systèmes répétitifs, des process, libérera du temps.  Si on est intelligent collectivement, on le consacrera à la créativité et à l’humain. Sinon, on supprimera juste des postes.  L’histoire n’est pas écrite.  Et la question est la technique au service de quoi ? Chez Renaud, parti en Asie, on voit les transformations liées à la transition écologique.  Marylise Léon et Benoît Bazin montrent comment la chaîne de valeur dans la construction se transforme en Inde.  On voulait donner des exemples, éviter de juste dire « Oh là là, quel bouleversement ! », mais montrer des pistes de solutions, des expériences, des opportunités de créer de nouveaux métiers.  On rappelle que 65 % des métiers n’existent pas encore, et que plus de 50 % des emplois de l’économie formelle seront transformés dans les 10 ans.  L’ampleur est énorme, mais on voulait que le constat ne soit pas anxiogène.  C’est une grande transformation, mais avec des opportunités.  On voit aussi le rôle de l’entrepreneuriat pour les jeunes en difficulté, en zone rurale ou urbaine, et le débat sur le financement.

DVDM:  La BD répond aux attentes des jeunes quant à leurs besoins de sens dans les métiers à venir ?

Muriel Pénicaud: Tout à fait. C’est une chance pour la société, les jeunes générations sont plus exigeantes sur les aspects écologiques et sociaux. Jasmine Manet le montre, ainsi qu’Isabelle Rome sur l’égalité homme-femme. 

DVDM:  Vous présentez 7 femmes.  Quelles actions concrètes et innovantes pour dépasser les inégalités au-delà de l’index égalité pro ?

Muriel Pénicaud: Sur 13 personnages, 7 sont des femmes, oui. Je suis très engagée sur l’index égalité homme femme, un combat inachevé, on progresse, mais pas assez vite. Isabelle Rome le dit, mais beaucoup de personnages parlent de l’égalité homme femme, car elle résume deux points cruciaux pour l’avenir du travail : plus de justice sociale et plus de performance économique pour un système durable.  C’est un combat pour les femmes, nos filles, nos petites-filles, pour l’émancipation économique.  Mais c’est aussi un enjeu économique, car les entreprises plus paritaires sont plus performantes, innovantes et résilientes.  C’est un plaidoyer social et économique.  Pourtant, les jeunes filles, leurs parents et les professeurs n’envisagent pas assez les carrières dans la tech et les sciences, alors qu’il y a un boulevard d’emplois intéressants avec l’IA et les startups, dans l’écologie, la santé…  Les écoles d’ingénieurs n’ont que 20 % de femmes, et au collège et au lycée, c’est catastrophique, alors qu’elles sont souvent meilleures en classe.

DVDM:  La question de l’éducation et du langage éducatif ferme la porte aux jeunes filles ?

Muriel Pénicaud: Absolument. Les parents et les professeurs ne voient pas assez les opportunités.  Il y a des associations mais c’est un travail de fond. Il ne faut pas rater cette génération, car il y a plein d’emplois à créer entre transition écologique et intelligence artificielle, des emplois qui ont du sens.  Ce n’est pas de la technique pour la technique.  On espère que la BD, accessible aux salariés, aux chefs d’entreprise, touchera les lycéens et étudiants.  Mon rêve est qu’il y en ait dans tous les CDI, et qu’on fasse des débats à l’école autour de ces sujets.  La BD peut être un support.  J’ai déjà fait des conférences autour de la BD, mais je pense que ça peut donner à réfléchir sur l’avenir.  Il y a plein d’exemples concrets qui donnent envie d’aller voir ce côté-là.

DVDM: Ça permet de les inciter à s’emparer de ces questions et à choisir d’autres métiers ?

Muriel Pénicaud:  Et de ne pas s’auto-restreindre à une série de métiers. On est encore dans des stéréotypes de genre très résistants, culturellement.  C’est une perte de chances pour les filles et pour la société, pour les entreprises qui n’ont pas ces talents.  Soraya peut s’emparer de tous les domaines, elle interroge Aurélie Jean sur l’IA, et il y a des rôles modèles parmi les interviewées. 

DVDM:  La relation entre Soraya et sa grand-mère reflète le dialogue et les incompréhensions entre les générations.

