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Espagne, hispanisme, espagnolade (II)

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UNE HEURE AVEC JENNIFER MICHEL ET JUAN ANTONIO NOGUEIRA

Mercredi 6 janvier

Par BENITO PELEGRIN

Encore une heureuse initiative de Maurice Xiberras, Directeur de l’Opéra de Marseille et de l’Odéon qu’il a réveillé avec l’opérette : offrir une heure de chant, largement et généreusement débordée. C’était, accompagnés au piano par Marion Liotard, à la soprano Jennifer Michel, désormais bien connue et appréciée sur la scène lyrique marseillaiseet au ténor espagnol Juan Antonio Nogueira, nom galicien pour un originaire des Canaries, patrie du légendaire Alfredo Kraus, qu’était confié ce moment musical, prélude espagnol à l’opérette franco-espagnole, Andalousie, de Francis(co) López. Soulignons encore l’inanité des frontières et des nationalités : ce compositeur fameux de chansons et d’opérettes, né en France par un accident de l’histoire puisque son père était Péruvien et sa mère, née en Argentine, mais tous deux d’origine basque, établis d’abord à Hendaye où le jeune homme passe son enfance, nourri comme Ravel par sa mère espagnole, des rythmes et mélodies ibériques.

Le piano est couvert d’un mantón de Manila, ‘un châle de Manille’, si intégré dans les parures typiques traditionnelles des Espagnoles ; il servira aussi à quelques jeux de scène à la chanteuse ; les dames, pianiste et soprano, entreront, chignon éclairé d’un œillet rouge très espagnol et c’est le ténor qui introduit d’une rafale dynamisante de castagnettes, le premier morceau, un duo tiré du Prince de Madrid, opérette sur Goya, « España », un hymne à l’Espagne dont les paroles enfilent les clichés naïvement touristiques : ce n’est pas Chabrier mais cela n’en est pas moins agréable et bien chanté par les deux voix qui se marient  bien sur cette scène comme à la ville. En fait de scène, deux larges couloirs en équerre, qui mettent les chanteurs à moins de deux mètres du public nombreux, avec les contraintes de déplacement et d’angoisse inhérentes à la proximité.

Le ténor, Premier Prix au Concours « Voix du monde » en Espagne, se lance dans l’air héroïque sur l’épée tolédane, dont il brandit une copie de théâtre, un air tiré du Huésped del sevillano de Jacinto Guerrero, une zarzuela inspirée de Cervantes. La voix est vaillante, plus acérée que vibrante, et convient ici. Ensuite, jouant joliment de l’éventail, la soprano française, aborde, avec un style vraiment espagnol, les vocalises virtuoses, si hispaniques, du carillonnant  « De España vengo », ‘Je viens d’Espagne, Je suis Espagnole’, du Niño judío de Pablo Luna, encore une arrogante proclamation d’hispanité, que la jeune cantatrice teinte d’un fier désespoir d’amour déçu qu’on perçoit rarement dans l’interprétation du « pont » de l’air.

La pianiste Marion Liotard, ancienne du CNIPAL, très sollicitée comme accompagnatrice partenaire et créatrice également d’œuvres contemporaines, rend un hommage verbal à Ernesto Lecuona, le grand compositeur cubain, si peu connu en France, dont elle interprète « Granada », pièce tirée de sa suite Andalucía (1933) avec une virtuose souplesse dans les appoggiatures et autres mélismes andalous. Plus tard dans le concert, elle en proposera « Córdoba », de la même suite, avec intensité et intériorité, nous laissant le regret et le désir qu’elle nous livre d’autres de ses exécutions de ce compositeur, que personnellement, je révère, et qu’elle découvre et explore avec passion selon son aveu. À suivre.

Le ténor interprète alors, de Pablo Sorozábal, compositeur symphonique, républicain tenu à l’écart par le franquisme qui lui concéda néanmoins la direction de l’orchestre symphonique de Madrid mais pour la lui retirer brutalement en 1952 car il prétendait, pour ouvrir l’horizon musical d’une Espagne confinée, diriger la Symphonie Leningrad de Chostakovitch. Son œuvre lyrique est l’une des expressions les plus abouties et finales de la zarzuela au XXe siècle, comme le prouva l’extrait de Black el payaso (1942), que le chanteur aborde avec une mélancolique retenue qui s’anime ensuite. Sans doute le trac de ce trop proche voisinage avec le public à portée de main et un très grand nombre de collègues chanteurs répétant Andalousie et venus en voisins, une indisposition passagère, semblent lui causer une baisse de tonus pour la sorte de sérénade romantique de Bella enamorada, de Sotullo et Vert, dont il fait, cependant, avec habilité, une  sensible confidence rêvée. Il retrouvera tout son mordant et une expressivité dramatique bouleversante dans le « No puede ser » de La Tabernera del puerto du même Sorozábal, air dont Plácido Domingo, digne héritier de la zarzuela, a fait un classique pour les ténors.

Étincelante, pétulante, Jennifer Michel, avec une superbe santé, de l’humour et un talent d’actrice comme stimulé par ce public assis comme à ses pieds, déploie tous les charmes d’un soprano dont le médium s’est enrichi sans rien perdre de son agilité et du brillant d’un aigu facile, rond, sans aucune des aspérités qui déparent parfois les coloratures, toujours musicale, des demi-teintes irisées, des sons finis en douceur comme des gazouillis. Accent espagnol parfait, naturel, et même andalou dans l’extrait fameux de l’opéra La tempranica de Gerónimo Jiménez, le fameux zapateado issu des danses méditerranéennes masculines, telle la tarentelle, pour écraser la tarentule supposée d’attaquer aux mâles en l’écrasant rageusement sous les pieds. Entre autres airs, dans « J’attends le Prince charmant » du Prince de Madrid de Francis López, avec un charme ravissant, elle démontre magistralement la grandeur de ce qui n’est pas une petite musique.

Les deux chanteurs et la pianiste se taillent un succès mérité pour une heure bien allongée, qu’on aurait aimé encore plus longue.

Rmt News Int • 25 janvier 2016


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