Muriel Pénicaud: La grand-mère, Cathy, est DRH chez Pépin Malin, une entreprise de parapluies écologiques.  Cathy devient un vrai personnage. Avec Soraya, elles s’aiment, mais ne se comprennent pas toujours.  Ce dialogue intergénérationnel permet d’aborder des sujets non traités par les 13 personnages, d’apporter des chiffres et des idées complémentaires.  C’est la merveille de la BD, on se balade dans l’histoire.  Sur huit pages, on fait l’historique des deux derniers siècles en matière de droits sociaux.  Comme Soraya voyage en Inde, en Afrique, au Canada, elle peut dialoguer avec Roosevelt par exemple. Ce dialogue intergénérationnel, un des grands sujets de demain, avec le sens du travail et l’égalité homme-femme, traverse tous les thèmes de la BD. Jasmine Manet, qui a créé l’association Girls Forever, a 28 ans, et montre qu’il ne faut pas attendre la prochaine génération pour changer.  Il faut commencer maintenant, avec les jeunes.  On voit comment le rapport des jeunes aux institutions, aux syndicats, a changé, comment les syndicats et le management doivent évoluer, par la confiance, le coaching… Pascal Demurger de la Maïf en parle.  Il y a plein de pistes pour discuter entre générations.  Lors des dédicaces, des gens viennent en famille, car les jeunes ne veulent pas parler du travail, ou les parents leur mettent la pression.  Inversement, les parents sont inquiets.  Ils achètent la BD, et ça crée un débat en famille, entre amis, collègues…  C’est un bon support pour un débat familial.  On peut en parler avec du recul, car 65 % des emplois futurs n’existent pas encore.  Il faut apprendre à apprendre, on ne choisit pas son avenir à 18 ans.  On fera 10 métiers dans sa vie.  C’est important pour un débat sur le travail qui ne soit pas précipité, avec des informations, mais avec légèreté.

DVDM:  Souvent, les jeunes pensent « métier passion » ou « métier ennuyant »…

Muriel Pénicaud:  Oui, exactement.  Il faut que les modes de travail évoluent.  Beaucoup de jeunes refusent les CDI, alors que c’était le Graal.  Heureusement, en France, 86 % des emplois sont des CDI.  Mais on voit une recherche d’équilibre vie pro/vie perso, accentuée par le Covid.  Le travail n’est plus forcément numéro un.  Le sacrifice au travail disparaît.  Ce n’est pas un manque d’engagement, on peut être engagé sans être dédié corps et âme.  Les entreprises le comprennent.  Ce ne sont pas des jeunes moins engagés, ils s’engagent sur des projets qui ont du sens.  Et comme il y a moins de chômage, c’est positif.

DVDM: Vous êtes aussi photographe ?

Muriel Pénicaud: Oui, je viens du Sénégal, j’ai fait une conférence sur le futur du travail.  J’ai écrit le texte pour mes deux nouvelles expositions, à Saint-Louis et Riga-Dakar. Je vais à Athènes.  Même conférence, même exposition de photographie.  J’ai reçu le prix Julia Margaret Cameron Award.  C’est comme la BD, deux langages universels, pour une diversité d’interlocuteurs.  Les femmes et les filles sont très importantes dans mon travail.

DVDM: Vous soutenez les artistes émergents ?

Muriel Pénicaud: Oui, la fondation Sakura aide les artistes émergents depuis 13 ans, avec du mentoring et de l’argent pour leur premier projet.  Les grandes fondations demandent des preuves, mais comment financer le premier court-métrage ?  Il faut des moyens.  On veut aider les artistes à faire leur premier pas.  C’est important, la société a besoin d’art, pour tous, pas seulement pour quelques privilégiés.  Dans un monde incertain, il faut développer la sensibilité, l’émotion, l’imagination, pour inventer la société de demain.  L’art éveille les regards et les cœurs, l’imagination, et c’est joyeux.

DVDM: Vos impressions sur Marseille ?

Muriel Pénicaud: J’y suis venue dans différents contextes, notamment pour l’inauguration de l’école de la deuxième chance, l’insertion dans les quartiers Nord.  J’ai été étonnée par l’ampleur du tissu associatif, mais aussi par les problèmes d’infrastructures de transport qui empêchent l’accès au travail.  Il y a des contrastes, mais aussi un conservatoire formidable, des projets écologiques maritimes…  C’est la 2ème ville de France, c’est une ville bouillonnante de projets et d’initiatives, mais on n’en parle pas assez, et je suis ravie d’y présenter la BD avec Mathieu Charlier.

Propos recueillis par Diane Vandermolina

Photo de une: Muriel Pénicaud ©Gorilla photographie

Informations pratiques : Travailler Demain coécrit par Muriel Pénicaud et Mathieu Charlier, illustré par Nicoby, Ed. Glénat.

Rmt News Int • 22 mai 2025


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